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chronique du 23 novembre 2004
 

Un veilleur attentif,
généreux et tenace!

 

L'heure est venue de sortir de votre sommeil (Romains 13, 11).

Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra.
(Matthieu 24, 44)

 

Il y a quelques années alors que j'attendais le métro dans la station Times Square dans la ville de New York, une jeune femme de race noire, timide, maigre et de toute évidence sans logis, les cheveux emmêlés recouverts d'une écharpe, s'approcha de moi.

     Je sortis quelques dollars de mon portefeuille, pour les lui donner. Puis je remarquai ses pieds. Elle portait des souliers usés jusqu'à la corde, sans chaussettes. Je lui demandai pourquoi. Elle n'avait pas les moyens de s'acheter des chaussettes, expliqua-t-elle...

     Je n'avais pas d'autre argent à lui donner. Mais l'image de ses pieds sans chaussettes me poursuivit jusqu'à la maison. Je fouillai dans le tiroir de ma commode et en sortis quelques paires de chaussettes épaisses, presque neuves, et mis le tout dans un sac de plastique.

     Les jours qui suivirent, j'attendis la femme au même endroit, à la même heure, mais elle ne revint jamais. Déterminé à ne pas laisser tomber, je montai à l'étage supérieur et m'adressai à la préposée au guichet de jetons...

     Après lui avoir demandé d'ouvrir la porte latérale du guichet, je lui remis le sac en la priant de le donner à une mince femme de race noire sans logis qui ne portait pas de chaussettes, que j'avais rencontrée dans la station au milieu de l'après-midi.

     Mon horaire de travail m'empêcha de revenir à cette station de métro pendant les quelques semaines qui suivirent. Lorsque je pus enfin me rendre au guichet, la préposée me fit signe d'approcher de manière pressante.

     Non, la jeune sans-logis n'était jamais venue. Mais poursuivit-elle, le lendemain du jour où j'avais laissé le sac, deux clochards frappèrent à la porte du guichet et annoncèrent que leurs chaussettes étaient trempées et qu'ils avaient froid aux pieds; ils lui demandèrent si elle n'avait pas de chaussettes sèches.

     Elle leur remit mon sac.

     Elle n'avait jamais vu ces hommes auparavant, continua-t-elle. Elle travaillait à cette station depuis plusieurs années, et personne ne lui avait jamais demandé de chaussettes auparavant (S. Lipman, Les petits miracles, T. 2, pp. 52-53).

 

LIEN: Voilà un excellent exemple de ce qu'est « veiller », au sens de l'évangile. Cet homme a été saisi par la pauvreté d'une inconnue. Il a été poursuivi, dit-il, par l'image de ses pieds sans chaussettes. Les jours suivants, il l'a attendue en vain. Puis il a laissé son don à une préposée au guichet espérant qu'il parvienne à sa destinataire. Finalement, ce sont deux autres pauvres qui ont profité de sa générosité.

     Veiller, c'est saisir le moment, l'événement avec tout ce qu'il porte. C'est vivre en étant aux aguets pour reconnaître le visage du Seigneur quand il se présente et tel qu'il se présente.

     Il y a là une invitation pressante à ne pas « trier la vie », à ne pas se dérober, à la prendre telle qu'elle se présente avec ses richesses, mais aussi avec ses limites et ses cassures. Il est tellement tentant de vivre dans le rêve, l'imaginaire, ou tout simplement de « dormir au gaz » quand arrive le jour où le Seigneur se manifeste.

     « Veillez » n'est pas seulement être réveillé; c'est ouvrir les yeux, voir, se décider et agir.

* * * * *

« Couvez la vie »

     On a parfois envie de trier la vie : « Ça c'est bon à vivre. Ça c'est sans intérêt, ça c'est mauvais ». Un poème de Patrice de la Tour du Pin nous rejette sur toute la vie : « Couvez la vie, c'est elle qui loue Dieu ».

     En triant la vie, nous lâchons le réel pour nous laisser déporter vers de l'imaginaire où Dieu n'habite pas. Jésus nous dit que le Père sait nos besoins et nous voit dans le secret, mais il ne va pas aller nous chercher dans nos « si » et nos « ailleurs ».

     Le réel veut être vécu ici et maintenant. Pas à regret et à reculons, mais en étreignant l'instant tel qu'il se présente. Lui dire oui c'est le seul moyen de délivrer la vie qu'il recèle.

     N'importe quel instant? N'importe lequel. Notre plus grande erreur c'est de vouloir nous évader. Fuir un effort, une montée de tristesse, une personne, la prière, une souffrance. Ce qui nous ferait fuir Dieu alors qu'il nous regarde là. L'aimer et l'adorer ce n'est pas seulement aller se mettre à genoux pour penser à lui. C'est vivre ce qui est à vivre.

     Il a fait de nous des vivants parce que lui, le Vivant, il savait le prix de la vie. Quand il a vu qu'elle peut être pour nous très difficile, il a envoyé son Fils au plus doux et au plus dur de nos instants. En Jésus, Dieu nous montre que tout est exploitable. Chaque instant doit être un oui à la vie qui sera notre oui à Dieu.

     Mais si je trie, si je n'essaye pas de tout couver, je gaspille ma seule vraie richesse (André Sève, 365 matins, p. 21).