La drachme perdue. James Tissot, 1886-1894. Aquarelle, 21 x 43,3 cm. Brooklyn Museum, New York (Wikimedia).

9. Jésus et les pécheurs

Odette MainvilleOdette Mainville | 31 octobre 2022

Découvrir Luc : une série d’articles où Odette Mainville examine l’œuvre de Luc (évangile et Actes) pour en présenter les grands thèmes. Dans cet article, elle aborde trois paraboles qui illustrent bien l’accueil de Jésus envers les pécheurs.

Plusieurs récits du troisième évangile font voir l’accueil particulier que Jésus réserve aux pécheurs [1], lequel serait le reflet de celui que Dieu, lui-même, offre aux pécheurs repentants. Jésus a voulu en illustrer l’importance en proposant les trois paraboles suivantes : la brebis retrouvée (15,3-7), la pièce retrouvée (vv. 8-10) et le fils retrouvé (vv. 11-32).

La brebis retrouvée

Luc partage avec Matthieu (18,10-14) cette parabole de la brebis retrouvée, lui conférant toutefois un sens différent. En Matthieu, la parabole s’inscrit dans un discours de Jésus relativement à la nécessité de prendre soin des « petits », de veiller à n’en scandaliser aucun [2] et de partir à la recherche de celui qui se serait égaré. D’où l’immense joie pour un homme de retrouver cette brebis égarée et de la ramener auprès des quatre-vingt-dix-neuf autres. D’ailleurs, la péricope se termine par cette déclaration : « Ainsi votre Père qui est dans les cieux ne veut qu’aucun de ces petits se perde ».

En Luc, Jésus prononce cette parabole à l’intention des pharisiens et des scribes qui s’indignent du fait qu’il se laisse approcher par des collecteurs d’impôts et des pécheurs venus l’écouter : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! » (15,2). Le cadre privilégié par Luc est probablement plus proche de l’intention originale sous-jacente à la parabole que celui en Matthieu. La mise en scène plus imagée, qui s’étale dans un style chaleureux, sollicite plus directement les sentiments des auditeurs, de manière à ce qu’ils ne puissent faire autrement qu’acquiescer aux propos de Jésus. En Luc, on voit le berger, portant sur ses épaules la brebis retrouvée, revenir vers les quatre-vingt-dix-neuf autres brebis qu’il avait laissées dans le désert.

Il la charge tout joyeux sur ses épaules, et de retour à la maison, il réunit ses amis et ses voisins et leur dit : « Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée ma brebis qui était perdue ! »

Ces paroles de Jésus expriment non seulement l’importance que le Père accorde au pécheur, mais elles pavent aussi une voie d’apprivoisement susceptible de favoriser un retour sans crainte du pécheur vers Dieu. Par la même occasion, sans prononcer de reproches explicites à l’intention des pharisiens et des scribes, il leur fait néanmoins savoir qu’en dépit de leur prétention, leur perception de la justice ne correspond à celle du Père.

La pièce de monnaie retrouvée

La deuxième parabole, celle-là propre à Luc, propose l’histoire toute simple d’une femme qui a perdu une de ses dix pièces de monnaie (vv. 8-10). Elle déploie tous les efforts nécessaires pour la retrouver : elle allume la lampe, balaie le plancher et cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve. Or, Luc utilise les mêmes termes que dans la péricope précédente pour illustrer la joie de la femme d’avoir retrouvé sa pièce de monnaie :

Elle réunit ses amies et ses voisines et leur dit : « Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée la pièce que j’avais perdue ! »

Cet épisode, qui pourrait somme toute sembler bien banal, démontre pourtant qu’il n’y a pas de situation ni de chemin sans importance quand il s’agit de tendre la main au pécheur. La leçon véhiculée est la même que dans la parabole précédente, avec cette nuance que la joie de Dieu pour un seul pécheur retrouvé est, cette fois, proclamée devant les anges (v. 10).

Le fils retrouvé

La troisième parabole, fort célèbre, à laquelle on se réfère habituellement sous le titre de « L’enfant prodigue » (vv. 11-32), propre à Luc celle-là encore, comporte deux séquences détaillées, chacune mettant en vedette l’un des deux fils d’un père qui, par ses paroles de sagesse, cherche à rétablir l’harmonie entre eux. Sans en refaire le récit, revoyons néanmoins les traits caractéristiques de chacune des deux parties pour faire ressortir les leçons qu’elles comportent respectivement.

