Teglath-Phalazar III représenté sur un bas-relief du palais de Nimrud (photo © Trustees of the British Museum).

Les débuts de l’Empire assyrien et la chute du royaume d’Israël

Éric BellavanceÉric Bellavance | 11 janvier 2021

Nous poursuivons cette série sur les grands rois mésopotamiens qui ont eu un impact sur l’histoire de l’Israël biblique. Dans l’article qui suit, il sera d’abord question du roi assyrien Téglath-Phalasar III, le véritable fondateur de l’Empire assyrien. Sous son règne, l’Assyrie prend contrôle de la Syrie-Palestine. Deux de ses successeurs, Salmanasar V (727-722) et Sargon II (722-705), seront quant à eux responsables de la conquête du royaume d’Israël, de la prise de la capitale du nord, Samarie, et de la déportation d’une portion importante de la population, menant ainsi à la dispersion des dix tribus du nord.

Téglath-Phalasar III (745-727)

L’Empire assyrien prend vraiment son envol à partir du règne de Teglath-Phalazar III (745-727). Il va lancer des réformes administratives et militaires. À partir de cette époque, l’armée devient permanente ; auparavant, les soldats devaient retourner périodiquement sur leur terre pour l’époque des semences, des récoltes. Être soldat n’était pas un métier. Les choses changent avec Teglath-Phalazar III. Grâce à une armée permanente, les Assyriens pouvaient désormais laisser des garnisons militaires dans les territoires conquis et occupés. De nouvelles « machines de guerre » font leur apparition. On utilise des chariots plus lourds, tirés par deux ou trois chevaux, pouvant être utilisés par quatre soldats. Et les cruautés se poursuivent… En fait, elles deviennent systématiques. On peut parler de brutalité méthodique et calculée : les ennemis sont décapités, écorchés vifs, empalés ou emmurés, enchaînés par la mâchoire ou le nez comme des animaux… Et plusieurs peuples sont déportés, comme on peut le voir sur ce bas-relief.

Bas-relief du palais de Nimrud

Bas-relief du palais de Nimrud (photo © Trustees of the British Museum).

Sous le règne de Teglath-Phalazar III (745-727), l’Assyrie étend son contrôle sur la Syrie-Palestine. On parle de lui dans la Bible. Il est question d’une campagne menée dans le nord d’Israël à l’époque du roi Péqah (vers 734). Il s’empare de plusieurs villes et déporte des habitants vers l’Assyrie (2 R 15,29). À peu près à la même époque, soit en 732, le roi de Juda, Akhaz, fait appel à lui alors que les rois de Syrie et d’Israël menacent de s’attaquer à Jérusalem (2 R 16,7). Résultat : Jérusalem n’est pas attaquée, mais le royaume de Juda devient vassal de l’Assyrie…

À noter que l’Ancien Testament devient une source historique importante et intéressante à cette époque. Il faut toujours être prudent parce que les auteurs bibliques ne sont pas des historiens ; mais leur interprétation théologique de l’histoire de l’époque contient des informations qui nous permettent parfois de compléter les sources assyriennes et babyloniennes. On apprend, par exemple, que le roi d’Israël Menahem (746-737) paie tribut à Téglath-Phalasar III en 737 et qu’il n’est pas le seul à le faire : 18 autres rois doivent payer un lourd tribut au roi assyrien. Si lourd en fait que le trésor royal est incapable de verser la somme exigée. Le roi d’Israël a donc été obligé de demander à chaque notable de verser 50 sicles d’argent. Un sicle équivaut à environ 15 grammes. Ce qui ne fait évidemment pas l’affaire des nobles… La Bible nous apprend également que le royaume d’Israël décide de faire alliance avec d’autres rois de la région contre les Assyriens. Dont le roi du royaume de Juda… qui refuse de joindre la coalition! Rappelons brièvement qu’à l’époque l’ancien royaume fondé par le roi David et développé par son fils Salomon était divisé en deux : le royaume d’Israël au nord, avec Samarie comme capitale et le royaume de Juda au sud, avec Jérusalem comme capitale. Ainsi donc, le roi de Juda refuse de se joindre au roi d’Israël qui décide d’attaquer Jérusalem! Et ce n’est pas tout. Le roi de Juda, Achaz, va demander l’aide de Téglath-Phalazar, qui accepte, à condition que le royaume de Juda devienne vassal de l’Assyrie… Le roi Achaz accepte malgré les avertissements répétés du prophète Isaïe : « Il (le roi d’Assyrie) ne pense qu’à détruire, qu’à éliminer des nations, et pas en petit nombre! » (Is 10,7). En bref, les Assyriens écrasent la coalition et la plupart des grandes villes de la région sont maintenant sous leur contrôle. Le royaume d’Israël en sort très affaibli, mais ce n’est pas encore la fin. Le royaume de Juda est quant à lui épargné, mais fait désormais parti des royaumes vassaux des Assyriens…

