Vue aérienne du site de fouilles d’el-Araj (photo © Zachary Wong)

Bethsaïde, la ville perdue des apôtres

Beatrice GuarreraBeatrice Guarrera | 4 juin 2018

Deux mille ans d’incertitude et de mystère. De l’époque du Christ jusqu’à aujourd’hui, il existe encore d’importants points obscurs sur Bethsaïde, la ville de trois apôtres, mentionnée sept fois dans les Évangiles. Où se trouvait-elle ? Que s’y passait-il ? Où la chercher aujourd’hui ?

De récentes hypothèses l’ont portée au cœur de l’attention mondiale. « La ville perdue des apôtres a été retrouvée », titrait le journal israélien Haaretz en août 2017 et la nouvelle s’est ainsi répandue dans le monde entier. Pour en savoir plus, revenons-en aux origines.

Au temps des Évangiles, Besthsaïde était un village de pêcheurs entre le Jourdain et la mer de Galilée, peut-être non loin de Capharnaüm. Le village était gouverné par Hérode Philippe, fils d’Hérode le Grand, le tétrarque de la Gaulanitide. D’après l’historien Flavius Josèphe, Hérode Philippe a décidé en 30-31 ap. J.-C. d’élever Bethsaïde au rang de ville et l’a renommée du nom de Julia, en l’honneur de la mère de l’empereur romain d’alors, Tibère. Bethsaïde fut détruite en 67 ap. J.-C. en même temps que d’autres villes de Galilée au cours de la guerre contre les Romains, connue sous le nom de Première guerre juive. Par la suite, un fort tremblement de terre secoua toute la région, modifiant considérablement l’environnement. Pline l’Ancien raconte qu’à cause de ce séisme, le lac de Tibériade perdit en longueur, passant de 22,5 à 17,5 km et de ce fait Bethsaïde perdit son accès à la mer. Pour une ville vivant de la pêche, c’était la ruine.

La ville disparut au IVe siècle, mais dans la mémoire des chrétiens, elle restait le lieu d’origine des apôtres, le lieu où Jésus accomplit de grands miracles. Et 2000 ans plus tard, on continue à la rechercher.

et-Tell

Des membres de l’équipe de fouilles du professeur Arav à et-Tell (photo © Shai Schwartz)

Les fouilles d’et-Tell

Au début du XIXe siècle, un voyageur suggéra d’identifier Bethsaïde au lieu connu aujourd’hui sous le nom d’et-Tell. En 1838, l’archéologue Edward Robinson avait déclaré la même chose, mais à cette époque cette suggestion resta sans suite. Bien des années plus tard, en 1967, la question fut rouverte par un moine bénédictin, Bargil Pixner, et c’est seulement en 1988 que l’archéologue Rami Arav entama les fouilles d’et-Tell. « La question de Bethsaïde m’a laissé perplexe : c’était le seul site connu de l’histoire qui n’avait pas été identifié », expliquait Dr Rami Arav.

Le tell se trouve sur une petite colline à l’est du Jourdain, à 2 km du lac. Les fouilles ont permis de découvrir des ruines des périodes hellénistique et romaine (IIe siècle av. J.-C. jusqu’à 65-66 ap. J.-C.), parmi lesquelles celles d’un temple romain. Selon Arav, ce sont des preuves suffisantes pour identifier et-Tell à la Bethsaïde biblique. Avoir entre autres trouvé une maison comportant du matériel de pêche professionnel laisse deviner la profession de son propriétaire.

L’identification d’et-Tell à Bethsaïde semblait tellement sûre que l’État d’Israël l’avait officiellement reconnue comme telle ; Jean-Paul II, lorsqu’il est venu en Terre Sainte, avait même visité le site. Pourtant, les spécialistes d’aujourd’hui restent perplexes : le site se trouve vraiment loin de la mer de Galilée, à un niveau plus élevé que le lac d’autrefois et il y a peu de restes romains du Ier siècle qui pourraient prouver l’existence d’une vie urbaine.

