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Archéologie
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LASKLÉPIEION DE CORINTHE
 

Banquets des temples

L’objet de cette chronique d’archéologie porte trop rarement, sans doute, sur quelque sujet du Nouveau Testament. La traduction française d’un ouvrage majeur d’un professeur de l’École biblique de Jérusalem nous offre l’occasion de corriger un peu cette anomalie [1]. L’auteur réunit et commente tous les textes d’écrivains anciens sur cette ville prestigieuse, en y ajoutant les données archéologiques qui illustrent et confirment certains faits mentionnés dans les épîtres de Paul aux Corinthiens; cette mine d’informations a pu faire dire au signataire de la préface que l’on y trouve « tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Corinthe sans savoir où le trouver »!

Asklépeion

Les ruines de l’Asklépieion de Corinthe
(photo : Niko Lipsanen ; licence : Creative Commons)

     La ville de Corinthe a joué un rôle de premier plan, dans l’Antiquité, comme grand centre commercial de la Méditerranée orientale. Elle fut complètement dévastée par les Romains en 146 avant J.-C., puis rebâtie par Jules César en 44 avant J.-C. Il y établit une forte colonie d’affranchis romains, d’où les deux grandes ethnies qui l’habitaient au temps de Paul (Grecs et Romains).

     Un des problèmes qui se pose à la jeune Église de Corinthe et que Paul tenta de résoudre concerne l’attitude que peut prendre le chrétien face aux idolothytes, ou les viandes consacrées aux idoles. Paul discute longuement de ce trait de la vie courante dans un monde encore païen (1 Co 8-10). Les fouilles américaines en cours depuis plusieurs années déjà éclairent fort joliment certains traits de cette pratique auxquels Paul fait allusion.

     D’après les remarques de Paul, on pouvait consommer ces viandes qui avaient d’abord été offertes aux dieux (idoles) dans les maisons privées, puisqu’on pouvait se les procurer dans les marchés; en effet il utilise le terme makellos qui est de toute évidence une grécisation du macellum latin (marché; voir 1 Co 10,25). Lors des grandes fêtes, on devait être inondé de ce genre de denrée. L’écrivain Plutarque, né près de Corinthe au temps du séjour de Paul, raconte l’anecdote suivante qui se passa chez un certain Aristion : « Le cuisinier d’Aristion recevait des félicitations de la part des invités pour avoir préparé un repas excellent, en particulier, pour avoir servi le coq que l’on venait de sacrifier à Héraclès (l’Hercule des latins connu pour ses exploits de force) aussi tendre que s’il avait été tué la veille, alors qu’il était au contraire du jour même et tout frais. Aristion nous dit que c’était facile à obtenir car il suffisait de suspendre la bête à un figuier aussitôt après l’avoir égorgée. » Les archéologues américains ont mis au jour ce marché de Corinthe près de l’agora, soit le centre de la vie publique de la ville ancienne. Il était donc possible pour un chrétien bien averti et solide dans sa foi de se procurer discrètement ces viandes et d’en faire usage en famille derrière les portes closes de sa maison. Le « fort » (l’ayant connaissance) ne risque pas ainsi de scandaliser le « faible », qui n’est que nouvellement sorti du paganisme.

     Mais Paul nous dit encore qu’un tel usage de viandes offertes aux dieux pouvait avoir lieu en public, soit dans l’enceinte même du temple : « Si quelqu’un te voit, toi qui as la science, attablé dans un temple d’idoles, sa conscience à lui qui est faible ne va-t-elle pas se croire autorisée à manger des viandes immolées aux idoles? » (1 Co 8,10). Il existe donc cette nouvelle occasion qui échappe à la loi de la discrétion. C’est ici que les fouilles nous éclairent de façon inattendue et fulgurante.

