Musicien jouant de la cithare. Psautier de Stuttgart, folio 23. Bibliothèque d’État du Wurtemberg, Stuttgart (Wikipédia).

Jean Grou | 31 mai 2021

Lire le psaume (version liturgique)

« Généralement ensoleillé, avec passages nuageux. » Cette formule typique des bulletins de météo pourrait servir de métaphore pour le Psaume 92 (91). Celui-ci, en effet, enchaîne les expressions de louange, d’action de grâce et d’allégresse sans perdre de vue le côté parfois sombre et pénible de nos jours. Le point de départ est cependant résolument joyeux : « Qu’il est bon! » (v. 2) La mention d’instruments de musique (lyre, harpe, cithare) qui arrive tout de suite après (v. 4) nous rappelle que les psaumes ont été composés pour être chantés. L’enthousiasme du psalmiste est tel qu’il se dit heureux de « rendre grâce au Seigneur » (v. 2) dès le matin et jusqu’au milieu de la nuit! (v. 3)

Ce qui caractérise ce psaume, aussi, c’est sa parenté avec les écrits de la sagesse (v. 7-8.13-14) qui mettent en parallèle le sort des justes et celui des mécréants ou des malfaisants. Les premiers sont comblés de bénédictions et les seconds subissent le malheur, courent à leur perte. Cette vision de la vie, courante dans la Bible, a cependant été remise en question dans quelques écrits de la tradition juive, notamment dans le livre de Job. Le récit de ce malheureux homme rappelle que la réalité n’est pas aussi simple et que la présence du mal dans le monde demeure un mystère.

Ce qui frappe aussi dans le Psaume 92 (91), c’est qu’il semble presque prendre plaisir à proclamer l’extermination de ceux qu’il appelle « l’homme borné », « les impies » et « tes ennemis ». Ces paroles contrastent radicalement avec les expressions de joie qui apparaissent dans les premiers versets. On peut même se demander s’il est possible de prier chrétiennement avec ce psaume, compte tenu de l’invitation que Jésus lance à ses disciples : « Je vous dis de ne pas riposter au méchant. […] Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. » (Matthieu 5, 39.44)

Pour affronter cette difficulté bien réelle, le pape François propose une réflexion éclairante à propos de la littérature biblique en général et des psaumes plus spécifiquement :

Les auteurs sacrés ne veulent pas nous tromper sur l’homme : ils savent que son cœur abrite également des sentiments peu édifiants, et même de la haine. Aucun de nous ne naît saint, et quand ces mauvais sentiments frappent à la porte de notre cœur, il faut être capables de les désamorcer par la prière et par les paroles de Dieu. Dans les psaumes, nous trouvons également des expressions très dures contre les ennemis […] ; pourtant ce sont des paroles qui appartiennent à la réalité humaine et qui ont fini dans le cadre des Saintes Écritures. Elles sont là pour témoigner que si les paroles n’existaient pas face à la violence, pour rendre les mauvais sentiments inoffensifs, pour les canaliser de manière à ce qu’ils ne nuisent pas, le monde en serait entièrement submergé. (Catéchèse du 21 avril 2021 ; source : zenit.org)

Revenons au Psaume 92 (91). La virulence de certaines de ses expressions reflète manifestement une expérience bien concrète d’épreuves. Celles-ci étaient vraisemblablement reliées, entre autres, à la pratique religieuse, compte tenu de la mention des « impies ». Comme les Israélites à l’époque, il ne va pas toujours de soi de vivre sa foi aujourd’hui. Les croyants peuvent rencontrer de l’adversité et même, dans certaines régions du monde, risquer leur vie simplement en s’affichant disciples du Christ. Le Psaume 92 (91) peut alors devenir un chant d’encouragement qui invite à demeurer ancré en ce qui est le plus sûr, le plus solide : la parole de Dieu. Et pour le prier dans un esprit chrétien, il suffit de se dire que les ennemis et les impies que son auteur souhaitait voir disparaître sont, pour nous, non pas des personnes mais bien le mal, la rancœur, l’incompréhension ou tout autre sentiment destructeur qui habite les cœurs de trop de gens. Ce sont ces cœurs que nous voulons présenter au Seigneur pour qu’il les transforme et qu’il en chasse les nuages qui les obscurcissent.

Jean Grou est bibliste et rédacteur en chef de Vie liturgique et Prions en Église.