La statuette de taurillon découverte par l’équipe de l’université australienne (photo © Macquarie University)

Baal, YHWH et les statuettes bovines

Éric BellavanceÉric Bellavance | 8 juin 2020

Au début de l’année 2020, 32 étudiants de l’Université Macquarie (Sidney, Australie) ont participé à une campagne de fouilles sur le site de Khirbet el-Rai, dans le sud d’Israël. Ce site avait déjà fait les manchettes en 2019 puisque les directeurs des fouilles, les professeurs Gil Davis et Yossi Garfinkel, respectivement directeur du programme d’études méditerranéennes anciennes à l’Université Macquarie et directeur de l’Institut d’archéologie de l’Université hébraïque de Jérusalem, soutiennent que le site pourrait être celui de l’ancienne ville de Ziklag. C’est dans cette ville, alors située en territoire philistin, que David se serait réfugié craignant d’être assassiné par Saül. Cette identification ne fait toutefois pas l’unanimité, loin de là. Une douzaine de sites potentiels ont été proposés.

Bien qu’ils n’aient pas encore fait de découvertes permettant d’identifier formellement le site, une autre, en fait, deux autres découvertes fort intéressantes y ont été faites récemment lors des fouilles auxquelles participaient les étudiants australiens : une statuette du dieu cananéen de la pluie de l’orage et de la fertilité, Baal (figure 1 plus bas), et une petite statuette d’un taurillon de bronze, qui rappelle évidemment le « veau d’or » biblique. À noter que cette dernière statuette a été retrouvée par une étudiante. Quelle chance! Selon les premières hypothèses, les deux objets dateraient du 12e siècle av. J.-C.

Baal

1. Statuette de Baal de Khirbet el-Rai (photo © Macquarie University) ; 2. Stèle de Baal d’Ougarit (photo © Musée du Louvre) ; 3. Stèle du dieu mésopotamien Adad (photo © Musée du Louvre).

La première statuette est assez facilement identifiable, même si son état de conservation n’est pas parfait (figure 1). Ce qui est un peu normal, après plus de 3000 ans! Comme la plupart des statuettes de Baal, elle devait originalement présenter le dieu de l’orage avec le bras droit levé, tenant une masse, et l’autre tenant la foudre. Comme c’est le cas sur cette stèle retrouvée à Ougarit datant du Bronze récent (1600-1200), aujourd’hui au Musée du Louvre (figure 2). Grâce à cette masse, Baal frappait les nuages pour créer le son du tonnerre. Il porte une tiare à corne, comme les dieux mésopotamiens. Dans son cas, ces cornes pourraient être associées au fait que son animal symbolique était le taureau (ou le taurillon), comme le dieu mésopotamien de l’orage, Adad (figure 3). Petit détail intéressant : sous ses pieds, il y a des vagues. Or, en Canaan – comme en Israël, évidemment – les nuages annonçant la pluie ou l’orage viennent généralement de la mer… D’autres statuettes du même dieu, de petites dimensions, ont été retrouvées. La position est généralement la même, comme vous pouvez le voir sur cette photo (voir plus bas).

Baal

Baal brandissant la foudre. Statuette trouvée à Minet el Beida, le port d’Ougarit, Phénicie (Syrie actuelle). Bronze et or (photo © Musée du Louvre).

Les choses se compliquent avec la statuette du taurillon (voir l’image principale, sous le titre). On pense immédiatement, évidemment, au fameux « veau d’or » de la Bible. Mais on parle ici d’un taurillon et non d’un taureau ou d’un veau. La différence est subtile, mais importante, nous le verrons. Dans l’article original [1], on utilise par ailleurs le mot anglais « calf » (taurillon) et non « bull » (taureau). Mais que représente cet animal? Ou plutôt, qui représente cet animal? Nous avons trois choix : El, le premier dieu principal du panthéon cananéen – souvent qualifié de taureau – Baal, dont l’animal symbolique est le taureau (ou le jeune taureau) ou finalement, le dieu d’Israël, YHWH. Avant de faire une brève analyse de cette nouvelle découverte et de tenter une réponse, il est nécessaire de comparer cette figurine à d’autres semblables qui ont déjà été retrouvées dans la région.

Taurillon de Byblos

Taurillon de Byblos (Wikimedia).