Asklépios

     Dans la partie nord de la ville, près d’une source abondante, on découvrit le sanctuaire d’Asclépios (le Sérapis des latins), le dieu des guérisons; on appelait Asklepeion (ou Serapeion) cette installation à vocation religieuse, sans en nier la valeur de lieu de repos et de délassement. Vitruve, auteur latin de la fin du Ier siècle avant J.-C., écrit en effet : « Pour tous les temples on devra choisir les sites les plus sains avec des sources appropriées là où l’on doit ériger des Sanctuaires, particulièrement en l’honneur d’Asklépios et de Salus, et en général pour les dieux dont le pouvoir de guérir agit manifestement sur les gens. Car les personnes malades transportées d’un lieu malsain dans un lieu sain où l’eau provient de fontaines salubres retrouveront plus rapidement la santé. Il en résultera pour la divinité une réputation et une autorité accrues. » L’Asklépieion de Corinthe illustre très bien les raisons du choix de son lieu.

Asclépiéion

      Le plan de l’ensemble de l’installation, nous donnant ses trois dimensions, nous montre que le temple lui-même était bâti sur une petite hauteur, auquel on avait accès par une rampe. Devant lui s’étendait une grande cour carrée à ciel ouvert et bordée de portiques sur ses quatre cotés. Le portique nord abritait la source, dont les eaux étaient recueillies dans de grands réservoirs. Mais la partie de l’Asklépeion qui nous intéresse davantage est le bâtiment à deux étages, adossé à la colline et reliant le temple proprement dit et la cour, que l’on désigne sous le terme général d’abaton, ou lieu saint. Le premier étage, situé au niveau de la cour et juste derrière son portique est, était occupé par trois salles de dimensions égales dont la destination ne fait aucunement difficulté.

     En effet, sept couches étaient disposées autour de trois des murs de chacune des salles; les couches de coin pouvaient facilement accommoder deux personnes. Onze personnes pouvaient donc y prendre place. Devant chacune des couches une petite table était encore en place. Au centre de la pièce, on y a découvert une dalle carrée noircie et craquelée par le feu. De toute évidence ces salles servaient à la tenue de banquets, avec la possibilité même d’y faire la cuisine.
Quelle est la nature de ces banquets? Il ne fait pas de doute que des repas d’action de grâces pour des guérisons, des naissances, des mariages pouvaient y être célébrés. Toutefois un petit billet d’invitation trouvé à Corinthe laisse entendre qu’on pouvait aussi y prendre un simple repas de réjouissance profane, entre amis et dans un lieu frais et tranquille, bien que la présence immédiate du dieu dans son temple lui confère du même coup un certain caractère religieux; on y lit en effet : « Herais t’invite à dîner dans la salle du Sérapeion (Asklépeion) à un banquet du Seigneur Sérapis (Asklépeios), demain le onze à partir de la neuvième heure. » Il est donc clair qu’un chrétien pouvait recevoir une telle invitation d’amis non encore convertis. Paul confirme d’ailleurs une telle invitation : « Si un infidèle vous invite et que vous acceptez d’y aller, mangez ce qu’on vous servira, sans poser de question par motif de conscience. » (1 Co 10,27) En soi rien ne pouvait empêcher le fidèle d’y répondre, puisqu’il sait très bien que le lieu de ce banquet n’ajoute rien à la valeur de ce repas.

     Pour lui, il n’y a de Dieu que le Père de Jésus-Christ, lui-même son seul Seigneur (1 Co 8,5-6). Toutefois, il doit veiller à ce qu’un chrétien plus faible et moins au fait de toutes les dimensions de sa foi ne le voit ainsi attablé, et qu’il lui soit du même coup une occasion de scandale. Cette discussion de Paul sur l’attitude du chrétien face à des habitudes alimentaires (idolothytes), non totalement innocents au plan de la religion païenne, est singulièrement éclairée par la découverte de textes anciens et de vestiges archéologiques.

[1] R. Murphy O’Connor, Corinthe au temps de S. Paul, Paris, Cerf, 1986.

Guy Couturier, CSC

Source : Parabole xi/5 (1989).

 

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