Dieu Tout-Puissant. Antoine Coypel, circa 1715. Détail du plafond de la Chapelle royale du Château de Versailles (Wikipedia).

Dieu, maître de tout — AT 4

Paul-André DurocherPaul-André Durocher | 10 juin 2019

Référence biblique : 1 Chroniques 29, 10-13
Liturgie des Heures : Lundi I — Laudes

10Béni sois-tu, Seigneur, †
Dieu de notre père Israël,
depuis les siècles et pour les siècles !

11 À toi, Seigneur, force et grandeur, †
éclat, victoire, majesté,
tout, dans les cieux et sur la terre !

À toi, Seigneur, le règne, †
la primauté sur l’univers :
12 la richesse et la gloire viennent de ta face !

C’est toi, le Maître de tout : †
dans ta main, force et puissance ;
tout, par ta main, grandit et s’affermit.

13 Et maintenant, ô notre Dieu, †
nous voici pour te rendre grâce,
pour célébrer l’éclat de ton nom !

Sens original. Si, comme le dit le proverbe, « Dieu écrit droit avec des lignes courbes, » on pourrait estimer que l’auteur des Chroniques a réécrit les livres de Samuel et des Rois pour ne laisser que les lignes droites. Pour lui, toutes lignes convergent sur le Temple, préparé par David, construit par Salomon, détruit par les Babyloniens mais reconstruit par les Juifs sous l’Empire perse.

Le cantique AT 4 est mis sur les lèvres du roi David vers la fin de sa vie. Dieu lui a révélé qu’il ne construirait pas le Temple, responsabilité que Dieu confierait à son fils Salomon. Mais Dieu lui a donné les plans du sanctuaire et l’a invité à tout préparer pour sa construction. David consacre donc ses dernières énergies à recueillir les matériaux et l’argent qui seront nécessaires pour ce projet, en y contribuant largement de ses propres biens. Dans un dernier geste public avant de mourir (1 Ch 28-29), il réunit tous les chefs des clans d’Israël à Jérusalem pour remettre ces plans et ces ressources à son fils Salomon. Devant ce geste magnanime de leur roi, les riches familles d’Israël se joignent à lui dans une libre offrande qui provoque la joie de David. C’est alors qu’il s’élance dans une prière dont les quatre premiers versets forment le cantique AT 4.

Ce cantique se présente comme une pure louange du Dieu d’Israël, une bénédiction. David, au sommet de sa popularité auprès du peuple, jouissait d’un prestige et d’un pouvoir que ne connaîtra aucun de ses descendants. Mais plutôt que de se complaire dans l’adulation de ses admirateurs, il les invite à tourner leur regard vers Dieu. En effet, pour David, Dieu est le maître de tout : du temps (« depuis les siècles et pour les siècles »), de l’espace (« dans les cieux, sur la terre, […] sur l’univers ») et du pouvoir (« majesté, […] règne, […] primauté, […] force et puissance. »)

Puisque tout ce que possède Israël vient de Dieu, les offrandes qui sont faites pour le Temple ne peuvent être qu’un geste d’action de grâces et de louange. Ni David ni le peuple ne peuvent se glorifier de leur générosité, car tout honneur revient à Celui de qui viennent « la richesse et la gloire ».

À la lumière de l’Évangile. Louer Dieu en le bénissant est une caractéristique fondamentale de la prière juive. De nombreux psaumes reprennent l’expression classique « Béni sois-tu, Seigneur », comme le fait David dans son cantique. Saint Paul, juif fidèle et pieux, se montre fidèle à cette façon de prier. Les premiers versets de deux de ses lettres en témoignent.

Ainsi, au début de sa seconde lettre aux Corinthiens, Paul écrit : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus le Christ, le Père plein de tendresse, le Dieu de qui vient tout réconfort. » (2 Co 1,3) Mais tout en reprenant la formule de bénédiction dont se sert David pour louer le Seigneur, la prière de Paul marque une transformation importante. Là où David loue la puissance et la force de Dieu, Paul célèbre sa grande tendresse et le réconfort qu’il apporte. Le ton est affectueux et manifeste une grande intimité avec Dieu, très différent de la louange formelle et royale de David. Comment expliquer cette différence ? C’est qu’en Jésus, la conception du Royaume de Dieu a basculé. Il ne proclame pas un Royaume terrestre, établi sur la force militaire, mais un Royaume de justice, de paix et de joie. La royauté de Dieu ne se manifeste pas sur un trône glorieux, mais sur la Croix où se révèle la grande tendresse de Dieu pour le monde.

D’une façon analogue, la lettre aux Éphésiens s’ouvre sur ces mots : « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ ! Il nous a bénis et comblé des bénédictions de l’Esprit, au ciel, dans le Christ. Il nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour. » (Eph 1,3-4) Cette fois, Paul donne une tournure franchement trinitaire à sa bénédiction, nommant Dieu comme le Père de Jésus Christ et rappelant comment il nous bénit dans l’Esprit. Toute son œuvre, depuis le commencement du monde, jaillit du  grand amour qu’il nous porte.

Dans ma vie. À bien y penser, la prière de louange ne prend pas assez de place dans ma vie. Souvent, je me tourne vers Dieu pour lui présenter mes besoins, parfois pour lui demander pardon, occasionnellement pour lui exprimer ma gratitude, mais rarement pour simplement lui rendre gloire. Est-ce que ça explique pourquoi je trouve la prière eucharistique un peu « plate » ? En effet, la messe est comme une longue prière de louange. Si je n’ai pas vraiment intégré une spiritualité de la bénédiction dans ma vie, j’aurai peut-être de la difficulté à entrer dans la dynamique de la liturgie.

Peut-être devrai-je essayer de me remettre à la place du roi David et de ses amis au moment où ils ont offert leurs ressources pour la construction du Temple. Dans leur prière, ils ont reconnu que ce qu’ils offraient vient de Dieu, ils ne faisaient que lui remettre ses propres dons. Dans cet esprit, je pourrai prier en toute vérité : « Béni sois-tu, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et du travail humain. Nous te le présentons : il deviendra le Pain de la Vie. »

Dans le plan de Dieu. Le livre de l’Apocalypse reprend des expressions d’AT 4 lorsque l’auteur y rapporte la louange que les saints chantent au Christ ressuscité : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. » (Ap 5,12). Par sa vie, sa mort sur la Croix et sa résurrection, le Fils de Dieu a transformé l’histoire et nous ouvre un avenir. Oui, il est digne de recevoir nos acclamations. Mais les expressions du roi David sont transformées à la lumière de Pâques : sa puissance est celle de l’amour, la richesse qu’il nous partage n’est rien d’autre que la grâce ; sagesse et force sont des dons de l’Esprit ; l’honneur et la gloire véritables ne peuvent être que le resplendissement de la sainteté dans le monde ; notre louange s’associe au chant de la création tout entière enfin libérée de la puissance du mal. Devant cette merveille, avec David, nous pouvons proclamer : « Et maintenant, ô notre Dieu, nous voici pour te rendre grâce, pour célébrer l’éclat de ton nom ! »

Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec) et évêque de liaison à la Société catholique de la Bible (SOCABI).

Psaumes

Psaumes et cantiques

Trésors de la prière juive et chrétienne, les psaumes n'en demeurent pas moins des textes qui demandent parfois d'être apprivoisés. Cette chronique propose une initiation aux psaumes et à la prière avec les psaumes.