La descente de l’Esprit. © He Qi (photo : heqiart.com).

La Pentecôte : vers une Église synodale

Francine Robert Francine Robert | Pentecôte (A) – 28 mai 2023

Jésus apparaît à ses disciples : Jean 20, 19-23
Les lectures : Actes 2, 1-11 ; Psaume 103 (104) ; 1 Corinthiens 12, 3b-7.12-13
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

En ce dimanche de Pentecôte, l’Évangile propose le premier récit d’apparition aux disciples en Jean, qui a déjà été commenté au 2e dimanche de Pâques. Ce récit parle de l’envoi en mission des disciples, groupe qu’on ne doit pas réduire aux apôtres. Les disciples ici représentent l’Église missionnaire, envoyée pour témoigner de la Bonne Nouvelle au monde. La première lecture propose le récit de Pentecôte qui appelle notre attention, car il déploie et précise l’envoi en mission et le visage d’une Église missionnaire.

Mission : parler pour se faire comprendre

Ce récit imagé donne l’impression d’une manifestation merveilleuse et évidente de Dieu. En le coupant au v. 11, la liturgie accentue cet effet. Mais ce n’est pas ce que l’auteur propose : les gens dehors sont déconcertés et perplexes. Certains se moquent, disant que les disciples sont ivres (pleins de vin doux).

Il n’y a donc pas d’évidence ici. Il faudra la parole interprétative de Pierre, qui relie l’événement à un texte du prophète Joël (3,1-2) : Dans les derniers jours, dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles seront prophètes, vos jeunes gens auront des visions, vos vieillards auront des songes. Oui, sur mes serviteurs et mes servantes en ces jours-là je répandrai de mon Esprit et ils seront prophètes (Ac 2,16-18). Ce texte proclame la libéralité du don de l’Esprit pour tous, hommes et femmes, jeunes et vieux. Dans le contexte actuel de la démarche synodale, on doit regretter que l’iconographie traditionnelle (cléricale ?) limite l’événement aux Douze avec Marie, alors que le récit mentionne le rassemblement de tous les disciples, femmes incluses (2,1 ; 1,14-15), sur qui vient l’Esprit.

L’événement de Pentecôte est annoncé par le Ressuscité : « Vous recevrez une force (litt. dynamisme), venant du Saint Esprit sur vous et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’à l’extrémité de la terre. » (1,8) Ainsi le récit de Pentecôte, comme la déclaration qui l’annonçait, définit la nature de l’Église, dans l’acte même de sa naissance, comme missionnaire, i.e. tournée vers les autres et chargée d’annoncer la Bonne Nouvelle au monde.

Le « miracle » n’est pas du côté des auditeurs : une capacité miraculeuse d’entendre dans sa langue. Le récit insiste sur « PARLER d’autres langues ». Il peut s’agir d’un événement réel ou d’un symbole, car les auditeurs sont définis comme des Juifs nés en d’autres pays et des étrangers convertis au judaïsme, résidant tous à Jérusalem (v. 5,11 et 14). L’insistance sur la parole ici montre que l’Église naissante est responsable de proclamer l’Évangile dans des paroles accessibles à tous, donc qui respecte la diversité des cultures [1].

Toute la suite du discours porte sur la Bonne Nouvelle de Jésus, « homme que Dieu avait accrédité auprès de vous en opérant par lui des miracles..., cet homme, selon le plan bien arrêté par Dieu, vous l’avez livré et supprimé en le faisant crucifier par les impies. Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant de la mort. (...) Que toute la maison d’Israël le sache donc avec certitude : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous avez crucifié » (2,22-23.32-36). Pierre concentre l’essentiel du discours sur Jésus — actes, mort et relèvement — comme une Bonne Nouvelle de Dieu pour tous, qui inclut le pardon (v. 38).

On peut lire deux autres événements semblables, que Michel Gourgues appelle la « Pentecôte des Samaritains » et la « Pentecôte des païens » (litt. des Nations, i.e. non-juifs). Ces récits soulignent les deux grandes étapes d’ouverture aux autres que l’Église a vécues, parfois avec réticence : Ac 8,5-25 et 10,1—11,18 [2].

