chronique du 3 mars 2017

Châtier son peuple comme on torture une prostituée

Femme nue à genoux, pleurant
Edvard Munch, 1919

Dans un récit déconcertant, le prophète Ézéchiel raconte une histoire symbolique au sujet de deux sœurs : Ohola représente le royaume de Samarie et Oholiba, celui de Jérusalem. Après le récit d’Ohola, dont on abuse sexuellement et qui est tuée par les nations qui l’entourent, voici l’histoire d’Oholiba :

¹⁹ Elle multiplia ses débauches, souvenir des jours de sa jeunesse quand elle se prostituait en Égypte. ²⁰ Elle montra sa sensualité avec leurs débauchés : leur membre est un membre d’âne, leur éjaculation celle du cheval. ²¹ Tu es revenue à l’impudicité de ta jeunesse, quand les Égyptiens pressaient tes seins, caressant ta poitrine virginale. ²² C’est pourquoi, Oholiba, ainsi parle le Seigneur DIEU : Voici que je vais dresser tes amants contre toi ; ceux que tout ton être a pris en aversion, je vais les ameuter contre toi de partout : ²³ les fils de Babylone et tous les Chaldéens, Peqod, Shoa, et Qoa – tous les fils d’Assour avec eux – tous jeunes gens séduisants, gouverneurs, préfets, écuyers, dignitaires, tous montant des chevaux. ²⁴ Alors viendront contre toi, du nord, chars et véhicules : des peuples coalisés. L’écu, le bouclier, le casque, ils les placeront tout autour contre toi ; j’exposerai devant eux la cause et ils te jugeront selon leur droit. ²⁵ J’exercerai mon ardeur contre toi ; ils agiront envers toi avec fureur ; ils te couperont le nez, les oreilles, et ce qui subsistera de tes habitants tombera par l’épée. Ils prendront tes fils et tes filles et ce qui subsistera de toi sera dévoré par le feu. ²⁶ Ils te dépouilleront de tes habits et prendront les objets de ta parure. ²⁷ Alors je ferai cesser ton impudicité et la prostitution qui te vient d’Égypte ; tu ne lèveras plus les yeux vers eux et tu ne te souviendras plus de l’Égypte. ²⁸ Car ainsi parle le Seigneur DIEU : Je vais te livrer aux mains de ceux que tu hais, aux mains de ceux que tout ton être a pris en aversion ; ²⁹ ils agiront envers toi avec haine ; ils prendront tout ton profit ; ils te laisseront nue et dévêtue, et ta nudité de prostituée sera dévoilée. C’est ton impudicité et tes débauches ³⁰ qui te le vaudront, car tu t’es prostituée en suivant les nations, et puis tu t’es rendue impure avec leurs idoles. ³¹ Tu as pris le chemin de ta sœur : eh bien ! je mets sa coupe dans ta main.

³² Ainsi parle le Seigneur DIEU : La coupe de ta sœur, tu la boiras ;
elle est profonde, elle est large. Elle sera l’occasion de rire et de moquerie,
à cause de sa grande contenance : ³³ d’ivresse et d’affliction tu seras remplie. C’est une coupe de désolation et de consternation la coupe de ta sœur Samarie ; ³⁴ mais tu la boiras et tu la videras ; tu la briseras de tes dents, et de ses tessons tu te lacéreras les seins, car moi, j’ai parlé – oracle du Seigneur DIEU.

³⁵ C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur DIEU : Parce que tu m’as oublié et que tu m’as rejeté derrière toi, porte toi-même le poids de ton impudicité et de tes débauches. » […]

⁴⁶ Car ainsi parle le Seigneur DIEU : « Fais monter contre elles une assemblée, qu’on les livre à l’épouvante et au pillage ; ⁴⁷ que l’assemblée lance des pierres contre elles et les abatte par l’épée ; qu’on tue leurs fils et leurs filles et qu’on brûle leurs maisons. ⁴⁸ Je ferai cesser l’impudicité du pays. Toutes les femmes seront prévenues et elles n’imiteront plus votre impudicité. ⁴⁹ On fera retomber sur vous votre impudicité ; les péchés de vos idoles, vous en supporterez le poids. Alors vous connaîtrez que je suis le Seigneur DIEU. »

Ézéchiel 23,19-35.46-49

J’imagine que c’est à cause de pages comme celles-ci que l’Église ne recommandait pas la lecture de la Bible, autrefois… Si on faisait un film avec cette histoire, il serait certainement classé pour les dix-huit ans et plus!

