Le code d’Hammourabi, partie supérieure de la stèle du Louvre (Rama / Wikimedia).

Le code d’Hammourabi et les lois du Pentateuque

Sylvain CampeauSylvain Campeau | 13 juin 2022

Pendant l’hiver 1901-1902, l’archéologue suisse Gustave Jéquier supervise des fouilles à Suse, l’une des capitales de l’ancien pays élamite. Pendant les travaux, les ouvriers dégagent une grosse stèle noire recouverte d’écritures cunéiformes et surmontée d’une scène en bas-relief. L’épigraphiste de la mission détermine qu’il s’agit d’un code de lois publié au 18e siècle avant notre ère par le roi babylonien Hammourabi.

Les fouilles avaient été entreprise à la fin du 19e siècle par Jacques de Morgan qui venait de quitter la direction du Service des antiquités d’Égypte et de l’Institut français d’études orientales au Caire. Travaillant à la manière de l’époque en creusant de larges et profondes tranchées, il découvre une telle quantité d’artefacts qu’il envisage, dès la fin de la deuxième campagne, de monter une exposition au Grand Palais en mai 1902. Il confie alors le chantier de Suse à son assistant, Gustave Jéquier, pendant qu’il prépare l’événement à Paris.

Que faisait cette stèle babylonienne au pays d’Élam? L’hypothèse la plus plausible est qu’elle a été apportée comme butin de guerre par le roi élamite Shutruk-Nakhunte (1184-1155 avant notre ère). À l’origine, la stèle était probablement érigée dans un sanctuaire dédié au dieu babylonien Shamash, à Sippar par exemple. Peu de temps après sa découverte par les archéologues français, elle a été transportée à Paris où elle figure parmi les pièces importantes du musée du Louvre.

Longtemps considéré comme le plus ancien code de lois, on sait que le code d’Hammourabi a été précédé par d’autres législations qui nous sont parvenues sur des tablettes d’argile : les codes d’Ur-Nammu, en sumérien (22e siècle avant notre ère), d’Ashnunna, en accadien (21e siècle avant notre ère) et de Lipît-Ishtar, en sumérien (20e siècle avant notre ère). La particularité du texte de cette stèle est son ampleur – on dénombre 282 articles de lois – et le matériel utilisé, la pierre. Mais il est fort possible que la stèle ait été rédigée à partir d’originaux écrits sur tablettes d’argile comme en témoignent certaines découvertes ultérieures (voir l’encadré de la colonne de droite).

Rédigé dans les dernières années du règne d’Hammourabi (1792-1750), les articles de loi sont insérés entre un prologue et un épilogue. Les articles sont des cas concrets formulés comme suit : « si quelqu’un fait ceci, il subira telle sanction ». Comme l’explique Estelle Villeneuve : « Les litiges touchent principalement à la vie quotidienne, atteintes à la propriété et à l’intégrité de personnes, relations familiales, pratique de certains métiers, etc. » [1] En voici un exemple où la sanction est très sévère :

Si quelqu’un s’est présenté dans un procès pour un faux témoignage et n’a pu confirmer ce qu’il avait dit, si ce procès est un procès de vie, cet homme sera mis à mort. [2]

code d'Hammourabi

(Rama / Wikimedia)

Moïse et Hammourabi

La stèle est surmontée d’une scène dont l’analyse présente des analogies avec l’histoire de Moïse. Sur la scène, on voit le roi qui se tient debout devant une divinité que l’on reconnait par sa tiare. Les flammes qui jaillissent de ses épaules ne laissent aucun doute sur son identité selon André Parrot : il s’agit de Shamash qui est assis sur un trône et dont les pieds reposent sur un socle qui évoque les montagnes.

Shamash dieu-soleil est en même temps le dieu de la justice, la lumière révélant tout ce qui est caché, donc les fautes des humains. Ainsi il n’est pas étonnant qu’il ait convoqué le roi de Babylone et lui ait dicté les lois qu’il le charge de faire appliquer et respecter à travers tout son royaume. [3]

La scène du don de la Loi à Moïse se déroule aussi sur une montagne, le Sinaï. Le feu est un élément important de la théophanie puisque Yahvé descend « au milieu du feu » (voir Exode 19,18-20). Comme le roi de Babylone, Moïse est convoqué seul devant Yahvé pour recevoir les tables de la loi inscrites par Dieu lui-même (Exode 32,15-16). Dans les deux cas, les lois sont d’origine divine et elles sont confiées à un médiateur qui reçoit le mandat de les transmettre à son peuple et de les faire appliquer. Et comme le souligne André Parrot, il s’agit dans les deux cas d’une « règle de vie basée sur la justice » [4].

code d'Hammourabi

Comme le montre cette photo, le texte occupe toutes les faces de la stèle (Joseph Kranak / Wikimedia).