Du don de la Loi au don de l’Esprit

Luc, auteur du livre des Actes, est grec. Pourtant, il insiste sur les racines juives de la Bonne Nouvelle et utilises souvent le Premier Testament, dans son Évangile et dans les Actes. La liturgie de la fête juive de Pentecôte proclamait le récit du don de la Loi au Sinaï (Exode 19-20). Luc y trouve les thèmes du grand bruit, du feu et de l’unité des gens rassemblés. Philon d’Alexandrie, célèbre maître juif de culture grecque au temps des premiers chrétiens, commente ainsi Exode 20,18 : Dieu avait créé dans l’air un bruit invisible, et ce bruit transforma l’air en feu de flamme. La voix retentissait au milieu du feu venu du ciel, dont la flamme se transformait en un langage adapté aux auditeurs [3].

En construisant son récit de Pentecôte chrétienne sur l’assise de la Pentecôte juive, Luc offre un parallèle éclairant sur la naissance de l’Église comme nouveau peuple de Dieu, qu’on peut schématiser ainsi :

Pentecôte juive

Première Alliance

Naissance du peuple de Dieu

Don de la Loi

Pentecôte chrétienne

Nouvelle Alliance

Naissance de l’Église

Don de l’Esprit

L’Esprit tient donc la place de la Loi dans l’Alliance chrétienne, pour inspirer les diverses manières de la vivre et d’en témoigner [4]. Cette diversité des modalités de la vie chrétienne sera très importante par la suite. Velázquez

Pour dynamiser la mission, l’Esprit suscitera des déplacements importants et inconfortables, comme dans le récit de la « Pentecôte des païens », en Ac 10 et 11. Pierre doit vivre une vision répétée trois fois pour se décider enfin à transgresser la Loi en allant chez un païen. Il doit ensuite répondre aux critiques de l’Église de Jérusalem. Sa réponse : l’Esprit Saint est tombé sur eux comme sur nous (...) qui suis-je pour m’opposer à Dieu ?

De même L’Esprit poussera Paul à quitter l’Asie mineure familière, pour s’aventurer vers les populations inconnues de l’Europe (Ac 16,9-10). Nous sommes les bénéficiaires de cet audacieux déplacement.

Ainsi, l’Esprit nous précède encore chez tous les mal-croyants, les hésitants, les gens en quête spirituelle et les décrocheurs en tous genres. Hommes et femmes, jeunes et vieux, disait déjà Pierre, avec Joël.

Pentecôte et démarche synodale

Le pape François nous a engagés dans un immense processus de renouvellement de l’Église, largement fondé sur le sensus fidelium, i.e. le dynamisme prophétique qui habite et inspire les baptisés, tants laïcs que clercs. Ce processus ne fait pas l’unanimité ; comme les déplacements vers lesquels l’Esprit poussait les premiers chrétiens inquiétaient et suscitaient des résistances. Pourtant, à moins de se résigner à donner des soins palliatifs à une Église de plus en plus réduite et très peu présente à notre monde, il nous faudra bien avancer vers une nouvelle compréhension de nous-mêmes et susciter de profonds renouvellements, avec ou sans crainte. J’avais ce processus à l’esprit en commentant le récit de la Pentecôte, car les deux fondent mon espérance.

La Pentecôte n’est pas une inversion du récit de Babel (Genèse 11,1-9), au contraire ! Comme la finale de Babel, elle valorise la pluralité des langages. Pour devenir une voix crédible et intelligible à une époque de pluralité radicale, il nous faut cesser de répéter notre langue et nos formules, que presque personne ne comprend, et parler d’autres langues, les langages des gens. De nombreux chrétiens, absents du dimanche, sont immergés dans ce monde et en pratiquent les langues, celles des jeunes et des femmes, celles des professionnels et des ouvriers, celles des pauvres et des réfugiés. Qu’attendons-nous pour les écouter et travailler avec eux ? La diversité des charismes louangée par Paul dans la deuxième lecture nous y invite depuis longtemps ! Fidèle à l’audace de Jésus, « Paul crée des communautés d’hommes et de femmes à égalité de droits, de responsabilités et de vocation [5]. »

