Anne présente son fils au sanctuaire de Silo. William de Brailes, c. 1250. Miniature du manuscrit Walters (W.106) .
Encre et pigments sur parchemin. Musée d’arts Walters, Baltimore (Wikimedia).

Ne lui coupez pas les cheveux... en quatre!

Erwan ChautyErwan Chauty | 28 juin 2021

Le premier livre de Samuel commence par raconter la naissance du prophète Samuel, fils d’Elqana et de sa deuxième épouse Anne, préférée mais longtemps stérile. Elle avait prié dans le Temple, s’engageant à offrir au Seigneur, pour le service du Temple de Silo, l’enfant qu’elle espérait concevoir. Son vœu comportait une clause surprenante : « Seigneur de l’univers, si tu daignes […] donner à ta servante un garçon, je le donnerai au Seigneur pour tous les jours de sa vie, et le rasoir ne passera pas sur sa tête. » (1 S 1,11). Étrange engagement : les mères préfèrent souvent envoyer leur fils chez le coiffeur que les voir porter des dreadlocks [1] !

Un long détour archéologique nous permet aujourd’hui d’y voir clair : c’est qu’un verset du texte ancien s’est perdu, et n’apparaît plus dans les manuscrits médiévaux qui servent à établir les traductions d’aujourd’hui. Faisons donc un détour par l’Égypte et par le désert de Judée…

Un livre tardif de l’Ancien Testament, le Siracide (ou Ecclésiastique, ou Ben Sira), fait « l’éloge des hommes célèbres » (Si 44–50), dont Samuel. Écrit à Jérusalem vers 180, puis traduit en grec par son petit-fils à Alexandrie en 132, il n’a longtemps été connu que dans cette traduction. En 8 versets (Si 46,13-20), il fait l’éloge de Samuel, sans rien dire de ses cheveux. Mais à la fin du XIXe siècle, on a découvert au Caire une extraordinaire « guéniza », dépôt d’archives d’une synagogue, comportant des centaines de milliers de manuscrits. Parmi eux, un manuscrit (« B ») présente une copie de l’original du Siracide, en hébreu, oublié depuis des siècles ! Le passage sur Samuel y est beaucoup plus développé et nous laisse deviner à quoi ressemblait le texte original – que le petit fils de Ben Sira avait traduit en abrégeant. Le verset 46,13 dit ainsi :

Aimé de son peuple, et agréable à son créateur, celui qui fut demandé dès le sein de sa mère, nazir du Seigneur dans la fonction prophétique, Samuel juge et prêtre, sur l’ordre de Dieu il établit la royauté et oignit des chefs sur son peuple.

Le mot « nazir », absent du Siracide grec, indique une consécration religieuse particulière, avec des règles précises : s’abstenir de vin et de toute boisson fermentée, laisser ses cheveux pousser sans que le rasoir ne passe sur sa tête (voir Nb 6,4-5). Voilà donc la source de la demande d’Anne : elle voulait que son fils soit nazir ! Le texte de 1 Samuel l’avait oublié, mais l’original hébreu du Siracide s’en souvenait. Ce n’était pas une histoire de coupe de cheveux, mais de consécration au Seigneur !

La confirmation est venue quelques décennies plus tard, avec la découverte des manuscrits du désert de Judée à Qumrân, en 1947. Dans la 4e grotte, on a trouvé un manuscrit ayant presque 2000 ans des livres de Samuel (4QSam-a), dans lequel Anne déclare : « Il sera présenté devant le Seigneur et il restera là-bas pour toujours, car je le donnerai comme nazir pour toujours tous les jours de sa vie. » (1 S 1,22)

Il est facile de reconstituer ce qui s’est passé. Un copiste peu rigoureux avait lu puis recopié le début du verset, jusqu’à « il restera là-bas pour toujours ». Revenant au manuscrit original, ses yeux ont cherché les mots « pour toujours » pour continuer à lire… mais ils se sont posés sur le deuxième « pour toujours », sautant donc le morceau qui disait « car je le donnerai comme nazir ». Ce phénomène, appelé homoïoteleuton, est fréquent dans la transmission des manuscrits anciens. Un autre copiste, plus tard, a quant à lui perdu la fin du verset : les mots « tous les jours de sa vie » ont disparu.

Cette enquête archéologique a donc permis de retrouver les cheveux de Samuel… alors que les copistes les avaient coupés !

Erwan Chauty SJ est professeur au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris.

[1] Les dreadslocks sont des mèches de cheveux emmêlées.

Curieuse Bible

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La Bible comporte beaucoup d’éléments insolites, de passages obscurs, de détails cocasses. Il s’agit d’éléments parfois secondaires, mais qui font partie intégrante de la Bible et qui contribuent à sa richesse. Chrystian Boyer et ensuite Erwan Chauty et Sébastien Doane présentent dans cette chronique quelques-unes de ces curiosités de la Bible.