L’Ascension (détails). Francisco Camilo, 1651. Huile sur toile, 207 x 137 cm. Musée national d’Art de Catalogne, Barcelone (Wikimedia).

L’Ascension, pas un simple récit de départ

Francis DaoustFrancis Daoust | Ascension du Seigneur (A) – 21 mai 2023

L’envoi en mission : Matthieu 28, 16-20
Les lectures : Actes 1, 1-11 ; Psaume 46 (47) ; Éphésiens 1, 17-23
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

L’épisode de l’Ascension est un récit bien connu. C’est un récit charnière constituant le point de contact entre les deux tomes de l’œuvre de Luc, puisqu’on le retrouve à la toute fin du troisième évangile (Luc 24,50-53) et, dans une forme plus détaillée, au tout début du livre des Actes des Apôtres (1,1-11). Bien qu’un tel événement soit unique dans le Nouveau Testament, Jésus n’est pas le premier être humain dans la Bible à être enlevé au ciel. L’Ancien Testament parle en effet de deux cas semblables : celui d’Hénoch (Genèse 5,24) et celui d’Élie (Rois 2,1-11). L’analyse de ces deux autres récits permet de mieux comprendre l’Ascension de Jésus tel que présenté par Luc et de prêter attention à l’importance du don de l’Esprit.

Les deux premiers cas

Si l’on suit la chronologie de la Bible, on note un premier cas d’enlèvement au ciel dès le livre de la Genèse. Cet épisode initial est cependant narré très sommairement ; le texte mentionne seulement : Hénoch marcha avec Dieu, puis il disparut ; car Dieu l’avait pris (5,24). Ce passage laconique a cependant inspiré une considérable littérature apocryphe juive : le Livre d’Hénoch (ou 1 Hénoch), rédigé sur une longue période allant du 3e siècle av. J.-C. au 1er siècle apr. J.-C., le Livre des Secrets d’Hénoch (ou 2 Hénoch), composé entre le 1er siècle av. J.-C. et le 1er siècle apr. J.-C. et le Livre des Palais (ou 3 Hénoch), datant du 5e siècle apr. J.-C. À titre d’exemple, le Premier livre d’Hénoch développe ainsi le bref passage du livre de la Genèse en expliquant : « Et il arriva après cela que son nom fut élevé, devant le Fils de l’homme et jusqu’au Seigneur, d’entre ceux qui habitent la terre. Il fut enlevé sur un chariot de vent et disparu de parmi eux. » (1 Hénoch 70,1-3) Ces écrits parabibliques comportent une angélologie très développée et appartiennent au genre littéraire apocalyptique, c’est-à-dire qu’ils présentent une révélation de mystères célestes dévoilés à un personnage humain. Hénoch acquiert ainsi une connaissance qu’il n’aurait pas pu obtenir par ses propres moyens humains et limités.

Le récit de l’ascension d’Élie (Rois 2,1-11) est beaucoup plus développé dans la Bible elle-même. Le thème du chariot, de feu cette fois-ci (v. 11), est à nouveau présent, ainsi que celui de la connaissance. Ce savoir ne se situe cependant pas sur le plan apocalyptique, c’est-à-dire comme une vision d’un autre monde, mais sur celui plus terre-à-terre du prophétisme. Élisée demande en effet à son maître d’avoir le double de son esprit (v. 9), afin de pouvoir entamer sa propre carrière prophétique.

De nombreux points de contact

Les deux récits de l’Ascension de Jésus, et en particulier celui des Actes, s’enrichissent de sens lorsqu’on les compare aux deux épisodes de l’Ancien Testament.

En ce qui concerne Hénoch, la mention de la marche avec Dieu et de l’élévation vers celui-ci pourraient très bien s’appliquer au ministère de Jésus, qui a parcouru des centaines de kilomètres en annonçant la Bonne Nouvelle et qui est maintenant rappelé vers le Père. La présence des anges et de leur savoir céleste (Actes 1,10-11) n’est pas sans rappeler l’importante littérature apocalyptique liée au personnage d’Hénoch.

