La Transfiguration. Miniature du 13e siècle. Tempera et feuille d’or sur parchemin, 20, 6 x 14,9 cm. Getty Center, Los Angeles (Wikimedia).

« Tandis qu’ils descendaient »

Francis DaoustFrancis Daoust | 2e dimanche du Carême (A) – 5 mars 2023

La Transfiguration de Jésus : Matthieu 17, 1-9
Les lectures : Genèse 12, 1-4a ; Psaume 32 (33) ; 2 Timothée 1, 8b-10
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

Le récit de la Transfiguration (Matthieu 17,1-9) est un passage très important des évangiles synoptiques, car il présente de nombreux points communs avec le récit fondateur de l’Ancien Testament qu’est le double don de la Loi au Sinaï (Exode 24,1-18 et 34,1-35). L’analyse des points de convergence et des différences entre ces deux récits nous aide à mieux saisir le message que souhaite véhiculer l’Évangile de Matthieu au sujet de l’identité de Jésus.

Le septième jour

On observe d'abord une correspondance de temps entre les deux récits. L’Évangile de Matthieu situe la Transfiguration six jours après (Matthieu 17,1) la confession de foi de Pierre et l’invitation de Jésus à le suivre sur un chemin de souffrance (16,24-28) ; et le don de la Loi au Sinaï se déroule le septième jour (Exode 24,16).  Cette correspondance disparaît malheureusement dans le Lectionnaire liturgique où la priorité a été donnée à l’en-tête habituelle « En ce temps-là », éclipsant ainsi les « après six jours » du texte biblique.  Les deux récits s’accordent en plaçant l’action –la Transfiguration et le don de la Loi – dans le cadre d’une journée mise à part (Genèse 2,4 ; Exode 20,11). Les deux textes annoncent ainsi que les événements qu’ils vont raconter sortent de l’ordinaire.

Les premiers de classe

Le deuxième point de convergence entre les deux récits est que les événements se déroulent sur une montagne. Cependant, alors que Moïse monte seul au Sinaï, Jésus emmène trois de ses disciples avec lui sur un sommet non identifié. L’expérience du divin vécue par ces disciples est donc plus directe que celle du peuple d’Israël; elle ne passe par aucun intermédiaire.

Ce n’est cependant pas l’ensemble des disciples qui monte au sommet avec Jésus, comme pour le sermon sur la montagne (Matthieu 5,1), mais uniquement Pierre, Jacques et Jean, ces trois disciples privilégiés auxquels Jésus réserve un enseignement particulier et qui seront un jour considérés comme colonnes de l’Église (Galates 2,9). Ce sont les seuls à être témoins de la résurrection de la fille de Jaïre (Marc 5,37), les seuls à accompagner Jésus dans sa prière à Gethsémani (Marc 14,33) et les seuls – avec André – à questionner Jésus au sujet de la destruction à venir du Temple (Marc 13,3). À noter, dans ce dernier épisode, que les disciples questionnent Jésus « à l’écart » (Marc 13,3 ; Matthieu 24,3). C’est la même formule grecque – kat’idian – qui est employée au début du récit de la Transfiguration (Matthieu 17,1 ; Marc 9,2) pour souligner le statut particulier de ces trois disciples, qui bénéficient d’un enseignement plus approfondi de la part de leur maître. Ce sont, pourrions-nous dire, les premiers de classe. L’expérience à laquelle Jésus les convie ne s’adresse donc pas à des néophytes, mais à un groupe restreint d’initiés qui seront davantage à même de comprendre la portée de ce dont ils seront témoins. Malgré cela, les paroles de Pierre qui désire ériger des tentes pour Moïse, Élie et Jésus, montrent que même ces premiers de classe ne savent pas comment réagir face aux phénomènes stupéfiants qu’ils observent.

La métamorphose de Jésus

Au sommet de la montagne, les disciples sont témoins de trois phénomènes étonnants. Le premier est la transformation de Jésus. Le verbe grec employé par Matthieu pour parler de ce changement radical est métamorphoô, d’où vient le verbe français métamorphoser. C’est aussi de ce verbe que vient le nom métamorphose qui est utilisé en biologie pour désigner chez les insectes le passage à un état plus évolué où ils deviennent méconnaissables. C’est le terme employé, entre autres, pour parler du processus par lequel une chenille devient un papillon. Ce détour par l’entomologie nous permet de mieux comprendre la transformation subie par Jésus. C’est le même Jésus que voient les disciples, celui qu’ils côtoient depuis la Galilée, mais ce dernier apparaît maintenant sous une forme exaltée. Il s’agit d’une vision anticipée du Christ ressuscité, ce que Jésus corrobore lui-même lorsqu’il avertit ses disciples de « ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts » (Matthieu 17,9). L’état nouveau sous lequel il se manifeste est aussi celui qui nous attend après notre propre résurrection.

