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chronique du 2 octobre 2015
 

Arrêter le soleil pour condamner Galilée

Galilée et deux cardinaux

En organisant des observations (ici avec deux cardinaux), Galilée espérait faire accepter son modèle d'univers héliocentrique en accord avec ses découvertes astronomiques. Peinture de Jean-Léon Huens (1921-1982).

Voici le récit d’une bataille cosmique dans laquelle le Seigneur intervient en faveur de Josué et son armée. Pour gagner, il va jusqu’à arrêter le mouvement des astres et faire pleuvoir des pierres. Comment comprendre ce récit insolite qui a joué un rôle important dans le célèbre procès de Galilée?

Or, tandis qu’ils fuyaient devant Israël et qu’ils se trouvaient dans la descente de Beth-Horôn, le SEIGNEUR lança des cieux contre eux de grosses pierres jusqu’à Azéqa et ils moururent. Plus nombreux furent ceux qui moururent par les pierres de grêle que ceux que les fils d’Israël tuèrent par l’épée. Alors Josué parla au SEIGNEUR en ce jour où le SEIGNEUR avait livré les Amorites aux fils d’Israël et dit en présence d’Israël : « Soleil, arrête-toi sur Gabaon, lune, sur la vallée d’Ayyalôn! »

Et le soleil s’arrêta et la lune s’immobilisa jusqu’à ce que la nation se fût vengée de ses ennemis. Cela n’est-il pas écrit dans le livre du Juste? Le soleil s’immobilisa au milieu des cieux et il ne se hâta pas de se coucher pendant près d’un jour entier. Ni avant ni après, il n’y eut de jour comparable à ce jour où le SEIGNEUR obéit à un homme, car le SEIGNEUR combattait pour Israël. (Josué 10,11-14)

Le ciel nous tombe sur la tête!

     Les batailles menées dans le livre de Josué sont des batailles théologiques. Le sens global est le suivant : Dieu réalise les promesses qu’il a faites à son peuple. Il lui donne une terre en l’aidant à faire fuir ses ennemis. Non seulement Dieu cautionne cette guerre, mais il prend parti pour Israël, en combattant à ses côtés. Les pierres lancées par Dieu comme de la grêle sont d’ailleurs très efficaces. Ils tuent plus d’Amorites que l’armée de Josué. On est loin de l’image d’un Dieu de paix qui veut le bonheur de tous! Ici, il s’agit d’un Dieu d’une nation en particulier (Israël) qui, en bon guerrier, combat ses ennemis. Il ne faut peut-être pas s’en étonner. Dans la culture du Proche Orient ancien, on croyait que les dieux venaient se battre au côté de l’armée de ceux qui les invoquaient. Ainsi, on apportait sur le champ de bataille des statues et d’autres objets religieux. C’est manifeste dans les livres de Samuel et les livres des Rois, lorsque l’on transporte l’Arche d’Alliance sur le champ de bataille, signe de la présence de YHWH, le Dieu national d’Israël.

Lorsque la science aide à comprendre la Bible

     Au 17e siècle, les opposants au savant italien Galileo Galilei (Galilée) ont utilisé ce passage biblique comme arme théologique contre lui. En effet, les observations de Galilée sur les mouvements des astres ont mené à la reprise de la thèse de Copernic qui proposait d’adopter l’héliocentrisme, une thèse voulant que le soleil soit stable et que les autres objets célestes, dont la terre, tournent autour de lui. Les idées de Galilée se sont alors heurtées aux critiques des philosophes, partisans d’Aristote, qui appuyaient un géocentrisme stable. En effet, jusqu’à l’époque de Galilée, le sens commun voulait que la terre soit immuable et que le reste des objets célestes tournent autour d’elle. Durant son célèbre procès, deux passages de la Bible ont été évoqués comme « preuves » que la terre était immuable : cet extrait du livre de Josué (10,13), qui affirme que « le soleil s’arrêta et la lune s’immobilisa », et le premier verset du Psaume 93 (92) : « Tu as fixé la Terre ferme et immobile ». Les opposants de Galilée jugeaient ses thèses à partir de leur interprétation littérale de ces versets. Pour eux, la Bible ne pouvait errer.

     Au terme de son procès, Galilée est condamné à la prison à vie par la congrégation du Saint-Office, le bras judiciaire de l’Inquisition. Il fut obligé d’abjurer le système héliocentrique de Copernic, dont l’œuvre avait été mise à l’Index, quinze ans plus tôt. Le pape Urbain VII, qui avait soutenu Galilée au départ, transmue finalement cette peine en assignation à résidence.

     Au 18e siècle, Benoît XV lève les interdictions entourant les œuvres de Galilée. Sous Jean-Paul II, l’Église le réhabilitera, en 1992. Voici deux extraits du discours de ce pape :

Ainsi la science nouvelle, avec ses méthodes et la liberté de recherche qu’elle suppose, obligeait les théologiens à s’interroger sur leurs propres critères d’interprétation de l’Écriture. La plupart n’ont pas su le faire.

Paradoxalement, Galilée, croyant sincère, s’est montré plus perspicace sur ce point que ses adversaires théologiens. « Si l’écriture ne peut errer, écrit-il à Benedetto Castelli, certains de ses interprètes et commentateurs le peuvent, et de plusieurs façons. » [1]

     De nos jours, on voit bien comment les méthodes de Galilée, basées sur l’observation, ont permis de remettre en question une façon littérale de lire la Bible. Sa condamnation nous incite encore à réfléchir sur nos façons d’interpréter le livre saint. Les opposants de Galilée croyaient fermement que leur interprétation de la Bible était « la vérité » et non pas une simple interprétation. Au lieu de tenter de convaincre Galilée par des arguments rationnels, ils ont joué la carte de l’autorité. C’est en usant de leur pouvoir politique et religieux que les adversaires du savant ont imposé leur interprétation comme la vérité.

     Tout cela est une bonne leçon d’humilité pour l’Église institutionnelle et pour les exégètes. Ce n’est pas parce qu’on est professeur, prêtre, bibliste, docteur ou évêque que notre interprétation de la Bible est « la vérité ». Nous ne pouvons que tenter de persuader les autres de notre lecture.

Trois critères

     Voici trois critères que l’on peut utiliser pour juger d’une interprétation :

  1. Le retour au texte. Pour juger d’une interprétation, le plus efficace est de retourner lire attentivement l’extrait visé pour voir si l’interprétation a des appuis clairs dans le texte.

  2. Le regard des autres. Est-ce que la communauté de lecture à laquelle j’appartiens (famille, Église, université…) se reconnaît dans mon interprétation? La vigilance collective permet de repérer les interprétations qui sont moins fondées. Le dicton le dit bien : « Deux têtes valent mieux qu’une. »

  3. La tradition. Plusieurs siècles de lecture de la Bible ont donné une riche histoire des interprétations bibliques. Il est toujours intéressant de situer sa propre interprétation parmi celles qui nous précèdent.

[1] Extrait du discours du pape Jean-Paul II devant l’Académie pontificale des sciences, le 31 octobre 1992.

Texte complet dans Zombies, licornes, cannibales… Les récits insolites de la Bible, Sébastien Doane, Montréal, Novalis, 2015.

Sébastien Doane

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