Les fouilles se poursuivent à et-Tell, mais en même temps, deux autres candidates se disputent le nom de Bethsaïde : el-Araj et el-Mesadiyeh. Jim Strange avait mené une recherche à el-Mesadiyeh en 1982, sans trouver la moindre céramique datant du début de l’ère romaine.

mosaïque

Mosaïque trouvée sur le site d’el-Araj, un indice précieux pour la datation. (photo © Zachary Wong)

Les fouilles d’el-Araj

D’intéressantes découvertes viennent d’être faites à el-Araj : on peut supposer que Bethsaïde/Julia a finalement été retrouvée. « Au cours des premières recherches, nous avons trouvé une céramique de l’époque romaine, ce qui suggère l’existence d’une couche romaine dans le sol. Nous avons donc décidé de procéder à des fouilles. » C’est ce que raconte le Dr Mordechai Aviam, archéologue et directeur du projet d’el-Araj, à Terre Sainte magazine. La première période de fouilles a débuté en été 2016, à l’initiative du Kinneret Institute for Galilean Archaeology sous sa direction.

Le site d’el-Araj se trouve près de l’embouchure du Jourdain dans la mer de Galilée, sur la rive nord-est au pied du Golan, annexé par Israël et revendiqué par la Syrie depuis 1967. À l’issue des deux périodes de fouilles de 2016 et 2017 menées par des archéologues israéliens, les découvertes les plus intéressantes furent les suivantes : une collection de céramiques romaines des Ier et IIIe siècle, deux pièces romaines (l’une du Ier et l’autre du IIe siècle), un mur et un fragment de sol mosaïqué et des parties d’une salle de bains romaine. Les pièces d’argent seraient de l’époque de Néron, tandis que les éléments liés à des thermes romains évoquent une culture de type urbain qu’il pouvait y avoir à Bethsaïde/Julia. Les murs et les mosaïques en verre doré du Ve siècle ap. J.-C. suggéreraient l’existence d’une église de grand intérêt de la période byzantine. Cela pourrait également correspondre à la description de l’évêque bavarois Willibald d’Eichstätt qui, voyageant dans la région en 725, avait mentionné une église construite sur la maison de l’apôtre Pierre et de son frère André. Il en était de même à Capharnaüm, où une maison romaine avait été retrouvée sous une église byzantine.

Les objets se trouvaient sous une épaisseur de terre elle-même située à 2 m sous une couche byzantine du Ve siècle, déjà analysée précédemment. La profondeur de la couche est étonnante, dans la mesure où les chercheurs avaient toujours cherché Bethsaïde à un niveau supérieur : ils croyaient en effet qu’à l’époque de Jésus, la mer de Galilée était à 209 m sous le niveau de la mer. Au lieu de cela, la couche romaine de laquelle proviennent les découvertes se trouve à 212 m sous le niveau de la mer.

Probablement qu’avec le temps, le site a dû être recouvert de boue et d’argile, charriées par le Jourdain à la fin de l’époque romaine, puis repeuplé dans la période byzantine. « Je ne peux pas affirmer à 100 % avoir découvert la véritable Bethsaïde, mais il est clair qu’el-Araj est une bonne candidate au moins équivalente à et-Tell, et c’est la meilleure candidate pour Julia, a déclaré Mordachai Aviam. Nous espérons poursuivre les fouilles à une plus grande échelle l’année prochaine en juillet. Nous élargirons la zone de fouilles de la période romaine, et nous chercherons aussi l’église byzantine. »

pièces de monnaie

Les deux pièces trouvées pendant la campagne de l’été 2017. Celle de gauche a été frappée sous Néron, vers 66-67 de notre ère. (photo © National Geographic)