La luminosité du visage de Jésus rappelle celle de Moïse après sa rencontre avec Dieu au Sinaï (Exode 34,29.35). Mais on observe encore une fois des différences significatives entre les deux récits. Tout d’abord l’éclat du visage de Jésus n’effraye pas ses disciples contrairement à celui de Moïse qui épouvante Aaron et les fils d’Israël (Exode 34,30). De plus, le rayonnement de Jésus ne se limite pas à son visage, mais englobe aussi ses vêtements. Nous pourrions dire que c’est tout son être qui est lumineux. Moïse a été touché par la présence divine et il en porte la marque, mais en ce qui concerne Jésus, cette présence semble émerger de sa personne elle-même.

Rencontre au sommet

Le deuxième phénomène observé par les disciples est l’apparition de Moïse et Élie qui conversent avec Jésus. Ces deux personnages représentent respectivement la Loi et les Prophètes, c’est-à-dire les Écritures tels que désignées à l’époque de Jésus (voir entre autres Matthieu 7,12 ; Luc 16,16; 24,27.44 ; Actes 24,14 ; Romains 3,21). Moïse était le récipiendaire de la Loi et Élie était le prophète par excellence. Leur présence sur la montagne viendrait ainsi confirmer que les Écritures témoignent de Jésus, que ce qui se trouve au cœur des Écritures c’est le Christ. On pourrait aussi avancer que les trois personnages réunis représentent la totalité du l’histoire du salut, à savoir : le salut passé tel qu’en témoigne l’histoire du peuple d’Israël, le salut présent incarné en Jésus et le salut futur représenté par le prophète Élie, dont le retour était attendu à la fin des temps.

La voix dans la nuée

Le troisième phénomène étonnant dont sont témoins les disciples est la nuée lumineuse de laquelle provient une voix. Cette nuée est également présente dans les épisodes au Sinaï (Exode 24,15.16.18 ; 34,5). La voix également est présente dans les deux récits, mais elle est beaucoup plus brève dans celui de la Transfiguration. En effet, Dieu donne à Moïse une longue série de commandements en Exode 34,14-26, mais un seul aux disciples : « Écoutez-le! » (Matthieu 17,5). Il n’y a pas de table de la Loi et d’innombrables règles, mais une seule demande : celle d’écouter son Fils bien-aimé.

Les auteurs bibliques aiment jouer avec les chiffres symboliques et Matthieu n’échappe pas à cette tendance. Un tableau remarquable se révèle aux yeux des lecteurs avec l’arrivée de cette voix : trois personnages célestes (Moïse, Jésus et Élie) et trois personnages terrestres (Pierre, Jacques et Jean) sont enveloppés par une nuée de laquelle sort la voix du septième personnage qu’est Dieu. Et le tout se déroule lors du septième jour!

Douceur, quiétude et proximité

Les trois derniers versets du récit de la Transfiguration établissent un contraste frappant avec les six premiers. Les visions étonnantes et la terrifiante manifestation divine font place à un grand calme. Ce calme commence par le geste de Jésus qui se fait proche de ses disciples : il s’approche d’eux et les touche. Il enjoint ensuite ses disciples terrorisés à se relever et à ne rien craindre. Ces derniers lèvent alors les yeux et ne voient que Jésus. Par l’emploi de plusieurs termes connexes, le narrateur met l’emphase sur la singularité de Jésus : Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul (Matthieu 17,8).

Nous pourrions être tentés de résumer le dernier verset comme étant essentiellement une demande de Jésus visant à ce que ses disciples gardent le silence au sujet de ce dont ils viennent d’être témoins. Mais nous passerions alors à côté d’un détail très important du texte, qui établit un dernier lien avec le récit du don de la Loi au Sinaï : la mention de Jésus qui descend la montagne avec ses disciples. En effet, Moïse avait demandé à Dieu : « Daigne, Seigneur, marcher au milieu de nous » (Exode 34,9). Ce dernier avait répondu qu’il établirait alliance avec le peuple d’Israël et qu’il ferait des merveilles devant lui (v. 10). L’Évangile de Matthieu commence par l’annonce de la naissance d’un fils qu’on appellera du nom d’Emmanuel, ce qui veut dire : Dieu parmi nous (1,23) et se termine par la promesse d’une présence éternelle : « Et voici que moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (28,20). Ce Jésus qui s’est fait proche de ses disciples et qui descend de la montagne avec eux n’est-il pas Dieu qui marche enfin au milieu de son peuple?

Francis Daoust est bibliste et directeur de la Société catholique de la Bible (SOCABI).

Source : Le Feuillet biblique, no 2791. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

Célébrer

Célébrer la Parole

Depuis l’automne 2017, le Feuillet biblique n’est disponible qu’en version électronique et est publié ici sous la rubrique Célébrer la Parole. Avant cette période, les archives donnent des extraits du feuillet publiés par le Centre biblique de Montréal.