Nous sommes familiers de cette désignation de Jésus, reprise par la liturgie catholique dans le rite de la communion. Mais pourquoi Dieu aurait-il un agneau? Et comment un agneau pourrait-il enlever le péché du monde?

« Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » (Jn 1,29)

Avec cette déclaration énigmatique, Jean-Baptiste présente Jésus à ses disciples au bord du Jourdain, à deux reprises (Jn 1,29.36). Le résultat est qu’André et un autre disciple anonyme quittent Jean-Baptiste, se mettent en route et suivent désormais Jésus (Jn 1,37). Mais pourquoi? Qui voudrait suivre un agneau? Jean-Baptiste lui-même ne baptisait-il pas les gens en vue de leur conversion et du pardon de leur péchés? (Mt 3,1-6; Mc 1,4-5; Lc 3,2-3). Pourquoi alors quitter leur maître pour suivre un inconnu?

L’agneau qui soit le mieux connu des Écritures est l’agneau pascal : un agneau sans défaut que les Israélites devaient immoler, rôtir, puis manger tout entier à la hâte, debout, bâton en main, prêts à partir d’Égypte vers la liberté en terre promise (Ex 12,1-14). Ils devaient aussi marquer de son sang les montants et le linteau de leurs maisons (Ex 12,7), afin que l’ange exterminateur envoyé par YHWH les reconnaisse et les épargne de la mort (Ex 12,12-13). Lors du récit de la passion, l’évangéliste Jean souligne que le verdict de la mort de Jésus est livré au moment où l’on commençait à égorger les agneaux pour célébrer la Pâque le soir même (Jn 19,14). Dans un tout autre contexte, le même évangéliste présente le corps et le sang du Christ comme nourriture pour la vie éternelle des croyants (Jn 6,53-57). En rapprochant ces textes il est possible de déceler une présentation johannique de Jésus comme étant le nouvel agneau pascal, sans défaut, même si certains éléments ne concordent pas : le sang de Jésus doit être consommé, il ne sert pas de signe protecteur; l’agneau pascal n’effaçait pas les fautes d’Israël, alors que Jésus « enlève le péché du monde » (Jn 1,29).

Un autre passage de l’Écriture fait mention d’un agneau au livre d’Isaïe :

« Il s’est laissé maltraiter sans protester, sans rien dire, comme un agneau que l’on mène à l’abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent. » (Is 53,7)

La victime dont il est question dans ce passage est le serviteur de YHWH, son « élu » porteur de son Esprit (Is 42,1). La destinée tragique mais féconde de ce serviteur est déployée dans Is 52,13 – 53,12, où l’on dit qu’il a été frappé à mort du fait des crimes d’Israël (Is 53,8), chargé de leurs fautes (Is 53,11), qu’ « il a pris sur lui les fautes des masses humaines » et qu’ « il est intervenu en faveur des coupables » (Is 53,12). Ce passage a permis aux tout premiers chrétiens de donner sens à la mort de Jésus sur la croix, comme en fait foi la reprise de ce passage du serviteur souffrant dans le livre des Actes 8,32-35, où il est appliqué à Jésus. Par contre, la seule similitude entre le serviteur et un agneau est décrite en termes de docilité, d’obéissance (Is 53,7). De plus, le serviteur porte les fautes des autres, mais ce n’est pas écrit qu’il les efface ou qu’il les enlève.

Il est une bête qui à la fois porte les fautes d’Israël et les fait disparaître, mais ce n’est pas un agneau, c’est le fameux « bouc émissaire » de Lévitique 16,7-10.20-22. Le jour de la fête du grand pardon (Yom Kippour), un bouc tiré au sort était envoyé au désert, repère du démon Azazel, emportant avec lui les fautes du peuple que le grand prêtre avait confessées et transférées sur sa tête, en lui imposant les mains. Cependant, ce bouc n’était pas immolé sur l’autel – et surtout – ce n’était pas un agneau sans tare!

Un dernier agneau à considérer est celui des visions de l’Apocalypse. Au milieu du trône, au ciel, se tient débout un agneau égorgé et vivant, qui seul est digne d’ouvrir les sceaux du livre de Dieu (Ap 5). C’est un agneau des plus étranges : ayant sept cornes et sept yeux, capable de se tenir debout, de prendre le livre de la main droite de Dieu et d’ouvrir les sceaux (Ap 5,6-7). C’est aussi un agneau qui se marie avec une femme et qui est l’hôte d’un repas de noce (Ap 19,6-9). Finalement, c’est un agneau exceptionnel aussi, puisqu’il est en même temps un lion vainqueur : « le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David » (Ap 5,5). On l’aura compris, cette figure messianique n’est nulle autre que Jésus, le Christ. Sa victoire porte les traces de son sacrifice : il demeure toujours égorgé et vivant, tout comme le Ressuscité porte les traces des clous du Crucifié. Cet agneau formidable reçoit louange et adoration (Ap 5,11-14), mais il fait paître les martyrs et les guide vers les sources d’eaux de la vie, après qu’ils aient blanchi leurs robes dans son sang (Ap 7,13-17). Cet agneau est suivi par des vierges (Ap 14,4) et il mène les armées de Dieu à la victoire (Ap 17,14).

Nous voyons que la désignation messianique de Jésus comme « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) est le fruit d’une impressionnante synthèse des traditions bibliques autour du sacrifice, de la purification des péchés et de la protection divine accordée à tous ceux et celles qui implorent la miséricorde de Dieu. Ce pardon n’est plus strictement d’ordre rituel, ni restreint aux fils d’Israël : le sang du Christ est un sang précieux, bien plus que celui d’un agneau sans défaut et sans tache (1 P 1,18-20), en mesure de racheter en une seule fois et définitivement le péché du monde entier (Hé 10,1-18). Ce qu’il y a d’incomparable désormais, c’est la générosité sans bornes de Dieu, nous offrant sans réserve son agneau. C’est parce que Jésus est l’agneau de Dieu, qu’il peut enrayer le péché du monde entier. Comme les disciples de Jean-Baptiste, les martyrs et les vierges… à nous de le suivre!

Rodolfo Felices Luna est professeur à l’Oblate School of Theology (San Antonio, Texas).