Le code d’Alliance et la découverte babylonienne

Si quelqu’un a percé [le mur d’]une maison, en face de ce trou, on le tuera et on le suspendra. (Hammourabi §21)

Si le voleur, surpris à percer un mur, est frappé à mort, pas de vengeance du sang à son sujet. (Exode 22,1)

Si un pâtre ne s’est pas mis d’accord avec le propriétaire d’un champ pour (y) faire paître de l’herbe à du petit bétail et s’il a fait paître le champ à du petit bétail sans le consentement du propriétaire du champ, le propriétaire du champ moissonnera son champ (et) le pâtre qui a fait paître le champ à du petit bétail sans le consentement du propriétaire du champ donnera en outre 20 kourrou de grain par bourou au propriétaire du champ. (Hammourabi §57)

Quand un homme fera pâturer un champ ou une vigne et qu’il laissera son bétail pâturer dans un autre champ, il donnera compensation à partir de son meilleur champ ou de sa meilleure vigne. (Exode 22,4)

Les chercheurs ont relevé plusieurs similarités entre le code d’Hammourabi et les lois du Pentateuque, surtout celles du code de l’Alliance (Exode 20,22 – 23,19). Le texte de la Bible dépend-il de ce texte plus ancien? Doit-on en conclure que la loi hébraïque n’est rien de plus qu’un héritage du polythéisme? Pour répondre à ces questions avec rigueur et honnêteté, certains chercheurs ont fait une analyse comparative pour distinguer les ressemblances mais aussi l’originalité des lois du Pentateuque. Les ressemblances s’expliquent aisément par le fait que les codes proviennent d’un milieu culturel similaire.

Les divergences par contre rendent compte de l’originalité de la justice biblique. Dans la loi biblique du talion par exemple, on ne module pas les peines en fonction du rang social. Dans le code d’Hammourabi par contre, la sentence ou l’indemnité tient compte du rang social des personnes impliquées dans un litige.

Si quelqu’un a crevé un œil à un notable, on lui crèvera un œil. S’il a brisé un os à un notable, on lui brisera un os. Si quelqu’un a crevé un œil à un homme du peuple ou a brisé un os à un homme du peuple, il payera une mine d’argent. S’il a crevé un œil à l’esclave de quelqu’un, il payera la moitié de son prix d’achat. Si un homme a fait tomber une dent à un homme de son rang, on lui fera tomber une dent. S’il a fait tomber une dent à un homme du peuple, il payera un tiers de mine d’argent. (Hammourabi §196-197)

Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. (Exode 21,24-25)

À cela, on peut ajouter cette conclusion sur l’originalité de la justice biblique : « Il y a bien sûr et d’abord, sa dimension théocratique, l’affirmation de son origine transcendante et l’ajout de règles relatives au culte de Yahvé. Il y a aussi cette façon d’énoncer des principes de droit absolus, comme Tu ne tueras point, dépassant l’examen babylonien de cas particulier. On y trouve aussi, ici et là, une réflexion plus fine sur la responsabilité individuelle des crimes et la proportionnalité des châtiments, avec un recours moindre à la peine de mort. » [5]

Diplômé en études bibliques (Université de Montréal), Sylvain Campeau est responsable de la rédaction.

[1] Estelle Villeneuve, Sous les pierres, la Bible. Les grandes découvertes de l’archéologie, Bayard, 2017, p. 146.
[2] Hammourabi §3 selon la traduction proposée dans Lois de l’Ancien Orient, Supplément au Cahier Évangile 56, 1986, p. 32.
[3] André Parrot, Le Louvre et la Bible, Delachaux & Niestlé (Archéologie biblique 9), 1957, p. 106.
[4] A. Parrot, Le Louvre et la Bible, p. 107.
[5] Estelle Villeneuve, Sous les pierres, la Bible, p. 147.

Archéologie

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Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.

tablette

Le prologue sur une tablette du Louvre

Avant d’en arriver au texte écrit sur la pierre, les scribes babyloniens ont procédé à des essais sur argile comme cette tablette qui reproduit l’ensemble du prologue. Le texte est légèrement différent, sans les problèmes grammaticaux et les obscurités de style qu’on trouve sur le monument. Une ligne d’appel, à la fin du prologue, introduit le premier article de loi et indique qu’il était suivi de l’ensemble du code, transcrits sur un ensemble de tablettes qui ne nous sont pas parvenues. Et cet exemplaire n’est pas unique : on retrouve une tablette semblable au British Museum (BM 34914) et des fragments du code, sur argile, dans les collections de plusieurs musées.

(Louvre AO10237 | photo : Marie-Lan Nguyen / Wikipedia).