Tobit, Tobie et l’archange Raphaël. Initiale O. Manuscrit du 14e siècle. Metropolitan Museum of Art, New York (Wikimedia).

Dieu qui frappe et fait grâce – AT5

Paul-André DurocherPaul-André Durocher | 22 juin 2020

Référence biblique : Tobie 13, 2-9
Liturgie des Heures : Mardi I – Laudes

2Béni soit Dieu, le Vivant, à jamais !
Béni soit son règne !

C’est lui qui frappe et fait grâce, †
qui mène à l’abîme et en ramène :
nul n’échappe à sa main. 

3Rendez-lui grâce, fils d’Israël, à la face des nations.
où lui-même vous a dispersés ;
4 là, vous montrerez sa grandeur :
Exaltez-le à la face des vivants.

Il est notre Dieu, notre Père 
le Seigneur, pour les siècles des siècles !

5 Il vous frappait pour vos péchés,
maintenant il fait grâce : *
il vous rassemble de toutes les nations
où vous étiez disséminés.

6 Si vous revenez vers lui de cœur et d’âme †
 pour vivre, dans la vérité, devant lui, *
alors il reviendra vers vous 
 et jamais plus ne cachera sa face.

7 Regardez ce qu’il a fait pour vous,
rendez-lui grâce à pleine voix  
Bénissez le Seigneur de justice,
exaltez le Roi des siècles !

8 Et moi, en terre d’exil, je lui rends grâce ; *
je montre sa grandeur et sa force
 au peuple des pécheurs.

« Revenez, pécheurs, †
et vivez devant lui dans la justice. *
Qui sait s’il ne vous rendra pas
 son amour et sa grâce ! »

9 J’exalterai mon Dieu, le roi du ciel ;
mon âme se réjouit de sa grandeur.

Bénissez le Seigneur, vous, les élus !
Fêtez-le, rendez-lui grâce !

À l’origine. Lorsque Cyrus roi des Perses mit fin à l’exil des juifs à Babylone en 538 av. J.-C., plusieurs décidèrent de demeurer là où ils étaient nés et avaient grandi plutôt que de déménager à Jérusalem. De nombreuses communautés juives continuèrent donc à évoluer à l’extérieur de la Palestine, s’adaptant à la langue araméenne de l’Empire perse. Quelques siècles plus tard, ils absorberaient aussi la culture hellénistique diffusée par Alexandre le Grand. Le livre de Tobie reflète les défis que connaissaient ces communautés qui tentaient de vivre leur foi juive dans une culture païenne.          

Pour l’auteur du livre, Tobie est un héros à imiter par les Juifs de cette diaspora. Il connaît la persécution à cause de sa fidélité à la loi de Moïse, en particulier pour son insistance à enterrer dignement ses coreligionaires décédés. Ses troubles s’accumulent au point où il demande à Dieu de le faire mourir. Au même moment dans une autre ville, Sarra, une jeune Juive fidèle et pieuse, elle aussi prie que Dieu lui donne la mort. Un démon a tué sept jeunes hommes qui auraient voulu la marier, pourtant c’est elle qui s’en fait accusée. Dieu entend la prière désespérée de ces deux justes et leur envoie l’ange Raphaël pour les délivrer de leurs épreuves.

Le cantique AT5 comprend la première partie d’un long poème que proclame Tobie lors du dénouement heureux de cette histoire. Il s’apparente aux psaumes royaux qui proclament le règne de Dieu, sa puissance et sa justice. (La seconde partie, d’allure prophétique, nous donne le cantique AT6). Tobie rappelle l’enseignement traditionnel selon lequel le peuple a été exilé à cause de ses péchés. Mais il invite à la conversion en se confiant à la miséricorde de Dieu.

