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Comprendre la Bible
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chronique du 4 janvier 2008

 

Caïn, Abel et l’agir de Dieu

QuestionDans le livre de la Genèse, pourriez-vous me dire pourquoi Dieu ne reçoit pas l’offrande de Caïn et accueille favorablement celui d’Abel? (M. Decaux)

RéponseVotre question est excellente, d’autant plus qu’il s’agit du premier geste religieux de toute la Bible. On pourrait même compléter votre question en se demandant d’abord comment ces deux frères ont appris le jugement de Dieu concernant leur offrande? La réponse à cette question est un préalable à votre question sur l’agir de Dieu.

     Comment ont-ils su que Dieu agréait ou n’agréait pas leur offrande? Le récit nous le dit, mais indirectement. Avant d’entrer dans des questions de vocabulaire, précisons d’abord qu’il y a deux versions de ce texte et que les deux versions divergent : il y a la version du texte massorétique (hébreu) et celle de la Septante (traduction grecque du texte hébreu).

     Dans le texte massorétique, le mot utilisé pour dire le regard que Dieu porte sur l’offrande (Gn 4,5) est le mot shaha, affirmé dans le cas d’Abel, nié dans le cas de Caïn. Or, ce mot, dans le judaïsme correspond à un voir de foi, à un regard qui comporte une dimension événementielle.

     Le texte grec, lui, traduit de deux façons ce mot shana : ephorao : signifiant « agréer » dans le cas d’Abel et prosekho signifiant « prêter attention » dans le cas de Caïn. « Et Dieu agréa Abel et ses présents, mais Caïn et ses sacrifices, il n’y prêta pas attention » (traduction de Marguerite Harl). Le regard de Dieu semble déjà pencher du côté d’Abel selon la traduction grecque de la Septante.

     Donc premier indice que Dieu agrée l’offrande est le type de regard qu’il porte sur l’offrande. Le deuxième indice, et la réponse explicite à votre question, se trouve, encore indirectement, dans les mots utilisés pour décrire l’offrande de chacun (Gn 4,5).

     Encore ici, les mots utilisés en hébreu et en grec ne sont pas les mêmes. En hébreu, un seul mot décrit les deux offrandes : le mot minhah. Ce n’est pas le mot habituel pour dire offrande. Le mot habituel est le mot korba. Le mot korba désigne des sacrifices ayant une fonction particulière : pardon, expiation, shabbat, inauguration, purification etc. Le mot minhah désigne une offrande libre et gratuite, faite exclusivement par amour, sans raisons particulières. Caïn et Abel n’avaient pas de raisons particulières de faire ces offrandes. Ils l’ont fait spontanément, comme souvent l’ont fait les hommes dans l’Antiquité : pour rendre grâce au Seigneur de l’univers de l’abondance des produits de leur terre ou de la croissance de leur troupeau, parce qu’ils reconnaissent dans cette abondance et dans cette croissance les traces de Sa Présence. C’est un mouvement de reconnaissance, libre, gratuit et joyeux.

     Mais alors, votre question se pose avec encore plus d’acuité : pourquoi Dieu a-t-il refusé cette offrande faite si généreusement?

     Le texte hébreu y répond dans le dialogue entre Dieu et Caïn (nous y reviendrons), mais le texte grec commence déjà à donner un élément de réponse dans le vocabulaire utilisé pour décrire l’offrande. Il traduit le mot hébreu minhah par deux mots différents : thusia dans le cas de Caïn, désignant une offrande ordinaire, banale, sans importance; C’est une offrande dont on garde d’ailleurs une partie pour soi; et dorion dans le cas d’Abel qui rejoint le sens religieux de l’hébreu minhah. Deuxième élément de réponse : ils ont tous les deux offerts, mais ils ne le sont pas de la même façon selon la traduction grecque de la Septante.

     Ils n’ont pas offert la même chose non plus : Caïn a offert « des fruits de la terre » (Gn 4,3). Abel a offert « les prémices de ses bêtes et leur graisse » (Gn 4,4) à savoir les premiers-nés de son troupeau et les meilleures parties. Abel a choisi ce qu’il y avait de meilleur pour Dieu. Son offrande est donc de meilleure qualité. La Loi de Moïse n’existait pas encore, me direz-vous, mais il y a quand même une tangente qui parcoure toute la Bible qui dit que Dieu devant être le premier sujet de nos pensées, il faut lui donner tout ce qui est premier… Caïn aurait pût,  lui aussi, offrir ses premiers fruits, les prémices de sa terre.

     Un dernier élément de réponse se trouve dans le premier dialogue entre Dieu et Caïn (Gn 4,6-7). Encore ici, les textes hébreu et grec divergent. Le texte hébreu parle « d’agir bien » sans complément d’objet direct pour exprimer le dilemme de Caïn : « si tu agis bien… si tu n’agis pas bien ». « Agir bien » sans complément d’objet direct réfère à l’intériorité de Caïn, aux modalités de son geste, aux motivations sous-jacentes, à ses choix. Si tout cela est en accord avec lui-même, alors son visage se lèvera : dans le judaïsme lorsque l’on prie, on a les yeux ouverts, le visage levé vers Dieu (on prie debout d’ailleurs). Le visage de Caïn va donc refléter son attitude intérieure. Mais, Dieu lui dit, que dans le cas contraire, il est encore temps de se raviser : « le péché… te désire. Mais toi, domine-le » (Gn 4,7). Le texte hébreu met donc l’accent sur l’attitude intérieure de Caïn dans son rapport à la prière. Le texte grec, lui, se concentre sur l’offrande. Il écrit : « Si tu as présenté correctement, mais partagé non correctement, n’as-tu pas péché? » (traduction Marguerite Harl). Le texte grec interprète le texte hébreu en le développant. Caïn n’a pas divisé correctement… référant à la kara-berith hébraïque (Gn 15,10). Il voit donc, dans le sacrifice de Caïn la présence d’une faute rituelle.

     En comparant le texte hébreu et la traduction grecque de la Septante, on voit que cette dernière nous permet de conclure que Caïn a commis plusieurs fautes, dans ce qui était offert, dans les modalités de l’offrande et dans la façon de l’offrir. Notons cependant que si l’offrande de Caïn n’a pas attiré le regard de Dieu, sa souffrance, elle l’a au contraire, hautement interpellée! Et le Seigneur y a répondu…

Yolande Girard

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Bethléem, ville du Messie