Mise en contexte

Le peuple biblique était divisé en deux : au nord, un grand royaume appelé Israël, dont la capitale est Samarie; au sud, un plus petit royaume appelé Juda, dont la capitale est Jérusalem. L’histoire nous apprend que le royaume d’Israël a été détruit par les Assyriens, en 722 av. J.-C. Une bonne partie de la population s’est réfugiée au sud, dans le royaume de Juda qui, à son tour, tombe aux mains des Babyloniens, en 587 av. J.-C. Ézéchiel est un contemporain de la destruction de Jérusalem par Babylone. Devant cette destruction, les survivants se demandent pourquoi le Seigneur a laissé son peuple se faire écraser. La réponse proposée par Ézéchiel est que les Israélites sont les artisans de leur propre malheur. Depuis qu’ils ont connu le Seigneur, alors qu’ils étaient en Égypte, ils ont continué à vouer des cultes à d’autres dieux. Ézéchiel utilise la métaphore de l’adultère pour montrer l’infidélité du peuple. Ce récit montre donc la vengeance du Seigneur qui laisse les autres peuples détruire le sien, comme si Israël était une femme infidèle.

Le traitement de la prostituée et de Jérusalem

Résumons les malheurs de Oholiba : elle subit le viol collectif, on lui coupe le nez et les oreilles, on brûle ses enfants, on la lapide, on vole ses biens, on l’expose nue, elle doit s’automutiler les seins et on la tue par l’épée. Ouf ! Ce langage explicite montre deux horreurs. D’une part, il y a le sort du royaume de Juda et de ses habitants, lors de la destruction de Jérusalem par Babylone. Tous les textes bibliques qui y font référence décrivent une violence inouïe; on a dû y voir les pires scènes de barbarie qui soient. D’autre part, ce récit donne une image horrible du sort subi par les prostituées et les femmes ayant commis l’adultère, à cette époque. Pour que la métaphore soit efficace, le prophète doit traduire sa pensée théologique par une image que ses lecteurs connaissent et vont comprendre. Ces scènes de torture nous choquent aujourd’hui, mais les premiers lecteurs avaient probablement l’habitude de voir de telles scènes de violence mettant en cause des femmes ayant brisé les interdits sexuels.

Que faire de ce texte violent?

Comme lecteur contemporain, j’ai une grande difficulté avec ce récit, puisqu’il heurte ma compréhension de Dieu ainsi que ma façon de voir les femmes. En faisant un parallèle avec aujourd’hui, on constate qu’il y a certainement beaucoup de personnes qui ont abandonné le Dieu de la Bible. Ont-elles connu le même sort qu’Oholiba? Non. Il y a une multitude d’images de Dieu dans la Bible. Comme lecteur, je ne peux pas simplement les superposer, puisque certaines d’entre elles s’opposent. Je dois faire un choix parmi ces propositions bibliques. Comme chrétien, je décide de suivre Jésus et de mettre l’accent sur l’image de Dieu qu’il présente, celle d’un parent qui aime et écoute ses enfants. Ce récit horrible n’est pas à cacher. On peut le lire. On peut en parler. Mais il faut savoir faire la part des choses et refuser la violence inhérente à certains récits bibliques.

Les chrétiens ont déjà justifié la violence de leurs croisades et des exécutions de l’Inquisition par celle que l’on retrouve dans la Bible. Nous avons la responsabilité d’apprendre à lire ces textes et à les interpréter en suivant notre jugement.

Extrait de : Sébastien Doane, Zombies, licornes, cannibales… Les récits insolites de la Bible, Montréal, Novalis, 2015.

Sébastien Doane

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