Controverses

Les nouvelles hypothèses sur Bethsaïde ont attiré de nombreux chercheurs et ne sont pas restées à l’abri des critiques. Le Dr. Rami Arav, tout d’abord, qui avait par le passé effectué de petites recherches archéologiques sur la région d’el-Araj et suggéré qu’il n’y avait pas pu y avoir de vie avant la période byzantine. « En s’appuyant sur une pièce d’argent de l’empereur Néron de 65-66, l’expédition s’est empressée de conclure que ce petit élément était le début d’une grande ville, identifiée par eux comme Bethsaïde/Julia, a expliqué le Dr. Arav. Le fait que nous n’ayons pas trouvé de résidus similaires dans nos fouilles signifie que le site découvert est plutôt limité. L’affirmation des membres de l’expédition du Collège Kinneret est extrêmement prématurée. Le site d’et-Tell est un meilleur candidat. » Le Dr Mordechai Aviam, en tout cas, s’est toujours montré prudent dans les conclusions tirées sur les fouilles effectuées à el-Araj. « Je n’ai pas dit qu’il s’agissait de la véritable Bethsaïde, a-t-il déclaré, je me suis demandé “La vraie Bethsaïde/Julia a-t-elle été trouvée?” Nos découvertes remettent le site au cœur des discussions quant à son identification. Elles ont tout d’abord prouvé qu’el-Araj existait à la période romaine. Dans un second temps, nous avons une preuve claire, quoique faible, de l’existence d’un bain public romain qui est un bon indicateur de la vie urbaine. C’est plus que ce qu’avait fourni et-Tell pour révéler une vie urbaine. »

Selon Rami Arav, cependant, depuis le Ier siècle, Bethsaïde n’existait plus, les pèlerins byzantins l’identifiaient à un village près de l’estuaire du Jourdain. « Je pense que c’est précisément ce qu’ont découvert les fouilles d’el-Araj, a déclaré Arav. Je crois également qu’ils y ont trouvé le camp militaire mentionné par Flavius Josèphe, toujours dans cette région durant la guerre juive de 65-73. »

En raison du désastre causé par le tremblement de terre, les pêcheurs de Bethsaïde auraient abandonné le site d’et-Tell, désormais trop loin de la mer, et auraient émigré vers la ville qui est aujourd’hui el-Araj. Cette hypothèse est-elle crédible? Le Dr Mordechai Aviam répond sèchement : « Non, je ne le crois pas. Maintenant, nous avons la preuve! Nous avons trouvé une couche romaine à 2 m en-dessous de la couche byzantine. » Histoire à suivre…

Beatrice Guarrera est journaliste indépendante à Jérusalem.

Source : Terre Sainte magazine 652 (novembre-décembre 2017) 12-15.

Comprendre la Bible

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Vous éprouvez des difficultés dans votre lecture des Écritures? Le sens de certains mots vous échappent? Cette section répond à des questions que nous posent les internautes. Cette chronique vise une meilleure compréhension de la Bible en tenant compte de ses dimensions culturelle et historique.

Bethsaïde dans les évangiles

Bethsaïde apparaît une fois dans l’évangile de Matthieu (Mt 11,21) et deux fois dans les trois autres : Mc 6,45 et 8,22 ; Lc 9,10 et 10,13 ; Jn 1,44 et 12,21 Selon l’évangéliste Jean, les apôtres Pierre, André et Philippe sont originaires de cette ville. Marc dit que c’était l’endroit où Jésus a guéri un aveugle. Dans l’évangile de Luc, on lit que c’est à Bethsaïde qu’a eu lieu la multiplication des pains et des poissons où Jésus a nourri cinq mille hommes. C’est une ville où tant de prodiges se sont passés, qu’elle était comptée parmi celles ayant subi des reproches de Jésus, parce qu’elles ne s’étaient pas converties : « Malheureuse es-tu Chorazeïn ! Malheureuse es-tu Bethsaïde ! Car, si les miracles qui ont eu lieu chez-vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, ces villes, autrefois, se seraient converties sous le sac et la cendre. » (Mt 11,22 et Lc 10,13)