Vue aérienne de Hippos/Sussita (Avram Graicer / Wikipédia)

Hippos, la cité « chevaline » de la Décapole

Robert David Robert David | 23 octobre 2023

La ville antique d’Hippos se trouve aujourd’hui à proximité d’un kibbutz (En Guev) assez prospère, qui a élu domicile à l’Est du lac de Tibériade. On ne sait pas exactement pourquoi la ville fut nommée Hippos (« cheval » en grec) ou Sussita (« cheval » en araméen), mais il est possible que son profil ait fait penser à la forme d’un cheval. En raison de leur culture, les arabes l’appellent « chameau » ou Kalat el-Husn pour être plus précis.

Un peu d’histoire

Même si elle fait partie de la Décapole, le Nouveau Testament ne parle pas de cette ville qui a été fondée à l’époque hellénistique (sous les Séleucides ou les Ptolémées). Dans les sources anciennes, l’historien juif Flavius Josèphe est notre principale source d’information.

La ville fut conquise par le roi asmonéen Alexandre Jannée au début du 1er siècle avant notre ère (Antiquités juives XIII, 395) puis par Pompée en 63 (Antiquités juives XVI, 74). C’est d’ailleurs à cette époque qu’elle fut intégrée au groupe des dix cités grecques connues sous le nom de Décapole. En 20 de notre ère, la cité tomba sous la juridiction d’Hérode (Antiquités juives XV, 217) et lorsque son royaume fut divisé entre ses fils, elle fut placée sous l’autorité du proconsul de Syrie (Antiquités juives XVII, 320). Lors de la Première révolte juive (66-70 de notre ère), la cité fut attaquée par les Juifs. Cette attaque a eu des conséquences fâcheuses pour les habitants juifs : une partie de la population juive a été chassée par les grecs et l’autre a été placée en captivité (Flavius Josèphe, Guerre II, 459 et 478). À la suite de ces événements, Hippos resta pendant longtemps une rivale de Tibériade, une ville située de l’autre côté du lac. À titre d’exemple, on sait que Justus de Tibériade incendia la ville (Flavius Josèphe, Vie 42). À l’époque byzantine, la ville était très prospère et elle était le siège d’un évêché. Cette prospérité venait sans doute du fait qu’elle était dotée d’un port qui permettait d’acheminer des marchandises, par bateau, de Tibériade à Sussita et ensuite, par la voie romaine reliant la cité à Damas. En 636, elle tomba aux mains des Arabes qui venaient de défaire les armées byzantines à la bataille de Yarmuk. Et en 749, elle fut détruite par un tremblement de terre : la ville ne se relèvera plus.

Sussita

Depuis le tremblement de terre de 749, ces colonnes n’ont pas été relevées (Dorontalmi / Wikipédia).

Une véritable cité

Si la ville ne comptait que quelques constructions à l’époque hellénistique, elle ne tarda pas à se doter d’un plan d’urbanisation intégré à la période romaine. On y retrouvait les divisions en rues perpendiculaires, des édifices publics sis aux croisées des rues de la ville, des routes pavées en pierres courant du Nord au Sud et d’Est en Ouest. De nombreuses citernes furent aménagées pourvoyant ainsi les habitants en eau et alimentant des fontaines, des bains, et même une nymphée en plein cœur de la ville. 

rue pavée de Susita

Une rue pavée de la cité (Amos Gal / Wikipédia)

La ville byzantine a perpétué les aménagements de l’époque romaine. On a retrouvé sur le site de nombreuses colonnes de granit rouge, des chapiteaux corinthiens et ioniques, des linteaux richement décorés. Cette richesse vient confirmer le statut de la ville au sein de la Décapole.  Il est évident que sa situation géographique, sur la route qui vient de Beth Shean et qui conduit à Damas, a grandement contribué à lui apporter notoriété et prospérité.

ruines de la cathédrale

Les ruines de la cathédrale à la fin des fouilles en 2022 (photo © Michael Eisenberg).

Les ruines que nous voyons sur la photo sont celles d’une cathédrale du 5e siècle. Elle s’intégrait aux nombreux édifices religieux retrouvés sur le site. On compte en effet pas moins de cinq églises sur le site.

C’est entre 1951 et 1955 que l’on a entrepris la première fouille de cet édifice. Son plan correspond à celui de la plupart des églises byzantines. On accédait à l’intérieur par trois portes après avoir traversé un atrium. À l’intérieur on retrouve la nef centrale et deux ailes latérales que séparaient des rangées de neuf colonnes. Ces dernières ont toutes été retrouvées sur le sol, pointant dans la même direction, ce qui confirmerait la destruction de l’édifice par un tremblement de terre. 

Le long du mur Nord, orienté vers l’Est (soleil levant, symbole de résurrection), un intéressant baptistère à trois absides (chose très rare), dédié aux saints patrons Côme et Damien, martyrs du 4e siècle. Le plancher, richement décoré de mosaïques reprenant des motifs géométriques, est encore assez bien conservé. Un fragment d’inscription retrouvé dans le baptistère nous renseigne sur la date de construction de ce dernier : 591. Le nom d’un certain Procopius apparaît sur une autre inscription, indiquant possiblement le nom de celui qui construisit le baptistère.

Les planchers de l’église étaient décorés de motifs floraux créés à partir des marbres et il est plus que probable que les murs aussi étaient recouverts de marbre. Bien que l’on ait perdu beaucoup de données concernant la décoration, il reste des traces de mosaïques, des dessins (dont un dauphin sculpté) et de mosaïques qui montrent à l’évidence que cette cathédrale jouissait d’une grande popularité.

Robert David est professeur honoraire de l’Université de Montréal. Il a enseigné l’exégèse de l’Ancien Testament et l’hébreu biblique à la Faculté de théologie et de sciences des religions de 1988 à 2015.

Archéologie

Archéologie

Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.

monnaie de Sussita

Monnaie de Hippos / Sussita

Les monnaies de Hippos/Sussita portent souvent, au revers, le symbole de la cité : un cheval, la tête d’un cheval ou une représentation de Pégase. À l’avers de cette monnaie, on retrouve le buste de Marcus Aurelius (Marc Aurèle), le dernier empereur de la Pax Romana.

(photo : marché des monnaies anciennes)