(Elijah Hiett / Unsplash)
5. Satan, anges et démons : faut-il y croire ?
André Myre | 20 mai 2019
Les cultures passent, les interrogations demeurent. Chaque génération se pose les mêmes questions, en quête de réponses qui, malheureusement, ne sont jamais satisfaisantes, ni définitives. C’est que les vraies questions ne peuvent pas trouver de réponses, puisqu’elles ouvrent sur plus grand que les humains qui les posent.
Seule la Parole peut donner vie à la parole de Dieu
Certes, la Bible est parole de Dieu. Sur près de mille ans, en effet, à chaque génération, la Parole s’est incarnée dans un moment de l’Histoire, dans une culture, située dans un espace géographique. La Bible est faite d’une série de ces points qui tracent une ligne. Pourtant, la Parole prononcée par Dieu n’est contenue dans aucun de ces points, et ne se trouve pas non plus dans la ligne. C’est que, paradoxalement, la Parole ne s’entend pas dans la parole de Dieu. C’est que la Parole ne peut se dire que dans le cœur du croyant ou de la croyante qui, lisant la parole telle qu’elle a été consignée jadis, reconnaît la question qui monte du plus profond de son intériorité, et ressent l’interpellation à cheminer en suivant la ligne jadis tracée. La Bible n’est donc parole de Dieu que pour celui ou celle qui entend la Parole au cœur de son être. Si les mots de jadis, aussi sacrés soient-ils, ne sont pas vivifiés par la Parole présente, toujours neuve et surprenante, ils ne sont qu’idole muette. On aura beau les exhiber en tremblant, les élever par-dessus la tête, les honorer d’encens et leur adresser tous les hommages, ils n’ont rien de signifiant à dire. La Bible n’est que parole ancienne de Dieu, à qui seule sa Parole présente peut donner vie et sens.
Vie humaine, et parole sur le Satan
Pour tout être humain, une seule chose compte dans la vie : la réussir, en devenant une personne digne de ce nom. Les humains s’y essaient depuis la naissance de la conscience, un moment lumineux qui s’est passé dans la nuit des temps. Ils ont essayé toutes sortes de recettes, mais aucune ne s’est jamais imposée. La Bible, d’ailleurs, dit elle-même qu’il s’agit là d’une tâche proprement impossible à remplir.
Mt 5,48 Soyez donc aussi accomplis que l’est votre Parent, celui du Ciel.
Puisque le chemin qui mène à l’accomplissement humain est sans limite, personne, dans l’Histoire, n’en a jamais vu le bout, le personnage du Satan en témoignant [1]. Croire à la parole sur le Satan des évangiles, ce n’est donc pas affirmer l’existence de ce dernier. C’est bien plutôt, pour le croyant ou la croyante, avoir une attitude humble et aimante vis-à-vis du mystère de sa propre personne. Je suis en chemin, mais, ici-bas, je ne verrai jamais où je m’en vais. Je veux marcher droit, mais me vois souvent forcé, que je le veuille ou non, à marcher croche ou à faire des détours. Je ne me condamne pas, mais ne suis pas correct pour autant. Je suis le produit de mille rencontres, sans pouvoir apprécier ce que je leur dois dans mon devenir. J’ai aussi interagi avec d’innombrables humains, sans jamais savoir si je leur ai fait plus de bien que de mal. Croire au Satan de l’évangile, c’est croire la Parole, qui affirme que la vie a un Sens, lequel donne un sens à la mienne, en espérant qu’un jour, je saurai.
Vie humaine, et parole sur les anges et les démons
Une journée humaine est faite d’une foule d’événements auxquels nous réagissons à tous les niveaux de notre être. J’ai chaud, j’ai froid. Il fait beau, il fait mauvais. Je me sens en sécurité, j’ai peur. Je me sens bien, j’ai mal. Je l’aime, je la déteste. J’ai assez d’argent pour vivre, je fais face à la catastrophe. La liste est sans fin. Et nous sommes toujours en train de nous ajuster, pour trouver équilibre, paix, confiance, tranquillité, santé, harmonie, amour, bonheur. Les démons de l’évangile, c’est tout ce qui menace notre personne, aux niveaux tant physique que psychique. Les anges, c’est tout ce qui nous protège, nous enveloppe de sécurité, nous ouvre un chemin de confiance. Croire aux démons, c’est se rendre conscients de la présence d’innombrables dangers qui menacent sérieusement l’intégrité physique et psychique des humains : molécules présentes dans l’environnement; bactéries, virus et microbes; débalancements chimiques dans le cerveau; système social, économique, commercial, qui crée d’énormes pressions sur les humains. Croire aux anges, c’est apprécier toutes les interventions qui, chaque jour, manifestent la bonté des humains, adoucissent la vie et donnent une couleur positive à l’existence. La vie est à la fois dure et tendre. À l’écoute de la Parole, j’ai à trouver comment la vivre de façon équilibrée, en étant conscient de ce qui la menace ou en favorise la croissance.
