Premier dimanche de Carême
La fascination
du soupçon
Le serpent dit à la femme: ... Vous ne mourrez pas! Mais
Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront,
et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal (Genèse 2, 4-5).
L'histoire se passe pendant la guerre. Un prisonnier est libéré.
Sa fiancée va l'attendre à la gare, avec une impatience
dont on n'a peut-être plus l'idée aujourd'hui : retrouver
son fiancé qui était prisonnier. « Voilà
le moment de bonheur de mon existence » se dit-elle. Alors
elle se regarde dans une glace. Et, tout à coup, elle se
trouve horrible avec ses galoches du temps de guerre, crottées
et lourdes. Elle les enlève et les enveloppe dans un journal
qui traîne là, n'importe lequel, elle ne regarde même
pas de quel journal il s'agit.
Et son fiancé arrive ... enfin!
Cela va être le moment de bonheur tant attendu. Mais voici
que la première chose qu'il voit : c'est le journal. Et son
visage change. Et dans l'instant, elle se rend compte que pour elle,
son fiancé devient autre. C'est comme un coup décisif.
Car il ne trouve à lui dire comme premières paroles
que cette phrase : « Ah, tu lis le journal de l'ennemi? »
Elle qui n'avait même pas vu que c'était le journal
de l'ennemi! Elle ne répond rien, elle n'explique rien, elle
ne se défend pas. Comment son fiancé a-t-il donc pu
douter d'elle?
LIEN: Que s'est-il passé dans l'histoire d'Adam et Ève
(1ère lecture). Le récit du fruit défendu nous
dit sous une forme imagée, simple mais d'une profondeur extraordinaire
ce qu'est le drame du soupçon. Dieu avait laissé à
Adam et Ève l'usage de tous les fruits du paradis, à
l'exception de ceux de l'Arbre du bien et du mal. Alors survient
le serpent. Et la femme vit que le fruit de l'arbre était
bon à manger. Et vous savez la suite.
Où se situe la faute? Très
précisément au moment où Ève s'ouvre
à la fascination du doute, à l'instant où elle
a commencé à soupçonner l'autre d'une arrière-pensée
ou d'une arrière-intention. « Ah, tu lis le journal
de l'ennemi? ». La faute n'était pas d'avoir entendu
le serpent, ni même d'avoir cueilli le fruit, mais dans le
fait d'avoir prêté l'oreille, d'avoir enfin préféré
l'hypothèse la plus improbable, la plus affreuse : qu'elle
ait pu être le jouet de celui qui l'aimait, de Dieu. Ils ont
cessé d'être innocents, au moment où ils ont
accepté l'éventualité du doute sur l'autre
(B. Bro, Surpris par la certitude, pp. 38-40).
C'est en ce sens aussi que nous pouvons
comprendre la seconde tentation de Jésus : Si tu es le
Fils de Dieu, jette-toi en bas; car il est écrit: il donnera
pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur
leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre (Matthieu
4, 6).
Nous pouvons dire de cette tentation
qu'elle est celle du soupçon : Qui te dit que tu es vraiment
fils de Dieu? Exige un signe! Si tu es son fils, que Dieu le prouve! Elle consiste à mettre en doute la protection de Dieu et
la confiance qu'on peut lui faire. Jésus refuse de mettre
son Dieu à l'épreuve, de le soupçonner. Jésus
reste ferme dans la confiance; il sait qu'il n'est pas le jouet
de celui qui l'aime. Il a parfaitement conscience d'être le
Fils et personne ne le détournera de cette certitude.
Chronique
précédente :
La vieille dame
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