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Archéologie
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chronique du 12 septembre 2003
 

Objet cultuel du temple de Jérusalem
 

Pendant l'été 1979, un épigraphiste français flânait dans la boutique d'un marchand d'antiquités de Jérusalem quand son attention fut éveillée par un petit objet en ivoire, pas plus grand que le pouce. L'objet se révéla être un émouvant souvenir du premier temple de Jérusalem.

Pomme grenade sculptée

Pomme grenade (associée au Temple de Salomon)
Jérusalem
VIIIe siècle avant notre ère
ivoire
© Musée d'Israël, Jérusalem

     L'objet consiste en une grenade sculptée dans une seule pièce d'ivoire; le corps de la grenade est globulaire, pour être surmonté d'un cou, d'où six pétales se dégagent. La coupe de la grenade est très soignée. Malheureusement, deux pétales ont été cassées et un gros fragment du corps manque. Les dimensions de la grenade sont toutefois relativement petites : elle fait 4,3 cm de hauteur pour un diamètre de 2,1 cm; la base plate est creusée d'un trou de 6 mm de diamètre et de 10 mm de profondeur : de toute évidence, cette grenade pouvait être fixée à une tige d'ivoire ou de bois.

     Une particularité remarquable de cette petite grenade est l'inscription hébraïque en caractères pré-exiliques; si nous comparons la forme des lettres aux autres inscriptions connues, il faut dater l'objet vers la fin du VIIIe siècle av. J.-C., au cours du règne d'Ezéchias (716-687 av. J.-C.).

inscription

     L'inscription est gravée sur l'épaule de la grenade, à la base du cou, avec une précision qui écarte toute difficulté de lecture; il faut regretter que quatre lettres environ manquent, qui étaient incisées sur le fragment d'ivoire disparu. Comme l'inscription est gravée de façon continue, sans traits de séparation des mots, mais laissant libre un petit espace entre deux lettres, nous sommes donc assurés du début et de la fin de la ligne d'écriture: « lby(tyhw) hqdskhnm ». Les deux derniers mots sont clairs : « sacré pour les prêtres »; la grenade avait donc une fonction cultuelle, car le terme « sacré » dans la langue hébraïque, signifie essentiellement: « ce qui est réservé à Yahvé » pour son culte, et que seuls les prêtres peuvent manipuler. Vu ce contexte assuré, il est tout à fait probable qu'il faille restituer les quatre lettres : tyhw, mises en parenthèses ci-dessus, ce qui donne une phrase complète : « appartient au temple de Yahvé, sacré pour les prêtres ».

     À quoi pouvait servir une telle grenade? Le trou à sa base, avons-nous dit, permettait de la fixer à une tige du même matériau ou d'un autre comme le bronze et le bois. Il est proposé d'y voir le pommeau d'un petit sceptre, suite aux deux arguments suivants : sur deux bas-reliefs assyriens de Ninive, le roi Sennachérib (704-681 av. J.-C.), monté sur son char, tient en main un sceptre qui est ainsi surmonté d'une grenade à une de ses extrémités. Surtout, dans un temple du XIIIe siècle avant J.-C., à Lakish, dans le sud de Juda, deux petits sceptres d'ivoire de 24 cm de longueur présentent justement des grenades fixées sur des tiges d'ivoire; le lieu de leur découverte traduit bien le caractère cultuel de leur utilisation. Voilà pourquoi on pense que cette grenade a pu faire partie d'un sceptre ayant servi au culte dans le temple de Jérusalem, bien que le lieu de sa découverte nous soit inconnu; son caractère de « sacré pour les prêtres » nous force à formuler une telle hypothèse.
 

sceptres
 

     Pourquoi décorer d'une grenade un sceptre royal ou sacerdotal pour utilisation cultuelle? Les lecteurs de l'Ancien Testament se souviennent sans doute que la grenade figure comme fruit symbolisant la fertilité ou la bénédiction de la Terre Promise; en effet, le désert de Sinaï, par contraste, est « un lieu impropre aux semailles, sans figuiers, ni vignes, ni grenadiers » (Nb 20,5); aussi de façon positive, cette Terre de Canaan est-elle définie comme « pays heureux… pays de froment et d'orge, de vignes, de figuiers et de grenades » (Dt 8,8). Il n'est donc pas surprenant de voir figurer la grenade en très bonne place comme motif décoratif sur des objets appartenant au temple : ainsi 400 grenades ornaient les chapiteaux des colonnes du porche du temple (1 R 7,42; 2 R 25,17), et en grand nombre, elles étaient brodées sur la frange du manteau du grand-prêtre (Ex 28,33-34). Il est possible que son symbolisme de fertilité ou de bénédiction divine ait été suggéré par la multitude de grains qu'elle renferme.

     Au-delà de la reconstitution du sceptre auquel a appartenu cette grenade et du déchiffrement de l'inscription sur son épaule, il faut souligner que nous sommes ici en présence d'un premier objet ayant servi au culte dans le temple de Jérusalem construit par Salomon et détruit par Nabuchodonosor en 587 avant J.-C. Sa modestie suffit à nous situer dans le contexte sacral de la présence de Yahvé dans la ville sainte, autour de laquelle toute l'histoire politique et religieuse du peuple élu a évolué pendant près de quatre siècles.

Guy Couturier, CSC
Professeur émérite, Université de Montréal

Source : Parabole ix/2 (1986).

 

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À la recherche d'un canton perdu

 

 

 

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