Un jeune taureau recouvert d’or datant du Bronze moyen (2000-1600) a été retrouvé à Byblos – au Liban moderne – dans un vase placé dans les fondations d’un temple. Il s’agit sûrement d’une offrande faite au dieu Baal ou encore à Reschef, un autre dieu de l’orage vénéré dans la région. Son corps gracile est un indice de son âge. Un autre exemple, datant à peu près de la même période, a été découvert dans la région d’Ashkelon. Il pourrait encore une fois représenter le dieu Baal lui-même ou une statuette lui ayant été offerte.

Taurillon d’Ashkelon

Taurillon d’Ashkelon (Avraham Hay / Musée d’Israël).

Dans ces deux cas, il s’agit évidemment de dieux cananéens. Mais des figurines semblables ont aussi été retrouvées en Israël. C’est le cas, notamment, d’un taurillon découvert dans la région de Samarie à la fin des années 1970. Il se trouve aujourd’hui au Musée d’Israël et peut être comparé à celui récemment découvert dans la région de Ziglak et dont l’identité pose problème. Cette figurine, qui est dans un meilleur état de conservation, a l’avantage d’avoir été étudiée en détail et nous permet d’émettre certaines hypothèses quant à l’identité du jeune taureau. Mais auparavant, il est nécessaire de faire un petit détour par les textes bibliques.

Taurillon de bronze de la région de Samarie

Taurillon de bronze de la région de Samarie (photo © Éric Bellavance)

Le taureau au Proche-Orient

D’entrée de jeu, il faut mettre quelque chose au clair : il n’est pas question d’un veau, mais bien d’un taurillon, c’est-à-dire d’un jeune taureau. Le veau est en fait un taurillon qui a été castré et qui deviendra un bœuf et non un taureau. Or, le veau et le bœuf n’ont jamais fait l’objet d’un culte au Proche-Orient. Le taureau, au contraire, est un symbole quasi universel de fertilité et de puissance dans tout le Proche-Orient. Plusieurs grands dieux ont été comparés au taureau : on peut penser à Enlil, le grand dieu des Sumériens, à Adad, le dieu mésopotamien de l’orage et de la fertilité (dont Baal serait une manifestation), à Ptah, un des premiers grands dieux d’Égypte, mais aussi au dieu El, premier chef du panthéon cananéen. Son fils, Baal, n’est jamais qualifié de taureau, bien qu’il porte à l’occasion un casque orné de cornes bovines. Notons également que ses statuettes le représentent généralement en tant que divinité anthropomorphe.
           
Les dieux proche-orientaux sont, règle générale, immortels. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas être remplacés par un autre dieu, plus « jeune ». En Mésopotamie, Enlil remplace son père, An (le dieu du ciel), comme roi des dieux, alors que Baal fait de même en Canaan avec son père El. Ces très anciennes divinités étaient alors remplacées par leur fils, plus jeune et plus dynamique. Le jeune taureau prenait la place du taureau vieillissant… Ces taurillons semblent avoir fait l’objet d’un culte très tôt. Voyez par exemple cette petite statuette d’un jeune taureau retrouvée dans le sud de la Mésopotamie (dans l’ancien pays de Sumer) datant du milieu du 3e millénaire.

Taurillon de Sumer

Taurillon de Sumer (photo © Musée d’Art de Cincinnati).

Veaux et taureaux dans l’Ancien Testament

Le dieu d’Israël n’est jamais qualifié de taureau. En fait, on dit, en deux occasions (Nb 23,22 et repris textuellement en Nb 24,8), qu’il est comme les « cornes d’un buffle » pour son peuple lors de la sortie d’Égypte. Il est intéressant de noter que le nom de Dieu dans le texte biblique est El… Mais n’insistons pas! Il n’est pas non plus qualifié explicitement de jeune taureau. Par contre, sur un ostracon (# 41) retrouvé dans la région de Samarie – c’est-à-dire, un tesson de poterie – et datant vraisemblablement de la première moitié du 8e siècle, on retrouve le nom « Egelyaw », que l’on pourrait traduire par « YHWH le jeune taureau ». Il ne s’agit toutefois pas d’une référence directe à YHWH ; c’est plutôt, semble-t-il, le nom d’un individu. Mais l’association entre YHWH et le taurillon existait bel et bien encore à cette époque.

