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chronique du 26 septembre 2008

 

L’origine de la circoncision

QuestionQuelle est l'origine de la circoncision? (Maïlys)
 

circoncision

Bas-relief illustrant le rituel de la circoncision
Tombeau d'Ankhmahor, Saqqarah (Égypte).

RéponseTout le monde sait ce qu’est la circoncision. Elle consiste dans l’ablation du prépuce du pénis des hommes, opération chirurgicale qui n’a pas de signification religieuse en soi mais qu’on lui a accordée plus tard. La circoncision est attestée en Égypte à une époque ancienne, dès le troisième millénaire, dans des bas-reliefs et des textes. Si on a retrouvé certaines momies qui n’étaient pas circoncises, il semble, du moins, que le rite ait été obligatoire pour les prêtres (confronter Jos 5,9 ou Éz 32,21-30 avec Jr 9,24-25). Ces attestations très anciennes ont longtemps conduit à croire que c’est d’Égypte que le rite se serait répandu dans tout l’Orient où, à une époque, sa pratique était généralisée. Toutefois, de récentes découvertes archéologiques ont amené certains spécialistes à supposer un mouvement inverse, partant de l’Orient vers l’Égypte. En Égypte, elle ne semble pas avoir eu de signification religieuse, mais hygiénique et surtout sociale. On la pratiquait sur les garçons de 8-10 ans ou les adolescents qui étaient sur le point de se marier. Elle était donc liée à la puberté, comme c’est encore le cas à plusieurs endroits en Afrique. Peut-être ce lien est-il attesté par des récits bibliques comme Gn 34, où le rite est motivé par la possibilité d’un mariage, ou le récit – difficile à comprendre– d’Ex 4,24-26 dans lequel, de toute façon, il y a un lien entre le mariage et la circoncision. On pense encore à Gn 17 lui-même qui prépare la grossesse de Sara jusque-là stérile et la naissance d’Isaac. Ce récit est intéressant puisque ce n’est plus le rite lui-même qui assure une nombreuse descendance – ce qui aurait pu être interprété de façon magique – mais les seules promesses de Dieu. Les mots hébreux, enfin, qui désignent la circoncision sont proches de ceux qui désignent aussi les jeunes époux et d’autres membres masculins de la famille. Il semble donc, qu’à l’origine du moins, la circoncision rendait apte à une vie sexuelle normale, qu’elle était une initiation au mariage. Le rite possédait aussi une connotation magique visant à éloigner le mal (Ex 4,24-26 où Çippora circoncit son fils pour qu’il évite le châtiment des premier-nés égyptiens incirconcis; aussi Ex 12 sur le sang de la Pâque qui éloigne l’exterminateur. La prière juive accompagnant le rite va dans le même sens). Plus tard, on en vint à circoncire les enfants mâles quelques jours après leur naissance, ce qui estompa la signification première du rite. La signification socio-religieuse qui lui fut associée acheva ce processus. On sait en effet combien la circoncision a joué un rôle identitaire autant au point de vue social ou ethnique que religieux (les deux étant étroitement reliés pour les Anciens).

     D’autres spécialistes ont argué que le rite scellait un pacte. On sait en effet que les traités d’alliance s’effectuaient lors d’un sacrifice qui se terminait en prenant les divinités à témoin et en appelant sur soi des malheurs si les stipulations n’étaient pas respectées. Or, les textes cités sont aussi en contexte d’alliance : Gn 17, entre Dieu et Abraham; Gn 34 entre Israël et Sichem, peut-être aussi Jos 5,2-9 en tant que renouvellement de l’alliance.

     Les textes bibliques qui en parlent montrent aussi une certaine évolution. Les lois les plus anciennes du Pentateuque mentionnent le rite en passant, au sujet de la participation à la Pâque (Ex 12,44.48), de la purification de la femme qui venait d’accoucher (Lv 12,3), en comparaison avec les premiers fruits des arbres (Lv 19,23). Le texte central est bien évidemment Gn 17,1-14 (P) qui est la toute première loi de la Bible, où yhwh institue la circoncision comme signe de l’alliance entre lui et Abraham et sa descendance. Il y est spécifié que l’opération doit être pratiquée sur tous les enfants mâles à l’âge de huit jours (Gn 17,10-14). L’origine ancienne est peut-être attestée par la précision que la circoncision devait être pratiquée par un silex (Ex 4,25; Jos 5,2-3), alors que le métal était connu depuis longtemps à l’époque des textes. Effectivement, Isaac est circoncis huit jours après sa naissance (Gn 21,4). L’opération devait être pratiquée par le père, plus tard par un médecin ou un spécialiste. Le lieu variait, mais jamais la circoncision n’a été pratiquée dans le sanctuaire ni par les prêtres. Comme on peut imaginer, la blessure ne guérissait qu’après quelques jours de repos, surtout s’il s’agissait d’adultes (Gn 34,25; Jos 5,8).