Le fils délinquant (Lc 15,11-24)

Le premier des fils réclame de son père sa part d’héritage et, l’ayant obtenue, s’en va dans un pays lointain où il dilapide tout son avoir. La famine survenant dans ce pays, il se voit alors réduit à prendre soin des porcs d’un des citoyens du lieu. Luc ne pouvait trouver image plus choquante pour illustrer la déchéance de ce fils, sachant que, dans la tradition juive, le porc est considéré comme l’animal le plus abject qui soit. Pour comble, ce fils aurait même consenti à s’alimenter de la nourriture donnée aux porcs si on le lui avait permis. N’ayant plus aucun recours, il décide donc de retourner vers son père, tout en préparant mentalement une confession de repentir qu’il se propose de lui adresser afin de réintégrer le logis paternel.

Le récit laisse entendre, ici, que le repentir de ce fils délinquant est davantage motivé par le fait qu’il ait atteint le fond de l’abîme et qu’il soit voué à mourir de faim plutôt que par le regret d’avoir mené une vie dissolue et d’avoir, de ce fait, méprisé la bonté de son père. En fait, s’il revient vers son père, c’est qu’il est mû par ce que l’on aurait qualifié autrefois de « contrition imparfaite ». Qu’importe ! L’accueil du père ne saurait être plus chaleureux et plus imprégné d’amour pour son enfant. Celui-ci ne néglige rien pour célébrer le retour du fils, le revêtant des plus beaux habits, allant jusqu’à offrir un festin en son honneur. Et ce père de justifier son accueil par ces vibrantes paroles :

Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé.

Qui sait si un tel amour inconditionnel de la part d’un père, en dépit des infâmes égarements du fils, ne pourrait alors se faire déclencheur d’un plus noble motif de repentir, celui justement d’avoir offensé ce père ? Et ce motif ne pourrait-il pas éventuellement s’accompagner d’une ferme résolution de ne plus jamais recommencer ? Une « contrition parfaite », dans ce cas, ne se substituerait-elle pas à « l’imparfaite contrition » initiale ?

Le fils indigné (Lc 15,25-32)

La seconde partie de la parabole fait état de l’indignation de l’autre fils, celui toujours demeuré fidèle à son père ; celui qui n’a jamais failli à la tâche ; celui pour qui le père n’a cependant jamais accordé un chevreau pour festoyer avec ses amis, alors que maintenant, il met tout en œuvre pour accueillir le rebelle. À l’indignation de ce deuxième fils, la réplique du père se fait éloquente, remplie d’amour et de sagesse :

Mon enfant, toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait festoyer et se réjouir, parce que ton frère que voici était mort et il est vivant, il était perdu et il est retrouvé.

Ainsi, face aux rechignements du fils, les propos du père témoignent d’un amour qui ne lui a jamais fait défaut. Ces propos ne pourraient-ils pas amener ce fils à une réflexion plus approfondie quant à l’envergure de l’amour dont est capable son père ? Et peut-être encore, l’amener à se laisser toucher par cette leçon d’amour, afin d’en arriver, lui-même, à un degré supérieur d’accueil et d’amour.

Il en découle donc que, dans les deux cas, l’objet implicite de la parabole est d’offrir un chemin de croissance à chacun des fils.

Conclusion  

Si chacune des trois paraboles avait pour objectif de manifester le pardon de Dieu au pécheur repentant, la dernière illustre avec encore plus de force cet amour et cet accueil inconditionnels que lui réserve le Père. Il faut rappeler enfin que ces trois paraboles s’adressaient à des pharisiens et à des scribes qui, dans leur cœur, reprochaient à Jésus de manger avec les pécheurs. Jésus a simplement voulu leur faire savoir que pour instruire les pécheurs sur l’amour de Dieu à leur égard, il faut d’abord le leur manifester de façon concrète ; leur en faire gouter la saveur pour leur donner envie de s’y alimenter eux-mêmes.

Odette Mainville est auteure et professeure honoraire de l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal.

[1] La pécheresse chez Simon (7,36-50) ; le pharisien et le publicain (18,9-14) ; le larron en croix (23,40-43).
[2] Mt 18,6-9.

Comprendre la Bible

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Vous éprouvez des difficultés dans votre lecture des Écritures? Le sens de certains mots vous échappent? Cette section répond à des questions que nous posent les internautes. Cette chronique vise une meilleure compréhension de la Bible en tenant compte de ses dimensions culturelle et historique.