Deux indices importants semblent démontrer que le « taurillon d’or » ne fait pas référence à un autre dieu que YHWH. Tout d’abord, dans l’épisode où Aaron fabrique une « idole » en métal fondu à la demande du peuple [2], la statue du dieu est associée à la sortie d’Égypte (Ex 32). Il ne peut donc s’agir d’un autre dieu que YHWH. De plus, Baal n’était pas encore connu – et n’est, par ailleurs, jamais associé à la sortie d’Égypte. Dans le deuxième épisode [3], Jéroboam (930-910), le premier roi du royaume d’Israël – après la division du royaume en deux, suite à la mort de Salomon – fait fabriquer deux taurillons d’or que l’on place dans les sanctuaires de Dan, au nord, et de Bethel, au sud (1 R 12,26-33). Même si les prophètes condamneront fortement le geste de Jéroboam, le message envoyé par le roi était fort et clair : YHWH est le dieu de tout le royaume d’Israël. Pas Baal, pas El, mais YHWH, représenté sous forme d’un jeune taureau en or.

Un passage biblique nous mène à croire qu’il s’agit bel et bien d’une représentation de YHWH et non de Baal (ou encore de son père El) : « Jéhu – qui a régné sur le royaume d’Israël de 841 à 814 – fit disparaître Baal du milieu d’Israël, mais il ne se détourna pas des péchés de Jéroboam, fils de Nebath, qui avait fait pécher Israël : il n’abandonna pas les veaux d’or qui se trouvaient à Béthel et à Dan. » (2 R 10, 28-29) L’auteur fait clairement une distinction entre Baal et les « veaux d’or ». Nous sommes donc du même avis que Matthias Köckert : les « taurillons d’or » font assurément référence à YHWH [4]. De plus, il ne s’agit pas de deux dieux, mais de deux représentations du même dieu. Et ce dieu n’est assurément pas Baal. L’image est forte : YHWH détrône El et prend la place de Baal!

Il est maintenant temps de regarder les objets de plus près. Tout d’abord, le magnifique jeune taureau de bronze retrouvé en Haute Galilée et exposé au Musée d’Israël, puis celui retrouvé au début de l’année 2020. Les deux statuettes auraient été fabriquées à peu près à la même époque, soit au 12e ou 11e siècle, mais à des endroits différents (l’une au nord, l’autre au sud).

Le jeune taureau de bronze du Musée d’Israël

L’histoire de la découverte de la statuette du taurillon de bronze du Musée d’Israël est inhabituelle et intéressante. Je vous raconte [5]. C’est un jeune soldat du nom d’Ofer Broshi qui, en 1977, a trouvé l’objet par hasard au sommet d’une colline située entre les villes bibliques de Dothan et Tirzah, dans ce qui était le territoire de la tribu de Manassée. Il retrouve, partiellement recouverte de terre, une statuette en bronze d’un jeune taureau qu’il ramène à son kibboutz (Shamir, en Haute Galilée). La figurine est alors exposée dans un petit « musée » qui possédait une collection d’objets antiques. Lorsque le professeur Amihai Mazar, de l’Université hébraïque de Jérusalem, a été informé de la découverte, il a tôt fait d’en réaliser l’importance et a contacté l’Autorité des antiquités israéliennes. Après négociation, la statuette a été transférée au Musée d’Israël pour y être étudiée. Entre-temps, le professeur Mazar a demandé au jeune Broshi de le conduire sur le site de la découverte, que l’on appelle aujourd’hui le « site du taureau » (« Bull Site »). Il entreprend alors des fouilles en règle en 1978, puis en 1981. Lui et son équipe réalisent alors qu’il ne s’agit pas d’un ancien village, mais plutôt d’un lieu de culte, semblable aux « hauts lieux » décrits et condamnés dans l’Ancien Testament. Ils y retrouvent des tessons de poterie provenant de bols, de pots pour la cuisson, etc. Selon la datation proposée par Mazar, ces objets dateraient du début de l’âge du fer, soit vers 1200, époque où les ancêtres des Israélites commencent à s’établir de façon permanente dans la région. Selon Köckert, elle daterait plutôt du 11e siècle, alors que selon Israel Finkelstein [6], ces objets dateraient de l’âge du bronze (entre le 15e et le 12e siècle). Quoi qu’il en soit, le site, où un autel de pierre a aussi été retrouvé, aurait, semble-t-il, été en activité pendant une courte période. Et ce petit taureau de bronze aurait été utilisé dans un quelconque rituel religieux à l’époque des Juges ou au début de l’époque monarchique. Étant donné que le site est situé plutôt loin des « grandes » villes cananéennes, mais que plusieurs sites de petits villages proto-israélites ont été retrouvés près du site, ce sanctuaire à ciel ouvert pourrait avoir servi de lieu cultuel commun.

