Enluminure d’un psautier du Moyen-Âge, circa 1250-1275. Manuscrit W. 114,  folio 117v (photo : Digitized Walters Manuscripts)

Bénissez le Seigneur – AT 6

Paul-André DurocherPaul-André Durocher | 15 octobre 2018

Référence biblique : Tobit 13, 9-16.18
Liturgie des Heures : Vendredi IV – Laudes

9 Bénissez le Seigneur, vous, ses élus !
Fêtez-le, rendez-lui grâce !

10 Jérusalem, ville sainte, 
Dieu t’a frappée pour les œuvres de tes mains.
11 Rends toute grâce au Seigneur
et bénis le Roi des siècles !

Qu’il relève en toi le sanctuaire, †
12 qu’il réjouisse en toi les exilés, *
qu’il aime en toi les malheureux,
pour les siècles sans fin.

13 Une lumière brillante brillera
jusqu’aux limites de la terre.
14 De loin, viendront des peuples nombreux 
vers ton nom qui est saint, *
les mains chargées de leurs offrandes
pour le Roi du ciel.

Les générations des générations t’empliront d’allégresse,
et le nom de l’Élue restera pour les siècles.

15 Réjouis-toi, exulte, à cause des fils des justes :
tous rassemblés, ils béniront le Seigneur éternel.
Heureux ceux qui t’aiment :
ils se réjouiront de ta paix.

Mon âme, bénis le Seigneur, le Grand Roi : *
16 il bâtira, dans Jérusalem,
sa maison pour les siècles !

Les portes de Jérusalem seront d’émeraude et de saphir ; †
ses murs de pierre précieuse ; *
ses rues, pavées de rubis
et de pierres d’Ophir.

18 Ses portes retentiront de chants de joie, †
et ses demeures diront : « Alléluia ! *
Béni soit le Dieu d’Israël ! »

Que les bénis de Dieu
bénissent le Nom très saint, *
pour les siècles et à jamais !

À l’origine. Lorsque Cyrus, roi des Perses, mit fin à l’exil des juifs à Babylone en 538 av. J.-C., plusieurs décidèrent de demeurer là où ils étaient nés et avaient grandi plutôt que de déménager à Jérusalem. De nombreuses communautés juives continuèrent donc à évoluer à l’extérieur de la Palestine, s’adaptant à la langue araméenne de l’Empire perse. Quelques siècles plus tard, ils absorberaient aussi la culture hellénistique diffusée par Alexandre le Grand. Le livre de Tobit reflète les défis que connaissaient ces communautés qui tentaient de vivre leur foi juive dans une culture païenne.

L’auteur du livre de Tobit propose trois éléments essentiels pour maintenir l’identité juive dans la diaspora : l’obéissance à la Loi de Moïse dans tous ses détails, le mariage à l’intérieur de la communauté religieuse et l’attachement au Temple de Jérusalem. Il présente Tobit comme un modèle à suivre alors que celui-ci verse une part de son revenu aux prêtres et aux lévites du Temple, même s’il demeure à Ninive, loin de capitale d’Israël.

Le cantique AT 6 constitue la deuxième partie d’un discours que Tobit prononce vers la fin du livre. Il adopte un ton, un langage et des thèmes prophétiques, surprenants dans ce livre de Sagesse. On y trouve en particulier des échos d’Isaïe 60-62, alors que Tobit annonce le retour de l’Exil, la reconstruction de Jérusalem et la réconciliation des peuples autour du Temple restauré.

De fait, même si la trame dramatique du livre se situe durant l’Exil, il fut rédigé bien après, peut-être vers 200 avant Jésus-Christ. On peut imaginer que l’auteur, dans ce passage, veut rappeler aux juifs de la diaspora l’importance de Jérusalem, la « ville sainte » (v. 10), l’« Élue » dont le nom « restera pour les siècles » (v. 14). D’elle surgit une « lumière brillante » qui éclaire la terre entière (v. 13). Vers elle affluent les pèlerins, « les mains chargées de leurs offrandes pour le roi du ciel » (v. 14). Car même si, après l’Exil, Israël a perdu son autonomie politique et son roi national, Dieu — le « Grand Roi » (v. 15) — maintient toujours sa maison à Jérusalem. La contribution annuelle que versaient au Temple les juifs de la diaspora manifestait ainsi la signification persistante de Jérusalem — spirituelle, sociologique et politique — pour tous les fidèles où qu’ils demeurent. Cette signification perdure jusqu’à nos jours dans le monde juif.

À la lumière de l’Évangile. Lors de la fête de la Pentecôte après la résurrection du Christ, des juifs de la diaspora venus en pèlerinage au Temple furent les premiers auditeurs de la prédication des Apôtres. Comme le raconte saint Luc : « Il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux, venant de toutes les nations sous le ciel. Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. Ils étaient en pleine confusion parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient » (Ac 2,5-6). C’est comme si la prophétie de Tobie se réalisait : la barrière des langues et des cultures étant surmontée, tous les peuples étaient réconciliés à Jérusalem. Mais les Apôtres annonçaient que Dieu avait établi un nouveau centre de gravité pour son peuple : Jésus-Christ, demeure de Dieu parmi l’humanité. De plus, chaque homme, chaque femme pouvait devenir à son tour « un sanctuaire de l’Esprit Saint » si on acceptait de vivre en lui (1 Co 6,19).

Dans ma vie. Je ne suis pas un esprit désincarné, mais une personne humaine en chair et en os. Je ne peux pas vivre seulement au niveau de l’esprit, j’ai besoin de signes concrets et tangibles pour exprimer ma foi et construire mon identité chrétienne. Une église, un rite, un texte, une statue, un geste, un chapelet, un engagement, voilà autant de moyens qui m’aident à donner corps à ma foi. Mais si ces moyens deviennent des fins en soi, si l’église ou le rite ou le texte deviennent plus importants que ma relation avec Jésus-Christ, un problème sérieux se pose. Je dois continuellement me rappeler que le Christ veut vivre en moi, qu’il veut converser avec moi, qu’il veut faire de moi un temple vivant pour son Esprit. Il veut que je devienne sa demeure dans le monde, que je devienne son instrument pour effectuer la conversion et la réconciliation des peuples.

Dans le plan de Dieu. La Liturgie des heures propose ce cantique pour la prière du vendredi matin, jour où l’on fait mémoire de la mort de Jésus à Jérusalem. Méditer ce poème dans le contexte de la Passion du Christ nous invite à découvrir que c’est en lui et par lui que Dieu veut réjouir les exilés de ce monde et aimer les malheureux de la terre. Oui, de la Croix de Jésus « brillera une lumière brillante jusqu’aux extrémités de la terre ». Avec Tobit, nous pouvons nous réjouir et exulter : « Que les bénis de Dieu bénissent le Nom très saint ! »

Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec) et évêque de liaison à la Société catholique de la Bible (SOCABI).

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