Initiale D – psaume 21. Psautier de Saint-Alban, vers 1130, Dombibliothek Hildesheim (Wikipedia).

Des ténèbres à la lumière : Psaume 22 (21)

Jean GrouJean Grou | 18 novembre 2019

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« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » C’est le cri célèbre que Jésus a lancé alors qu’il agonisait sur la croix. Il citait alors le début du Psaume 22, caractérisé par un étonnant contraste entre ses deux premières parties et sa dernière. À un tel point qu’on pourrait se demander si nous n’avons pas affaire à deux psaumes distincts qui auraient été joints…

Dans son ensemble, le texte alterne entre les lamentations et les supplications d’une part et les expressions de confiance en la présence du Seigneur et en la grandeur de sa bienveillance. À un tel point qu’il est difficile de dire à quel catégorie le psaume appartient : psaume de lamentation ou d’action de grâce? Lorsqu’on prend en compte l’aboutissement de la prière, la troisième partie du psaume où abondent les manifestations de joie et de gratitude, on peut en conclure qu’il s’agit finalement d’une prière d’action de grâce. Les lamentations, les supplications deviennent alors, pour ainsi dire, le « tremplin » qui permet au cri final d’allégresse de prendre son élan.

Tout commence cependant comme un véritable appel à la détresse (v. 1-6); le psalmiste exprime son sentiment que Dieu lui a tourné le dos, qu’il ferme les yeux sur son triste sort. Et il n’hésite pas à lui rappeler qu’il en a été tout autrement par le passé. Ses ancêtres, en effet, ont pu compter sur la bienveillance divine alors qu’ils traversaient les plus rudes épreuves. Voilà qui accentue encore davantage le trouble du psalmiste : comment se fait-il que Dieu semble demeurer sourd à ses appels, se conduire à l’inverse de ce qui a fait sa « réputation » par le passé?

À partir du verset 7, la prière se centre sur les malheurs qu’endure l’auteur du psaume. On apprend qu’il subit l’opprobre de gens de son entourage. Ironiquement, ces derniers se moquent de lui justement parce qu’il a mis sa confiance dans le Seigneur. Considérant ce que le psalmiste déplore dans les six premiers versets, on serait tenté de leur donner raison… Pourquoi donc persévère-t-il à se tourner vers Dieu alors que tout porte à croire que c’est en vain? Mais le psalmiste ne lâche pas le morceau et s’accroche à ce qu’il a vécu dès sa naissance : la proximité avec le Seigneur, dont il semble certes douter, mais qu’il ne se résout pas à nier (v. 10-12).

La partie suivante (v. 13-22) donne l’impression de nous enfoncer encore plus profondément dans les malheurs du psalmiste. Décidément, rien ne va plus ; même les animaux s’en mêlent! Il s’agit vraisemblablement ici d’une description de type métaphorique. En effet, dans la littérature ancienne, les bêtes féroces représentent souvent les forces du mal sous toutes ses formes. Les chiens, les lions et les buffles sont sans doute les gens qui s’en prennent au psalmiste. Ce dernier n’est peut-être pas vraiment victime d’attaques physiques mais très certainement de cruauté mentale. Mais tout comme dans la partie précédente, il ne perd pas espoir et continue de supplier le Seigneur de venir à son secours.

Les derniers mots du verset 22 annoncent un revirement complet de situation : « Ah, tu m’as répondu! » Dieu, qui semblait jusqu’ici sourd, aveugle et muet, réagit enfin! La suite (v. 23-32) vient contredire toutes les déclarations précédentes. Le Seigneur est vraiment à l’écoute de celui qui n’en peut plus et le tire de son épreuve. Le psalmiste exprime une sorte de repentir, de regret d’avoir douté de la bienveillance divine : « Le Seigneur […] n’a ni méprisé ni rejeté le misérable accablé; il ne s’est pas détourné de lui, il a entendu son appel. »

Alors qu’il se montrait jusqu’ici centré sur son malheur, le psalmiste, dans la joie d’être sauvé, ouvre sa prière plus largement et selon une remarquable progression. Il commence par louer Dieu « dans la grande assemblée » (v. 26). Puis il invite tous les humbles à sa table (v. 27) avant de lancer un appel aux « peuples les plus lointains » (v. 28) à se souvenir des bontés du Seigneur. Même les morts peuvent se réjouir (v. 30), car « leurs descendants »  pourront continuer à servir Dieu et à témoigner de lui « à la nouvelle génération » (v. 31). La description de l’épreuve dans les deux premières parties était très individualiste, centrée sur le plaignant. La louange en conclusion déborde sur tout l’univers et au-delà du temps : le peuple, la terre entière, les générations à venir sont conviés aux réjouissances.

La tradition chrétienne a tôt fait de reconnaître dans ce psaume les traits du Christ dans sa passion et sa résurrection. Plusieurs aspects des souffrances qui y sont décrites correspondent en effet aux opprobres et au supplice que Jésus a subis : insultes, moqueries, provocations, tirage au sort des vêtements. Et la délivrance finale fait immanquablement penser à la glorification du Christ, à sa résurrection. Les chrétiens et chrétiennes qui lisent ou chantent ce psaume verront donc sans peine se profiler derrière les mots de ce psaume le Messie crucifié qui sera bientôt délivré de la mort. Cela dit, chacun et chacune peut aussi faire sienne cette prière d’une grande richesse. Elle couvre, en effet, tout le spectre de ce qui peut être vécu sur le plan spirituel, depuis l’impression d’abandon jusqu’à la louange sans retenue en passant par les moments de doute, d’obscurité, de lumière et de paix.

Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.

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Trésors de la prière juive et chrétienne, les psaumes n'en demeurent pas moins des textes qui demandent parfois d'être apprivoisés. Cette chronique propose une initiation aux psaumes et à la prière avec les psaumes.