Le centurion. James Tissot, entre 1886-1894. Aquarelle et graphite, 24.9 x 13.2 cm. Brooklyn Museum, New York (Wikimedia).

Ascendant d’un centurion romain

Hélène BoudreauHélène Boudreau | 10 avril 2023

Lors de la Session Passion de mars dernier à Nicolet, plusieurs participantes ont fait la découverte d’un personnage très intéressant : le centurion romain témoin de la mort de Jésus. Dans l’Évangile de Luc [1], ce personnage n’est présent que dans un seul verset :

 Voyant ce qui était arrivé, le centurion glorifiait Dieu disant : « Réellement, cet homme était un juste » [2].

Ce personnage apporte de la lumière dans un récitatif (Lc 23,44-49) qui autrement est fort sombre et douloureux. « L’obscurité se fit sur toute la terre… le soleil s’étant éclipsé [3] » (vv. 44 et 45) puis « les foules… s’en retournaient en se frappant la poitrine » (v 48) ; « tous ses familiers se tenaient au loin… » v. 49 [4].

Qui est ce centurion ?

On peut supposer que son rôle officiel est d’assurer que l’ensemble des crucifixions se déroule selon un ordre établi et que les foules soient contenues. Dans les gestes du récitatif, on affirme l’autorité dévolue au centurion : la posture est redressée, le regard solide, le poing droit se fermant sur la hanche gauche comme pour tenir le pommeau d’une épée. Ses paroles auront donc du poids, de l’importance. Le centurion se base sur des faits qu’il a pu observer,  non seulement au moment de la crucifixion – « Voyant ce qui était arrivé… » – mais aussi possiblement depuis le palais de Pilate (voir Lc 23, 1-7.13-25). Ce centurion a peut-être vu et entendu les témoignages et accusations des chefs religieux juifs (23,2.18-20.21.23) devant Pilate. Il a peut-être aussi pu apprécier qui est Jésus en l’observant tout au long des heures du procès, de la marche vers le Golgotha et de la crucifixion.

Une nouvelle perspective pour le centurion

Ce centurion semble abandonner son arme pour glorifier Dieu. Il baisse sa garde devant Jésus mort, mais innocent.  On peut retrouver là un retour du balancier avec ce qui s’est passé la veille, au Jardin des Oliviers : parmi les disciples de Jésus, quelqu’un avait dégainé son glaive pour enlever l’oreille du serviteur du grand prêtre (Lc 22,49-50)

Et quelles paroles nous offre ce centurion !  « Réellement, cet homme était un juste ! » Dans le geste du récitatif, les bras bien tendus vers l’avant, la main droite descend vers la main gauche en un geste tranchant. Le geste fait bien sentir la clarté de la position du centurion, comme s’il tranchait la question une fois pour toutes.  En une phrase, le centurion questionne la justesse des débats et de la décision du Sanhédrin (Lc 22,66-71).

Il semble que le centurion n’ait pu retenir son mouvement intérieur, tellement il était fort. Lui aussi, tout comme d’autres personnages rencontrés tout au long de l’Évangile (centurion romain, Lc 7,1-10 ; chef de la synagogue, Lc 8,40-56 ; Zachée, Lc 19,1-10 ; Joseph d’Arimathie, Lc 23, 50-55) risque de perdre son autorité ou son prestige social en affirmant sa conviction personnelle face à Jésus. Même ses propres soldats se sont moqués de Jésus (Lc 23,36-37). La vie de notre centurion risque d’être profondément changée à la suite de son affirmation. Il ne sera plus jamais le même.

Effet des paroles du centurion

L’Évangile de Luc est ponctué de moments où la foule rend gloire à Dieu pour les miracles opérés par Jésus (Lc 4, 15-21 ; 5,25-26 ; 7,16 ; etc…). Lorsqu’elles entendent cette phrase, « Réellement, cet homme était un juste », les foules assemblées reconnaissent leur erreur de jugement et « s’en (retournent) en se frappant la poitrine ». Leur désespoir est profond : certains réalisent peut-être que le Messie attendu depuis des siècles vient d’être exécuté selon une coutume romaine. Ils ont prêté l’oreille aux paroles vindicatives de leurs chefs religieux au lieu de se rappeler pourquoi ils avaient suivi et écouté Jésus. La rectitude du centurion fait ressortir l’ambivalence des foules face à Jésus.

Ceux qui devraient se prononcer, c’est-à-dire ses proches, ses disciples, les miraculés, ne disent rien. Il peut paraître surprenant que ce soit un étranger, un « conquérant », un non-Juif qui, le premier, reconnaît l’innocence de Jésus. Ce choix confère au personnage une certaine impartialité.

Et pour nous aujourd’hui

Quel impact ce témoignage a-t-il aujourd’hui ? Dans notre société, quelles sont les voix qui s’élèvent pour nous interpeller ? Quelles paroles – on pourrait dire prophétiques – sortent des clichés et réveillent nos consciences endormies ou désinformées ? Saurons-nous – comme le centurion en Lc 23,47 – voir, entendre, tenir compte des faits réels, reconnaître la Vérité et prendre la responsabilité de nos convictions ? À partir de cette prise de conscience, ajusterons-nous nos décisions et nos agirs pour reconnaître ce Juste et cheminer avec Jésus mort et ressuscité ?

Hélène Boudreau est transmetteure de l’Association canadienne du récitatif biblique.

[1] Dans les deux autres évangiles synoptiques, on retrouve également un centurion qui s’exclame après la mort de Jésus (Mt 27,54 ; Mc 15,39).
[2] Traduction de Louise Bisson, 2004.
[3] Traduction de Louise Bisson, 1996.
[4] Traduction de Louise Bisson, 2004.

Jousse

Récitatif biblique

L'Association canadienne du récitatif biblique propose une chronique mensuelle pour comprendre la discipline spirituelle qui rassemble ses membres. Axée sur la Parole et sur son effet sur l'ensemble de la personne, le récitatif biblique est une forme de méditation où tous les sens sont sollicités.