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Comprendre la Bible
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chronique du 1er décembre 2006
 

D'où vient la femme de Caïn?

QuestionSelon la Bible (Genèse), il n'y avait, au commencement, que quatre personnes sur terre : Adam, Ève, Abel et Caïn. Voici donc ma question : d'où vient la femme que Caïn a épousé lorsqu'il a été isolé de ses parents (Adam et Ève), après avoir tué son frère (Abel)? (M. Coulibaly)
 

RéponseVotre question nous oblige à considérer d’un peu plus près le statut de ces textes de la Bible, la Genèse, en particulier, qui parle de l’origine du monde et de l’humanité. Faut-il les prendre au pied de la lettre et les traiter comme des documents historiques qui décrivent avec exactitude la naissance du monde qui est le nôtre aujourd’hui? Pendant des siècles, la question ne s’est pas posée. En considérant la Bible comme la Parole de Dieu, le croyant pensait que tout ce qui s’y trouve était vrai, comme par exemple la création du monde en sept jours, la femme formée avec une côte d’Adam, le déluge, la tour de Babel et des humains dont l’espérance de vie allait jusqu’à plus de 900 ans. J’en passe. Certaines difficultés de lecture n’échappaient pas à l’œil averti de certains lecteurs, mais on considérait tout cela comme appartenant au mystère de Dieu.
 

Caïn et Abel

Pietro Novelli (1603-1647)
Caïn et Abel
Huile sur toile, 198 x 147 cm
Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome

     L’édifice va commencer à se lézarder avec les premières grandes découvertes astronomiques de la Renaissance. La terre n’est plus le centre du monde; c’est elle qui tourne autour du soleil et les étoiles sont dispersées dans l’espace à des dizaines, centaines ou milliers d’années lumières de distance… On est loin de la conception biblique du monde et Galilée paiera le prix de ses théories. Pour l’Église de l’époque, la science ne pouvait avoir raison contre la Bible.

     Le deuxième coup, certainement le plus rude, sera porté contre la Bible par les savants de la fin du XIXe siècle. Ils mettent en évidence que le monde est le fruit d’une longue et lente évolution qui se calcule en milliards d’années et que la vie elle-même, dans toute sa complexité, est aussi le fruit d’une évolution. Que deviennent alors ces récits que nous donne la Bible sur ce sujet? Faut-il les considérer comme des légendes et leur dénier toute valeur? Le développement des sciences de la nature va obliger l’Église à revoir une grande partie de sa compréhension de la Bible. C’est à partir de là que je reviens à la question posée.

     Depuis que l’homme existe et qu’il a pris conscience de lui-même, des questions hantent son esprit. La philosophie les a formulées : D’où venons-nous? Qui suis-je? Qu’est-ce que je fais sur cette terre? Quel est mon avenir? D’où vient la violence? la mort? la difficulté de vivre en relation avec l’autre, homme ou femme? Autant de questions qui habitent peu ou prou le cœur humain, depuis la nuit des temps et qui viennent, certains jours, hanter nos propres esprits. Le peuple juif est lui aussi confronté à ces questions. Il va tenter d’y répondre en reprenant et retravaillant de vieux mythes d’origine.

     Je viens d’écrire un groupe de mots, « mythe d’origine ». Il mérite quelques explications! Un mythe d’origine est un récit dans lequel se reflète l’univers religieux et culturel d’un peuple et qui a pour fonction de répondre à ces questions qui hantent le cœur de l’humanité. Les onze premiers chapitres de la Genèse, avec tous les récits qui s’y trouvent, appartiennent à ce genre littéraire que l’on appelle « mythe d’origine ». Que disent ces chapitres? Prenons quelques exemples. Ils racontent que le monde est né du désir créateur de Dieu et que ce qui s’y trouve est fondamentalement bon; l’humain est « duel », homme et femme dès l’origine et il est créé à l’image d’un Dieu qui en fait son partenaire dans la gestion de ce monde… Ces quelques exemples continuent à éclairer des préoccupations toujours actuelles.

     Venons-en à la question posée ! Au chapitre 3 de la Genèse, la Bible parle d’un échec de l’humain. Désireux d’être tout en cédant à la convoitise qui le pousse à chercher à s’approprier le divin, l’humain casse le rapport harmonieux qui le relie au divin et à l’autre. La méfiance s’installe vis-à-vis du divin et du partenaire humain. La violence s’installe dans le monde et l’épisode du meurtre d’Abel par Caïn montre dans quelle direction conduit la convoitise non maîtrisée. La suite du mythe biblique raconte l’expansion de la violence dans le monde. Elle atteint son paroxysme avec Lamek qui dit à ses femmes (Gn 4,23b-24) : « J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. Oui, Caïn sera vengé sept fois, mais Lamek soixante-dix sept fois. »

     Que conclure de tout cela? L’auteur biblique se soucie fort peu de donner une cohérence logique ou « historique » à son texte. L’histoire de Caïn et Abel lui sert à montrer où conduisent les luttes fratricides lorsque les uns et les autres cèdent à la convoitise et à la violence. Son récit n’est pas historique, à la manière dont on l’entend aujourd’hui, mais il révèle quelque chose de fondamental dans la vie humaine, qui nous interpelle nous aussi. Le reste, l’absence d’une femme pour Caïn ou les incohérences apparentes du récit, tout cela importe peu dans son récit parce que cela n’entre pas dans l’objectif qu’il s’est donné. L’avertissement donné par Dieu à Caïn s’adresse à tout lecteur avisé (Gn 4,7b): « Si tu n’es pas bien disposé (s-e : envers ton frère), le péché n’est-il pas à la porte, une bête tapie qui te convoite, pourras-tu la dominer? »

Roland Bugnon

Chronique précédente :
L’origine du mot Bible