Le royaume d’Israël n’a apparemment pas appris de ses erreurs. À la mort de Téglath-Phalasar III, en 727, le roi Osée décide de se rebeller contre le nouveau roi, Salmanasar V (727-722). Grave erreur… Le roi d’Israël espère que le roi d’Égypte, Osorkon IV (730-727), va intervenir pour soutenir la lutte contre l’Assyrie. Mais non, le roi d’Égypte ne vient pas à son secours… Le roi d’Israël est fait prisonnier. Le royaume d’Israël est conquis ; seule la capitale, Samarie, résiste pendant presque trois ans (voir 2 R 18,9). La ville est prise et détruite en 722, et bon nombre d’habitants sont déportés. 27 290 personnes d’après les textes assyriens. Dix des douze tribus d’Israël disparaissaient d’un coup… Dans les faits, la ville a sans doute été conquise en 722 par Salmanasar V, mais le roi meurt peu après ; c’est son successeur, qui n’était pas son fils, qui se chargera de la destruction de la ville et de la déportation de la population : « Avec l’assurance d’Aššur, qui me fait toujours atteindre mon but, je combattis contre eux […] J’emmenai 27 290 de leurs habitants, ainsi que 50 chars pris pour ma troupe royale […] Je modifiai Samarie et la rendit plus grande qu’auparavant. Des gens venus de terres que j’avais conquises y furent installés sur mon ordre, je fis de l’un de mes eunuques leur gouverneur, et je leur imposai le tribut et l’impôt comme aux Assyriens [1] ». Ce nouveau roi, qui prendra le nom de Sargon II (722-705), deviendra l’un des plus grands rois assyriens. Avec lui débute une nouvelle dynastie, celle des Sargonides (722-627). Quatre grands souverains se succèdent entre 722 et 630 avant J.-C. : Sargon II (722-705), Sennachérib (705-681), Assarhaddon (681-669) et Aššurbanipal (669-627). Cette période représente indéniablement l’âge d’or de l’Empire assyrien sur le plan culturel, militaire et économique.

Sargon II

Sargon II et un haut dignitaire. Bas-relief du palais de Dur-Sharrukin (Wikimedia).

Les Sargonides

Soulignons que le fondateur de cette grande dynastie n’était pas de descendance royale. Il a, semble-t-il, usurpé le pouvoir, dans des circonstances nébuleuses. Son nom, qui signifie « Roi légitime », en est un bon indice…! Donc, comme son lointain prédécesseur, Sargon d’Akkad, il cherche à justifier sa nouvelle dynastie qui a été contestée pendant au moins deux ans avant qu’il ne réussisse à rétablir l’ordre. Mais Sargon a des ennemis partout! Pendant les dix premières années de son règne, il s’affaire à prendre ou reprendre le contrôle de l’Empire. Or Sargon est victorieux. Partout! Au nord, au sud, à l’est, à l’ouest… Vers 710, malgré les rébellions et les attaques sur à peu près tous les fronts, l’Empire est plus vaste et plus stable que jamais.

Dans la seconde partie de son règne, Sargon II fait construire de toutes pièces une nouvelle capitale, Dur-Sharrukin, « la forteresse de Sargon », près du village moderne de Khorsabad (où les premières fouilles françaises avaient eu lieu avec Paul-Émile Botta au début des années 1840). Il ne se contente pas de faire construire un nouveau palais (comme Aššurnasirpal II), mais une ville entière! Les historiens ne s’entendent pas sur la date d’inauguration et le temps mis pour compléter la construction de la ville. Les travaux de construction auraient commencé entre 717 ou 713 et auraient été complétés vers 707. À l’époque, l’empire était relativement en paix et extrêmement riche. Les tributs affluaient de partout et Sargon s’autoproclame, non sans raison, « roi de l’univers »! Mais voilà que Sargon meurt à peine deux ans après la construction de sa nouvelle capitale… Il est tué au combat et son corps n’aurait jamais été retrouvé… Une catastrophe! Une dépouille sans sépulture est condamnée à errer tel un fantôme et à se venger des vivants… Bref, certains y voient un mauvais présage. Les dieux auraient-ils voulu punir Sargon pour avoir construit une nouvelle capitale? Son fils et successeur, Sennachérib, préfère ne pas prendre de chance. La nouvelle capitale est abandonnée et sera oubliée pendant des siècles!

Lamassu

Lamassu, un génie protecteur du palais de Dur-Sharrukin (Wikimedia).

Éric Bellavance est historien et bibliste. Il est chargé de cours aux universités de Montréal, McGill et Concordia.

[1] Mario Liverani, La Bible et l’invention de l’histoire, Paris, Gallimard (Folio histoire), 2008, p. 201.

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.

Dur-Sharrukin

Dur-Sharrukin

C’est dans cet état que les archéologues ont retrouvé la capitale de Sargon II. Les taureaux ailés sont conservés au musée du Louvre. Cette photo d’archives a été prise en 1853 au début des fouilles archéologiques du palais royal.

(Gabriel Tranchard / Wikimedia)