INTERBIBLE
À la découverte du monde biblique
comprendre la biblearchéologiegroupes bibliquesinsolite
off Nouveautés
off Cithare
off Source
off Découverte
off Écritures
off Carrefour
off Caravane
off Scriptorium
off Artisans

 

 
Insolite
  insolite
Imprimer
chronique du 16 novembre 2012
 

Jonas, le prophète suicidaire

Jonas rejeté par le poisson devant Ninive

Jonas rejeté par le poisson devant Ninive
Bibliothèque Mazarine, Paris, ms. 0029 , f. 366v

Le livre de Jonas ne ressemble à aucun autre livre prophétique. Plutôt que de livrer des messages de Dieu, il raconte une courte histoire, presque un petit roman. Cette histoire est remplie d’images et d’interventions extraordinaires, mais les éléments les plus curieux se retrouvent dans les réactions de Jonas.

     Au début du livre de Jonas, le Seigneur lui demande d’aller prophétiser à Ninive, mais Jonas décide de fuir dans la direction opposée sur un bateau. Une violente tempête survient. L’équipage croit que l’origine de la tempête se trouve dans la fuite de Jonas. « Jonas leur dit : “Hissez-moi et lancez-moi à la mer pour qu’elle cesse d’être contre vous; je sais bien que c’est à cause de moi que cette grande tempête est contre vous.” » (Jonas 1,12) Ce qu’ils firent : Jonas plonge donc vers la mort, aidé de l’équipage. C’est là qu’intervient le merveilleux pour une première fois :

Alors le Seigneur dépêcha un grand poisson pour engloutir Jonas. Et Jonas demeura dans les entrailles du poisson, trois jours et trois nuits. Des entrailles du poisson, il pria le Seigneur, son Dieu. Alors le Seigneur commanda au poisson et aussitôt le poisson vomit Jonas sur la terre ferme. (Jonas 2,1-2.12)

     Avec ce grand poisson, l’histoire quitte le domaine des possibilités naturelles. Après lui avoir accordé son assistance, le Seigneur demande une deuxième fois à Jonas d’aller à Ninive. Il n’a plus le choix, il accepte. Jonas avait à peine marché une journée en proférant cet oracle : « Encore quarante jours et Ninive sera mise sens dessus dessous », que déjà ses habitants croyaient en Dieu. Ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent de sacs, des grands jusqu’aux petits. Dieu vit leur réaction : ils revenaient de leur mauvais chemin. Aussi revint-il sur sa décision de leur faire le mal qu’il avait annoncé. Il ne le fit pas.

     La proclamation de Jonas a été particulièrement efficace : tous les habitants de la ville reviennent dans le droit chemin et Dieu décide de ne pas les détruire. On pourrait croire que Jonas se réjouirait de l’efficacité de son travail, mais non. Voici la partie la moins connue de l’histoire de Jonas :

Jonas le prit mal, très mal, et il se fâcha. Il pria le Seigneur et dit : « Ah! Seigneur! n’est-ce pas précisément ce que je me disais quand je vivais sur mon terroir? Voilà pourquoi je m’étais empressé de fuir à Tarsis. Je savais bien que tu es un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance, et qui revient sur sa décision de faire du mal. Maintenant, Seigneur je t’en prie, retire-moi la vie; mieux vaut pour moi mourir que vivre! — As-tu raison de te fâcher? » lui dit le Seigneur.

Jonas sortit et s’installa à l’est de la ville. Là, il se construisit une hutte et s’assit dessous, à l’ombre, en attendant de voir ce qui se passerait dans la ville.
Alors le Seigneur Dieu dépêcha une plante qui grandit au-dessus de Jonas de sorte qu’il y avait de l’ombre sur sa tête pour le tirer de sa mauvaise passe. Cette plante causa une grande joie à Jonas.

Le lendemain, à l’aurore, Dieu dépêcha un ver qui attaqua la plante; elle creva. Puis, quand le soleil se mit à briller, Dieu dépêcha un vent d’est cinglant et le soleil tapa sur la tête de Jonas... Prêt à s’évanouir, Jonas demandait à mourir; il disait : « Mieux vaut pour moi mourir que vivre. »

Alors Dieu lui dit : « As-tu raison de te fâcher à cause de cette plante? » Jonas lui répondit : « Oui, j’ai raison de me fâcher à mort. » Le Seigneur lui dit : « Toi, tu as pitié de cette plante pour laquelle tu n’as pas peiné et que tu n’as pas fait croître; fille d’une nuit, elle a disparu âgée d’une nuit. Et moi, je n’aurais pas pitié de Ninive la grande ville où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne savent distinguer leur droite de leur gauche, et des bêtes sans nombre! » (Jonas 4,1-11)

     En sautant à la mer, Jonas montre qu’il est prêt à mourir. Ensuite, à deux reprises, il exprime clairement son désir de mourir : d’abord, en réaction au pardon du Seigneur qui a épargné la ville, puis en réaction à la mort de la plante qui lui donnait de l’ombre. On ne rencontre pas très souvent un prophète trois fois suicidaire!

     Dans sa discussion avec Jonas, Dieu met en doute le bien-fondé du désespoir de son prophète. Un sentiment partagé par la plupart des lecteurs et lectrices de ce texte. Quand il explique pourquoi il a épargné la population de Ninive, nous voyons se dessiner une image de Dieu très intéressante : un Dieu bon et miséricordieux, lent à la colère et plein de bienveillance, comme l’affirme Jonas lui-même. En plus, c’est un Dieu qui se soucie des autres nations. Il n’y a pas de Juifs à Ninive et pourtant Dieu y envoie un prophète pour presser les habitants d’arrêter de faire le mal. Lorsqu’ils se repentent, il a pitié d’eux.

     On peut comparer cette histoire à celle de la destruction de Sodome : Dieu anéantit une ville étrangère qui refuse de se détourner du péché. L’attitude des habitants de Ninive se révèle tout à fait différente : ils acceptent de changer alors qu’à Sodome, on s’endurcit. C’est pourquoi la ville est détruite alors que Ninive est sauvée.

Sébastien Doane

Texte complet dans :
Mais d’où vient la femme de Caïn. Les récits insolites de la Bible
Sébastien Doane, Montréal, Novalis ; Paris, Médiaspaul, 2010.

Article précédent :
Quand Dieu se prend pour un boulanger (Ézéchiel 4, 9)