Le récit de l’enlèvement d’Élie, quant à lui, sépare les deux livres des Rois, tout comme l’Ascension de Jésus divise en deux l’œuvre de Luc. L’époque du prophète quintessentiel de l’Ancien Testament – Moïse étant davantage un législateur rattaché à la Loi – et celle du ministère de Jésus sont maintenant terminées et commencent celles de leurs successeurs : Élisée et les Apôtres. Les évangiles tissent d’ailleurs plusieurs liens entre Élie et Jésus. On peut penser, entre autres, à l’épisode de la résurrection du fils de la veuve de Sarepta (Rois 17,17-24) et à celui de la fille de la veuve de Naïm (Luc 7,11-17) ou aux foules qui croient que Jésus est Élie revenu sur terre (Luc 9,19).

Il est possible aussi de tracer un parallèle entre Élisée, qui refuse à trois reprises de se séparer de son maître (Rois 2,2.4.6) et Pierre, qui, au contraire, renie Jésus trois fois (Luc 22,57.58.60). Cette différence met en valeur la faiblesse de Pierre, mais aussi le chemin parcouru par celui-ci vers la rédemption. Le livre des Actes démontre bien que si Pierre abandonna Jésus à l’heure de sa passion, il sut se relever et guider avec foi l’Église naissante.

Connaissance et Esprit

C’est cependant sur le plan de la connaissance et de l’esprit que se situe le plus important lien entre le récit de l’enlèvement d’Élie et celui de l’Ascension de Jésus. Au moment où le grand prophète de l’Ancien Testament s’apprête à être emporté au ciel, il demande à son disciple ce qu’il désire et ce dernier répond : « Que je reçoive une double part de l’esprit que tu as reçu! » (2 Rois 2,9) Or Jésus s’assure que les Apôtres recevront l’Esprit Saint, même s’ils ne lui font aucune demande en ce sens : « Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut » (Luc 24,49) ; « Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes 1,8).

Le don de l’esprit d’Élie est cependant conditionnel. À la demande d’Élisée, son maître répond : « Tu demandes quelque chose de difficile. Tu l’obtiendras si tu me vois lorsque je serai enlevé loin de toi. Sinon, tu ne l’obtiendras pas. » (2 Rois 2,10) C’est peut-être pour cette raison, afin d’assurer que l’Esprit reposera sur les disciples, que Luc précise que Jésus s’éleva tandis que les Apôtres le regardaient (Actes 1,9).

L’Esprit, le vent et le feu

Dans le Nouveau Testament, le don de l’Esprit est lié au vent et au feu. Jean Baptiste avait annoncé : « Lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » (Luc 3,16) et le quatrième évangile rapporte : Après ces paroles, il souffla sur eux, et leur dit : « Recevez le Saint Esprit » (Jean 20,22). Luc combine ces deux éléments dans le même texte : Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. Et ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer (Actes 2,2-4). En ce sens, il est intéressant de rappeler qu’Hénoch fut emporté sur un chariot de vent (1 Hénoch 70,3) et Élie, dans l’ouragan, sur un chariot de feu tiré par des chevaux de feu (Rois 2,1.11).

Pas laissés à nous-mêmes

Cette brève considération des récits de l’enlèvement au ciel d’Hénoch et d’Élie nous permet de mieux comprendre l’épisode de l’Ascension de Jésus. Luc ne souhaite pas raconter que Jésus quitta le monde de manière miraculeuse, mais s’inspire de deux récits de l’Ancien Testament afin d’expliquer que le Christ ressuscité ne nous laisse pas à nous-mêmes, les mains vides, à nous tourner les pouces en attendant son retour. Au contraire, il nous laisse l’Esprit Saint afin de nous guider et afin de nous pousser à l’action. C’est ce que fait Élisée tout de suite après le départ de son maître et c’est ce que font les Apôtres tout de suite après la Pentecôte. C’est ce que nous sommes nous aussi appelés à faire, nous qui avons reçu l’Esprit Saint : poursuivre la mission de Jésus en annonçant la Bonne Nouvelle et en nous engageant dans la construction d’un monde meilleur. Évitons, comme le mentionnent les anges, de restez-là à regarder le ciel (Actes 1,11) !

Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).

Source : Le Feuillet biblique, no 2804. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

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