Khirbet Seilun (Ron Almog / Wikimedia).

Silo, un site sacré de la période des Juges

Éric BellavanceSylvain Campeau | 15 mars 2021

La Bible accorde une attention particulière à ce site du centre de la Samarie parce que l’arche de l’alliance y aurait séjourné. Elle mentionne même qu’à l’époque du prêtre Éli, le peuple s’y rassemblait tous les ans : « Il y a chaque année la fête du Seigneur à Silo... » (Jg 21,19) L’archéologie peut-elle confirmer cette importance du site et appuyer l’idée selon laquelle Silo était un sanctuaire central des tribus d’Israël?

Brève histoire

Selon les textes les plus anciens de la tradition biblique, l’arche a été déposée à Silo (Jos 18,1) dans un sanctuaire muni d’une porte qu’on ouvrait le matin (1 S 1,9 ; 3,15) ; il était dédié à Yahvé Sabaot (1 S 1,3.7.9.24 ; 3,3.15). Le prêtre Éli (à ne pas confondre avec le prophète du même nom) assurait le service au sanctuaire avec sa famille et le jeune Samuel y habitait (1 S 3,15.21). Le séjour de l’arche à Silo ne fut toutefois que de courte durée. Pendant une bataille difficile contre les Philistins, on envoya chercher l’arche pour s’assurer la victoire mais elle tomba aux mains de l’ennemi après une cuisante défaite (1 S 4,1-11). L’arche ne revint jamais à Silo par la suite (1 S 7,1 ; voir aussi 2 S 6). D’autres épisodes bibliques se déroulent dans cette cité antique ou sont en lien avec elle mais nous nous limitons à ces données qui concernent le sanctuaire.

Identification du site

Silo est une importante ville des monts d’Éphraïm. En 1838, l’explorateur et chercheur Edward Robinson identifiait la ville antique avec Khirbet Seilun, un tertre situé à 19 km au sud de Naplouse. Cette identification concorde avec la description biblique (voir Jg 21,19), avec l’identification proposée par Eusèbe de Césarée (Onomasticon 156,28), un commentaire de saint Jérôme (Lettre 108, commentaire de Sophonie 1) et celle de la carte de Madaba (une mosaïque byzantine). Cette identification est quasi unanime chez les auteurs modernes [1].

ruines de Silo

Ruines de l’ancienne Silo (photo © Jeffrey M. Bradshaw)

Les fouilles

Les premières fouilles à Silo remontent aux années 1926-1932. Le travail des archéologues était alors dirigé par H. Kjaer et A. Schmidt (1926, 1929 et 1932). Ces fouilles ont révélé huit niveaux d’occupation allant du Bronze ancien à la période médiévale. Le travail a été repris par une équipe israélienne de 1981 à 1984 et dirigée par Israël Finkelstein qui voulait vérifier la datation du rempart découvert au Nord et celle des niveaux où on avait découvert plusieurs jarres de stockage dans une couche de destruction. Ces fouilles permettent à l’archéologue israélien de réviser la période d’occupation en la faisant commencer au Bronze moyen et de reconnaître, selon plusieurs indices, que des activités cultuelles se sont déroulées à Silo. Mais il est difficile de préciser davantage car aucun édifice ressemblant à un sanctuaire n’a été exhumé. Sur cette question, l’archéologie se heurte à l’usage du site qui a été fait au tournant de notre ère : « Les occupants romains et byzantins se sont installés sur le sommet du tell et ont détruit les installations antérieures de même que dans la partie méridionale. » [2] Les fouilles ont repris depuis 2017 sous la direction de Scott Stripling pour le compte d’une association étatsunienne mais aucun rapport n’a été publié à notre connaissance.

La fonction du site

Comme on le disait plus haut, divers indices confirment la présence d’un lieu de culte à Silo dès l’époque du Bronze. Par exemple, I. Finkelstein a relevé « une abondance inhabituelle d’os, parfois contenus dans des vases et mélangés avec de la cendre. Cet ensemble appartient au Bronze récent II A. » [3] Le rapport final des fouilles décrit également un vase en forme de taureau de la même période [4]. L’archéologue mentionne également la découverte d’os d’animaux et les fragments d’un grand brûle-parfum dans la couche du Fer I [5]. Ces indices confirment la continuité des activités cultuelles sur le site pendant les périodes qui nous intéressent mais l’archéologie ne peut pas, sur la base de ces quelques indices, affirmer que Silo abritait un sanctuaire central pour les tribus du Nord.

À l’époque des Juges (Fer I), le sanctuaire devait occuper une place de choix sur le site, probablement le sommet. Malheureusement pour nous, il n’en reste aucune trace. On peut toutefois se demander si l’idée d’un sanctuaire central à Silo ne serait pas une projection dans le passé pour justifier une importante réforme religieuse ultérieure : la centralisation du culte dans un sanctuaire unique, à Jérusalem. Le raisonnement est le suivant : de même que Silo a été un sanctuaire central pour les tribus du Nord, le temple de Jérusalem est le sanctuaire unique pour rendre un culte à Yahvé.

S’il est difficile, sur la base des données archéologiques, de préciser l’importance des activités cultuelles à Silo, on peut en revanche y voir un important grenier pour les villages environnants ou « un centre de redistribution » [6]. On a découvert une vingtaine de silos datés de l’âge du Fer I dont un contenant du blé carbonisé. On a également dégagé plusieurs édifices à piliers qui ont vraisemblablement servi d’entrepôts. La découverte de plus de 200 jarres à goulot étroit dispersées dans ces bâtiments vient étayer cette thèse comme nous verrons dans le prochain article.

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.

                                                                                                                            

Shilo in early light (Tim Velasco / Associates for Biblical Research)

[1] A. T. Richardson fait cavalier seul en proposant plutôt un autre site, Bet Sila, une ruine située à 1,5 km de Betunia. Voir : « The Site of Siloh », Palestine Exploration Fund Quarterly 57 (1925), 162-163.
[2] Marcel Beaudry, art. « Silo », Dictionnaire encyclopédique de la Bible, Brepols, 1987, p. 1207.
[3] Israël Finkelstein, « Seilun (Silo) – 1983 », Revue biblique 91/3 (1984) 405.
[4] Israël Finkelstein (dir.), Shiloh. The Archaeology of a Biblical Site, Tel Aviv University (Monograph Series 10), 1993, pp. 224-227 et 233.
[5] Israël Finkelstein, « Seilûn : Silo (1981-1982) », Revue biblique 91/2 (1984) 264.
[6] Israël Finekstein, Le royaume biblique oublié, Paris, Odile Jacob (Histoire), 2013, p. 54.

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.

Siloé

Silo ne doit pas être confondu avec Siloé, ce canal construit à l’époque du roi Ézéchias pour amener l’eau de la source du Gihon à l’intérieur des remparts de Jérusalem. À l’époque de Jésus, l’eau était contenue dans un réservoir qu’on appelait la piscine de Siloé. C’est à cet endroit que Jésus envoie l’aveugle-né se laver en Jean 9,7.

Sur la photo, on peut voir le réservoir où débouche le canal (photo © Marie-Armelle Beaulieu / CTS).