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Récitatif biblique

 

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chronique du 24 octobre 2014

 

Marcel Jousse et les exégètes

Institut biblique pontifical

Institut biblique pontifical (Rome)

Avant et après la publication de sa thèse sur le style oral, Jousse fit sensation dans le monde de l’exégèse, en particulier à l’Institut biblique pontifical. Le chapitre de Gabrielle Baron intitulé « Rome (1927) » (p. 73-78) décrit l’enthousiasme qu’il suscita parmi ses auditeurs de l’Institut biblique, mais annonce aussi la résistance qu’il allait rencontrer chez les exégètes.

     En 1928, au théâtre des Champs-Élisées, une démonstration de récitatifs bibliques avait amené un auditeur à écrire : « Je n’oublierai jamais l’impression que m’ont faite ces jeunes filles toutes simples, sans éducation musicale particulière qui, le plus naturellement du monde, ont rythmo-mélodié devant nous le cantique de Paul :

« Si je parle les langues
des hommes et des anges
Si je n’ai pas l’amour
je suis l’airain sonnant, la cymbale tintante... » (Baron, p. 82)

     Dans l’édition de 1956 de son commentaire sur la première lettre de Paul aux Corinthiens, le Dominicain Ernest Allo consacre quelques pages à réfuter l’opinion de Jousse : « Le style oratoire de Paul ne ressemble pas le moins du monde, dans son ensemble et son allure ordinaire, à une succession de récitatifs, pas plus qu’à des “traductions-décalques” » (p. 29). « Ce mythe mort-né de “traductions-décalques” faisant passer le prétendu araméen de Paul dans le grec de Tite ou de n’importe qui, est inconciliable avec tout ce que nous savons des allures de Paul, par l’histoire ou la philologie » (p. 31). Et il traduit 1 Co 13,1 : « Supposé que je parle les langues des hommes, et [celles] des anges, mais que je ne possède pas la charité, je suis passé à l’état d’airain sonnant et de cymbale retentissante. »

     Une telle fin de non-recevoir ne fut pas le fait de tous les exégètes. Au cours des années cinquante, Lucien Cerfaux, de Louvain, était reconnu comme l’un des grands exégètes catholiques. Le 17 février 1954, il écrivait à Gabrielle Baron : « J’ai l’habitude, dans mes cours, de commencer toujours par Le style oral de Marcel Jousse » (cité en Jousse II, p. 201).

     Raymond Pautrel est moins connu, mais il collabora à l’édition en fascicules de la Bible de Jérusalem (l’Ecclésiaste, Tobie). Il avait étudié à l’Institut biblique et fut professeur au scolasticat jésuite de Fourvière. En 1934, Jousse disait à son propos : « Il sera intéressant de voir ce jeune, totalement maître de lui-même, appliquant les méthodes que nous avons suffisamment enseignées : il sera intéressant de voir où il va aboutir, puisque nous travaillons indépendamment l’un de l’autre. » En 1930, Jousse avait publié une étude intitulée Les rabbis d’Israël. Les récitatifs rythmiques parallèles. I. Le genre de la maxime. Après une brève introduction, il présentait cinquante « récitations ». La récitation VI est intitulée : « Élévation et abaissement »; elle consiste en deux récitatifs :

1. Quiconque s’abaisse lui-même,
    celui-là le Saint l’élève
2. Quiconque s’élève lui-même,
    celui-là le Saint l’abaisse.

     Quelques années plus tard, en 1936 et 1938, Pautrel publia deux articles intitulés : « Les canons du mashal rabbinique » (Recherches de science religieuse). Le mot hébreu mashal signifie d’abord proverbe, mais chez les rabbins d’Israël il désigne un petit récit qui comporte un enseignement. Étudier le mashal aide à situer les paraboles de Jésus, celui que Jousse appelait le rabbi Ieshoua. Pautrel se proposait d’inventorier et de classifier deux milliers de mashal, afin d’identifier les lois (les canons) qui gouvernent ce genre. Un spécimen :

Un roi fit bâtir un palais
par un architecte
Il lui déplut
Contre qui doit-il se fâcher?
N’est-ce pas contre l’architecte?

Un roi fit conclure une affaire
par un intermédiaire
Elle échoua
Contre qui doit-il murmurer?
N’est-ce pas contre l’intermédiaire?

     Travail minutieux, mais passionnant, et dont l’enjeu est de voir si, oui ou non, les paroles de Jésus qui nous parviennent sont bien de lui et peuvent avoir été transmises de mémoire. C’était l’enjeu du travail de Jousse sur le style oral.

Gabrielle Baron, Mémoire vivante. 1981.

Gaston Lessard

Article précédent :
L’homme depuis Le style oral (1925) jusqu’à sa mort (1961)