     Selon Gn 17,12-13, les Israélites devaient aussi faire circoncire leurs serviteurs (israélites ou étrangers). C’était une condition pour que les étrangers (serviteurs ou résidants) puissent participer à la Pâque (Ex 12,43-49). Ce n’est pas tous les peuples voisins d’Israël qui pratiquaient aussi ce rite (cf. Jg 14,3), mais la plupart semblent l’avoir fait. La circoncision, donc, ne distinguait pas vraiment les Israélites des autres peuples avoisinants. Les lecteurs de la Bible ont tous en tête les mentions des « incirconcis ». On doit préciser que ce terme s’applique surtout aux Philistins, peuple venu d’Occident par la mer (Crête? îles égéennes?), donc loin culturellement des peuples d’orient (Jg 14,3; 15,18; 1 S 14,6; 17,26.36; 31,4; 2 S 1,20). Quoi qu’il en soit, l’interminable conflit avec eux acheva de donner à la circoncision une valeur identitaire. Si l’on ajoute à cela que ni les Babyloniens ni les Grecs ne la pratiquaient, il devient clair que c’est seulement pendant l’exil que la circoncision devint la marque distinctive de l’appartenance au peuple d’Israël. Il semble aussi qu’à cette époque les peuples d’orient abandonnaient peu à peu la coutume. Lors de l’invasion militaire et culturelle des Grecs puis des Romains, pour qui la circoncision était une abomination et un motif de raillerie, la coutume eut de la difficulté à survivre. En effet, les Grecs ne craignaient pas de se montrer nus en public (au gymnase ou dans les bains publics), mais abhorraient la circoncision. Antiochus IV Épiphane (175-163 avant Jésus Christ) l’interdit et punit les contrevenants (cf. 1 M 1,60-61; 2 M 6,10), de même que l’empereur Hadrien (117-138). Devant les menaces d’assimilation, l’importance de la circoncision comme signe de l’alliance et appartenance au peuple choisi s’affirma avec toujours plus de force. Au Ier siècle de notre ère, les prosélytes y étaient forcés (Jdt 14,10; Est 8,17; Ac 15 ; 16,3; Ga 2,3).

     Il faut dire un mot, enfin, sur l’emploi métaphorique du mot, la fameuse « circoncision du cœur », ainsi appelée par les prophètes qui réagissaient contre un certain automatisme, une institutionnalisation du rite. Un cœur incirconcis est un cœur qui ne comprend pas, qui ne se laisse pas toucher (Jr 4,4; 9,24-29; Dt 10,16; 30,6; Lv 26,41). Jr 6,10 parle d’une « oreille incirconcise », celle qui, évidemment, n’écoute pas; Ex 6,12 de « lèvres incirconcises » qui ne parlent pas. Quant à Éz 44, 7, il parle des « incirconcis de cœur et incirconcis de corps ». Dans ces exemples, l’incirconcision rend inapte à faire ce que Dieu veut. Ainsi, un fils d’Israël qui a le cœur incirconcis est ravalé au niveau des païens, de ceux qui n’appartiennent pas au peuple choisi et sont membres de l’alliance. Au contraire, un fils d’Israël circoncis de corps et de cœur peut entrer pleinement dans l’alliance. Le fait que c’est en ce jour-là que les nouveau-nés recevaient leur nom peut aussi renforcer cette signification de vocation nouvelle, de vie nouvelle. Dans le système lévitique du pur et de l’impur, le prépuce équivaut à l’impur qui empêche de participer à la sainteté de Dieu (cf. Lv 19,23-25 aux sujets des premiers fruits). Le Nouveau Testament a repris l’image (Jn 7,22-23; Ac 7,51; Rm 2,25-29; 1 Co 7,18-19; Ga 5,6; 6,13.15; Ph 3,3; Col 2,11; 3,1).

     Si l’on récapitule les différents niveaux de signification du rite de la circoncision, on peut affirmer que, de façon générale, il rend capable d’accomplir l’œuvre de Dieu, soit dans le mariage et la fertilité, soit dans l’alliance, soit dans la délivrance du mal, soit enfin dans l’identité nationale de peuple de Dieu. Les textes ne portent généralement pas toutes ces significations mais jouent plutôt sur l’un ou l’autre niveau.

Hervé Tremblay

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La circoncision

Chronique précédente :
Amour du monde et don de la foi selon Jean 3,16-18