Remarquons le titre que Tobie donne à Dieu dans le premier verset de ce cantique : « le Vivant ». Ce titre frappe l’imagination dans un livre traversé par le thème de la mort : mort injuste des exilés, menace de mort pour Tobie qui les enterre, mort des fiancés de Sarra, prière des deux protagonistes pour demander la mort. Mais Dieu est vraiment « le Vivant », car il possède plein pouvoir sur la mort et sur la vie : « il mène à l’abîme et en ramène, nul n’échappe à sa main. »

L’exil a été une expérience de mort pour le peuple. Tobie est convaincu qu’il est le résultat direct du péché du peuple. Mais il croit aussi que si Dieu a visité l’exil sur son peuple à cause de son péché, il pourra le ramener de cet abîme en prodiguant sa miséricorde. Tobie appelle son peuple à revenir vers Dieu « pour vivre dans la vérité devant lui. »  Il est convaincu que la conversion sera, pour ce même peuple, un chemin de vie; c’est pourquoi il insiste : « Vivez dans la justice devant lui. »

Ce livre hanté par la mort culmine ainsi dans un cantique de louange au Dieu de la vie, jumelé à un appel à revenir vers lui pour vivre en plénitude.

À la lumière de l’Évangile. À plusieurs reprises dans le Nouveau Testament, les auteurs se réfèrent au « Dieu vivant ». Mais le titre « le Vivant » n’est donné qu’une seule fois. Au début de l’Apocalypse de Jean, lorsque l’auteur a une vision du Christ ressuscité dans la gloire, celui-ci s’identifie avec ces mots : « Moi, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant. » (Ap 1,17)

Comme le livre de Tobie, l’Apocalypse est marqué par le thème de la persécution et de la mort. Mais dès le début, Jésus proclame sa victoire sur les puissances de la mort : « J’étais mort, et me voilà vivant pour les siècles des siècles. » Encore plus, il partage la totalité du pouvoir du Père : « Je détiens les clés de la mort et du séjour des morts. » (Ap 1,18)

Aussi le dernier livre du Nouveau Testament nous invite-t-il à mettre notre confiance en ce Dieu vivant et en son Christ, car la persécution, le mal et même la mort ne peuvent nous arracher à son amour. En Jésus, nous sommes appelés à mourir au péché afin de vivre pour Dieu. Comme le rappelle saint Paul : « Présentez-vous à Dieu comme des vivants revenus d’entre les morts, présentez à Dieu vos membres comme des armes au service de la justice. » (Rom 6,13).

Dans ma vie. Lorsque je me replie sur moi-même dans un élan orgueilleux, dans un moment de colère ou dans une indifférence égoïste, les forces de la mort prennent le dessus sur moi. Je dois le reconnaître, en ces moments, je n’éprouve ni joie, ni paix. Je ne me sens pas très vivant. Mais si je lève les yeux vers d’autres horizons, si je me détourne de ce qui provoque cet orgueil, cette colère ou cet égoïsme en moi, je peux voir autour de moi des signes de vie : la bonté, la créativité, la beauté et le service des autres. Ils deviennent pour moi des signes de l’Esprit qui continue à travailler les cœurs pour y porter le dynamisme du Christ ressuscité. Il veut travailler mon cœur aussi, pour que je sorte de ma mort morale et spirituelle et que je m’ouvre à la présence amoureuse du « Vivant. »

Dans le plan de Dieu. Pour nous libérer de nos exils, Dieu a envoyé son Fils unique nous révéler le chemin de la vie. En acceptant de se laisser submerger par les flots de la mort, celui-ci a pris sur lui notre propre mort. En ressuscitant dans la puissance de l’Esprit, il nous ouvre des portes d’espérance et de vie. Avec les mots de Tobie, louons Dieu « le Vivant » de nous avoir fait entrer dans la vie, de nous libérer des puissances de la mort et de faire de nous ses témoins joyeux sur la terre des vivants. « Regardez ce qu’il a fait pour vous, rendez-lui grâce à pleine voix! »

Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau et administrateur apostolique du diocèse de Mont-Laurier (Québec).

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Trésors de la prière juive et chrétienne, les psaumes n'en demeurent pas moins des textes qui demandent parfois d'être apprivoisés. Cette chronique propose une initiation aux psaumes et à la prière avec les psaumes.