Le discours de Pierre, inspiré par l’Esprit de Pentecôte, parle de Jésus, ses actes de salut, sa mort et son relèvement par Dieu, qui confirme ainsi ce que Jésus a révélé de Lui. Pierre ne parle pas d’abord de l’Église, de sa vie et ses règles, mais d’un homme qui fascine encore aujourd’hui des millions de personnes. Certes, Pierre parle à des croyants juifs, pour qui la sécularité n’existe pas. Mais très tôt l’Esprit de Pentecôte le poussera vers les païens, à sa grande surprise. Des gens chez qui la quête spirituelle prend des formes étranges et même rebutantes. Et pourtant, la Bonne Nouvelle les atteint, quand elle est dite à propos de Jésus et dans des mots qu’ils comprennent ! De même Paul n’enseignera pas un catéchisme intemporel [6], mais l’Évangile de Jésus-Christ, qui éclaire de manière particulière la vie propre à chaque communauté.

Ce déplacement a été objet de débats chez les premiers chrétiens. Par exemple en Actes 11 et 15, on constate les hésitations et même les reculs (voir Galates 2,11-14 ; 5). Mais Luc montre aussi l’importance des discussions et des témoignages à partir de l’expérience vécue. De même les synthèses des démarches synodales soulignent la fécondité des débats, des groupes d’échange, de partage et de réflexion. Nous vivons dans un monde de parole, où les médias sociaux stimulent chacun et chacune à s’exprimer. Où seront ces lieux de débats et d’échanges dans une Église appelée à devenir tout entière synodale ? Comment inviterons-nous toutes sortes de gens à faire-route-ensemble ? (selon le sens premier du mot syn-odos : ensemble-route.)

Que nous aimions ou non les évolutions socio-culturelles présentes, c’est le monde dans lequel l’Esprit nous envoie et nous précède. Pourtant nous réagissons parfois selon la pensée de l’évangéliste Jean, pour qui le monde est un lieu hostile, qui nous rejette et refuse le salut de Dieu. Alors que la pensée de Luc, auteur d’un Évangile et du livre des Actes, est tout autre : les cultures et l’histoire sont le lieu de l’action de Dieu, un monde qu’Il aime et où Il déploie sa force de salut. Un monde dans lequel nous sommes toujours invités à reconnaître et à nommer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ à l’œuvre, de manière compréhensible pour les hommes et les femmes de ce temps. Des gens que l’Esprit pourra visiter, si nous suscitons en eux la plus petite ouverture.

Diplômée en études bibliques, Francine Robert est professeure retraitée de l’Institut de pastorale des Dominicains (Montréal).

Source : Le Feuillet biblique, no 2805. Ce texte est dabord paru dans Le Feuillet biblique 1600 (3 décembre 1995). Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l’autorisation du Diocèse de Montréal.

[1] L’insistance sur la parole est développée par Jacques Dupont, « La nouvelle Pentecôte », dans Assemblée du Seigneur, 2e série, nº 30, 1970.
[2] Dans Mission et communauté (Actes des Apôtres 1 — 12), Cahiers Évangile 60, 1987, p. 17.
[3] Dans l’article cité en 1, Dupont analyse ces liens du récit de Pentecôte avec Exode 19-20 et les commentaires juifs du temps, et montre que Luc s’inspire des symboles et de la perception contemporaine de ce texte pour écrire son récit.
[4] Le récit d’Ananie et Saphire illustre bien le danger de transformer en loi les élans inspirés par l’Esprit. Se sentir obligés de tout donner, c’est fausser l’Esprit, une attitude mortifère pour l’Église (Actes 5,1-10).
[5] Daniel Marguerat, dans une entrevue au journal La Croix (21 avril 2023) à propos de son récent livre Paul de Tarse : l’enfant terrible du christianisme, Seuil 2023. Journal accessible aux abonnés de la Grande Bibliothèque (BAnQ).
[6] L’expression est de Daniel Marguerat, dans l’article cité.

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