Revenons à la statuette du Musée d’Israël [7]. L’inscription qui accompagne l’objet précise que la statuette est d’inspiration cananéenne, mais qu’elle a été retrouvée dans un lieu de culte israélite et qu’il pourrait s’agir d’un objet symbolisant le Dieu d’Israël ou une sorte de piédestal pour le Dieu « invisible ». Comme dans les exemples présentés plus haut, l’animal a un air juvénile avec ses grandes pattes minces, son corps plutôt frêle – rien à voir avec un taureau adulte ! – ses grands yeux, etc. Même si Mazar utilise le mot « bull » (taureau) dans le titre de son article, l’archéologue est d’avis qu’il s’agit d’un jeune taureau. Mais à savoir quelle divinité était vénérée sur ce haut-lieu, Mazar est indécis : peut-être YHWH, peut-être Baal. Et pourquoi pas les deux?

La plus récente découverte sur le site supposé de Ziklag démontre que les deux divinités pouvaient être vénérées dans un même lieu. Soulignons qu’aucune statuette de Baal n’a été retrouvée sur le « site du taureau ». Ce qui rend les découvertes de l’Université Macquarie d’autant plus intéressantes. La présence d’une statuette de Baal, aisément identifiable, nous permet de supposer que le taurillon représente symboliquement YHWH. Que les deux divinités aient fait l’objet d’un culte dans une même ville ou dans un même village n’a rien de surprenant. Malgré les nombreuses dénonciations des prophètes bibliques, du nord comme du sud, le dieu Baal a été vénéré au moins jusqu’à la réforme religieuse du roi Josias (620-609), dans le dernier quart du 6e siècle [8]. Mais il faudra évidemment attendre un peu avant de trancher le débat. Il faut souligner que le site n’est fouillé que depuis 2015. D’intéressantes découvertes sont donc à espérer dans les prochaines années !

Pour conclure, l’idée qu’un taurillon puisse représenter YHWH ne doit pas nous surprendre. L’expression du monothéisme est un long processus de maturation qui a traversé plusieurs étapes en passant par celle de la monolâtrie, c’est-à-dire par l’identification d’une divinité nationale, YHWH, qui n’exclut pas l’existence des autres dieux. Il faudra attendre l’exil babylonien et surtout le retour des exilés pour que cette monolâtrie évolue vers un véritable monothéisme qui caractérise les religions abrahamiques.

Éric Bellavance est historien et bibliste. Il est chargé de cours aux universités de Montréal, McGill et Concordia.

[1] Sophie Gidley, « Rare figurines uncovered at lost biblical city », The Lightouse, 8 avril 2020.
[2] Il faut noter que le texte biblique est problématique. Le peuple demande « des dieux » et Aaron ne façonne qu’une seule statue.
[3] À noter que même s’il est placé plus tard chronologiquement dans le récit biblique, l’épisode de Jéroboam a sans doute été écrit avant celui de l’Exode.
[4] Matthias Köckert, « YHWH in the Northern and Southern Kingdom », dans Reinhard G. Kratz et Hermann Spieckermann, dirs., One God – One Cult – One Nation: Archaeological and Biblical Perspectives, Walter de Gruyter, Berlin/ New York, 2010.
[5] Pour l’histoire complète, voir : Amihai Mazar, « Bronze Bull Found in Israelite ‘High Place’ from the Time of the Judges », Biblical Archaeology Rewiew, Septembre/ Octorbre 1983, Volume 9, Numéro 5, pp. 34-40.
[6] Israel Finkelstein, « Two Notes on Northern Samaria: The ‘Eeinun Pottery’ and the Date of the ‘Bull Site’ », Palestine Exploration Quarterly, 130:2, 1998, pp. 94-98.
[7] Soulignons qu’à ce jour, il s’agit de la plus grande statuette bovine retrouvée en Israël (une quinzaine de cm de long et une dizaine de haut).
[8] À noter que des objets destinés au culte de Baal était encore présents dans le temple de Jérusalem à cette époque (voir 2 Rois 23,4).

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.