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Comprendre la Bible
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chronique du 16 mars 2007

 

L’anathème ou l’interdit dans l’Ancien Testament

QuestionVoudriez-vous expliquer le mot « anathème » dans l'Acien Testament? (Lettn)
 

Réponse
Pourquoi ne pas l’avouer? J’éprouve une certaine perplexité devant cette question. Je vais lui donner ma réponse, mais j’aurais souhaité savoir le pourquoi de la demande et les raisons de la recherche de signification d’un mot qui n’est plus guère utilisé de nos jours. Je vais être clair! Je n’aime guère ce mot pour ce qu’il a signifié à différents niveaux et tout au long de l’histoire. On ne retient trop souvent que l’expression utilisée dans le langage de l’Eglise : qu’il soit anathème! On trouve cette expression dans les documents des anciens conciles. Elle servait à proclamer solennellement une « vérité de foi » définie par les pères d’un concile œcuménique, et à la garantir contre toute autre expression ou conception de la foi. Mais très vite, en jetant l’anathème sur telle ou telle personne, on l’excluait de la communion ecclésiale, avec l’aide parfois du pouvoir politique. On parlera, par la suite, plus volontiers « d’excommunication ». Cette exclusion pouvait être suivie d’un blâme public, un départ en exil ou encore un arrêt de mort. Dans sa forme la plus révoltante, l’anathème prendra le visage des tribunaux de l’Inquisition. Ce qui était au départ une volonté de sauvegarder le cœur de la foi chrétienne se transformera alors en volonté de contrôle des consciences. C’est une page douloureuse de l’histoire de l’Eglise qui s’écrira là. Fort heureusement, le second concile du Vatican II a renoncé à recourir au langage de l’anathème pour parler au monde d’aujourd’hui.

     Revenons-en à la question elle-même : la signification du mot « anathème » dans l’Ancien Testament.Le mot vient du grec « ana-thema » que l’on traduit par : ce qui est posé au-dessus (sous-entendu : de l’autel du Temple). En hébreu, on utilise le mot « herem » qui désigne « ce qui est exclusivement consacré à Dieu ». L’offrande faite à Dieu est sacralisée par le fait qu’elle est déposée sur l’autel: elle exclut alors tout usage profane. Voici ce que dit le livre du Lévitique (27, 28). D’abord la Bible de Jérusalem : « Cependant rien de ce qu'un homme dévoue par anathème au Seigneur ne peut être vendu ou racheté, rien de ce qu'il peut posséder en hommes, bêtes ou champs patrimoniaux. Tout anathème est chose très sainte qui appartient au Seigneur. » La traduction de la TOB donne un autre éclairage : « De plus, de tout ce qu'on possède homme, bête ou champ de sa propriété ce qu'on a voué au Seigneur par l'interdit ne peut être vendu ni racheté : tout ce qui est voué par l'interdit est chose très sainte pour le Seigneur. » Vous remarquez l’utilisation possible de deux mots - anathème ou interdit - ils expriment l’un comme l’autre le sens du mot « herem ».

     La pratique de l’anathème ou de l’interdit est une très vieille pratique religieuse de l’humanité dont témoigne le livre de Josué. Voilà comment est racontée l’histoire de la prise Jéricho, au moment où Josué et le peuple hébreu mettent pour la première fois le pied sur la Terre promise : « La ville sera dévouée par anathème au Seigneur, avec tout ce qui s'y trouve [...] Mais vous, prenez bien garde à l'anathème, de peur que, poussés par la convoitise, vous ne preniez quelque chose de ce qui est anathème, car ce serait rendre anathème le camp d'Israël et lui porter malheur. » (Jos 6,17-19) Dans le cas présent l’anathème comporte le renoncement à tout le butin et son attribution à Dieu : les hommes et les animaux sont mis à mort, la ville est incendié e et les objets précieux sont donnés au sanctuaire. C’est un acte religieux, une règle de la « guerre sainte » qui suit un ordre divin, ou un vœu pour s’assurer la victoire. Tout manquement est considéré comme un sacrilège et son auteur sévèrement puni…

     La pratique de l’anathème est étroitement liée à la conception antique de la divinité. Le sacrifice offert ou promis au dieu par vœu, fait partie d’une sorte de transaction qui peut s’exprimer ainsi : « Dieu, donnes-moi la victoire sur mes ennemis et toute la ville te sera offerte en sacrifice de remerciement. » Cette promesse ou ce vœu fait au Seigneur peut aller jusqu’au sacrifice humain. C’est ainsi que, dans le livre des Juges 11,29-40, Jephté faire le vœu, en cas de victoire contre les ennemis d’Israël, d’offrir en sacrifice au Seigneur le premier être vivant qui sortira de sa maison, au retour de la guerre. Et ce sera sa fille qui viendra la première au-devant de lui. On mesure, à cet exemple, l’évolution qui se fera au cours des siècles dans la compréhension de la divinité

     La Bible justifie par ailleurs le rejet de Saül comme roi d’Israël par le fait de son manquement à l’anathème. On peut le voir en 1 S 15,9. Pour obtenir la victoire sur ses ennemis, Saül a jeté l’anathème sur tout le butin. Il a donc fait vœu de tout offrir à Dieu en sacrifice. En gardant pour lui et ses soldats une partie du butin acquis par la victoire, Saül manque à l’anathème, ce qui est considéré comme un sacrilège, une faute très grave. Il sera rejeté au profit de David.

     Posons maintenant une question : comment considérer aujourd’hui cette pratique? Je pense à une parole du prophète Osée, citée par Jésus : « C’est l’amour que je veux et non le sacrifice. » (Mt 9,13) La reprise de cette parole définit le type de rapport que Jésus souhaite voir s’établir entre Dieu et les hommes. Tout le sermon sur la montagne en témoigne (Mt 5 – 6). Pour lui, la relation de l’homme à Dieu n’est pas un rapport contractuel du genre donnant-donnant. Dieu ne désire qu’une chose : entrer en relation d’amour avec les humains, une relation qui ne s’achète pas avec des offrandes ou des sacrifices, mais qui se vit dans la gratuité de l’amour donné et reçu. La perspective change du tout au tout. Dieu est gratuit et son amour ne fait l’objet d’aucune transaction. Il est offert sans condition à qui se donne et entre dans cette relation nouvelle qu’on appelle « l’alliance ». Dieu ne demande pas que l’être humain se sacrifie à lui : son seul désir est de trouver devant lui un cœur ouvert prêt au dialogue.

     Une dernière remarque. On peut considérer comme « barbare » cette pratique ancienne de l’anathème. Mais il est peut-être intéressant de voir comment elle se retrouve aujourd’hui dans la vie moderne. Les nouvelles divinités que l’on appelle le Marché, le Profit, l’Argent, le Pouvoir, ne demandent-elles pas qu’on se sacrifie entièrement pour elles? Ce rapprochement mériterait réflexion, ne croyez-vous pas?

Roland Bugnon

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L’évangéliste Luc et son animal symbolique