Vie humaine, et parole sur Dieu et le Mal
La Bible est coulée dans une vision du monde qui n’a plus cours. L’univers est conçu comme une mer menaçante, au milieu de laquelle se trouve une bulle d’air reposant sur de solides piliers. En haut de la bulle, se trouve le ciel où Dieu habite; en bas, entre les piliers, il y a la sinistre caverne où errent les ombres des morts; le plancher de la bulle, c’est la terre où vivent les humains. La vie est concentrée dans la bulle, où Dieu et les humains sont en interaction constante. Lui, les regarde, les surveille, réagit à leurs faux pas, leur communique son déplaisir par la voix puissante de son tonnerre. Eux le questionnent, l’interrogent, le prient de leur être favorable, de leur pardonner, de leur éviter inondations ou sécheresses, guerres et autres catastrophes, maladie ou mort.
Cette bulle d’air a disparu au profit d’un cosmos dans lequel il n’y a ni haut, ni bas, ni milieu. Sans endroit où situer la demeure de Dieu; ni trône, pour se placer à gauche ou à droite. Nous vivons dans une bien humble galaxie, sur une toute petite planète décentrée, comme au bord d’une soucoupe galactique. Depuis l’éclatement du point primordial, il y a quelque treize milliards d’années, le cosmos grandit à n’en plus finir dans la tourmente d’un devenir vertigineux, tandis, que, dans l’infiniment petit, il grouille d’une infinité d’événements tous plus surprenants les uns que les autres.
Dans ce cosmos, Dieu n’a pas sa demeure comme dans la bulle de jadis. Dans ce cosmos, Dieu ne règle plus le cours quotidien des choses. Il ne pose plus le geste spécifique de créer l’âme de chaque être humain qui accède à l’existence. Il ne décrie pas les décisions stupides de l’humanité, ni ne s’active à réparer les dégâts qu’elle cause. S’il n’envoie plus la maladie, il ne semble pas la guérir non plus, malgré que les siens l’en prient. Et, de moins en moins, sera-t-il le seul et unique à décréter le moment de leur mort. Dans ce cosmos, le Mal, jadis adversaire de Dieu, a lui aussi perdu son pouvoir. Ce n’est pas lui, le responsable de l’éclatement des supernovas, pas plus que de l’appétit vorace des trous noirs qui bouffent toutes les galaxies qui ont le malheur de passer à proximité. Il n’expédie plus ses démons pour attenter à la vie humaine, ou pour inciter à la destruction de la planète. Les humains s’en chargent fort bien à sa place.
Croire en la parole de Dieu sur Dieu, c’est écouter sa Parole. Le cosmos de Dieu est en mouvement. La terre est en mouvement. L’humanité est en mouvement. Dieu lui-même est en mouvement. Les cultures, les civilisations, les religions naissent, vivent et passent. Les paroles de Dieu se suivent au rythme de l’Histoire en marche, mais la Parole demeure, qui redonne sens aux paroles passées. Les mots bibliques sur Dieu ne sont pas Dieu. Ils ouvrent sur lui. Mais seule la Parole, qui parle aujourd’hui au cœur des humains, est capable de faire éclater la parole passée pour indiquer la direction dans laquelle il nous faut aujourd’hui chercher Dieu. Le Dieu vivant ne se rencontre que dans l’Histoire, là où il prononce sa Parole. Une fois la rencontre faite, puis racontée en paroles, il devient possible de se rendre compte de la continuité qu’il y a entre la parole de jadis, et la Parole aujourd’hui entendue et partagée. Seule la Parole vivante ouvre le chemin du « bon » Dieu, et permet de le distinguer des multiples idoles que les humains ne cessent d’ériger à sa place.
André Myre est bibliste et auteur. Il a été professeur à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal.
[1] Croire en Jésus, ce n’est pas affirmer que sa vie a été « parfaite », mais qu’il a cheminé droitement vers la cible de la Vie. Croire au Christ signifie qu’il dynamise aujourd’hui les siens à s’aligner sur le chemin qu’Il a choisi jadis, dans la phase historique de son existence.