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Miracles sur la nature : historiques ou catéchétiques ?
Changer l’eau en vin, multiplier pains et poissons, marcher sur les eaux, apaiser la tempête, susciter une pêche surabondante ou faire se dessécher un figuier : voilà l’arsenal des miracles de Jésus sur la nature rapportés par les évangiles. De tous ses miracles, ceux-ci, très étonnants, sont les plus susceptibles de susciter le scepticisme quant à leur historicité.
Sans affirmer qu’il ne s’est rien passé d’un peu phénoménal à Cana, sur le lac ou dans le vallon de la multiplication des pains, peut-être que ces récits nous sont rapportés par les évangélistes, non pas comme des faits divers, mais comme des catéchèses cherchant à nous dire « qui est Jésus ? » C’est d’ailleurs lorsqu’on les aborde comme tel que la question de l’historicité devient secondaire.
Rappelons d’abord ce principe à connaître lorsque nous étudions les évangiles : ils ne sont pas des biographies de Jésus, mais des relectures de sa vie et de son message à la lumière de la résurrection. Dans leur façon de nous raconter Jésus, les évangélistes ont donc pu peindre le portrait du Jésus historique portant déjà les traits du « ressuscité ».
Les miracles du lac de Galilée
Prenons par exemple cet étrange récit de la marche de Jésus sur les eaux en Mc 6, 45-51. Pour en saisir le sens caché, il faut être bien attentif à tous les éléments de la narration : séquence des évènements racontés, lieux, temps et autres éléments symboliques. L’épisode se passe sitôt après celui de la multiplication des pains. Jésus oblige ses disciples à se séparer de lui, les envoyant en barque vers la rive païenne de la mer de Galilée; lui se réfugie seul dans la montagne pour prier. Au cours de la traversée nocturne, la barque est secouée par des vents contraires. Jésus rejoint la barque de ses disciples en marchant sur les eaux, ce qui les trouble car ils croient voir un fantôme. Jésus leur adresse une parole rassurante se faisant reconnaître d’eux. Puis il monte dans la barque et tout se calme.
Éléments symboliques à connaître pour mieux comprendre le texte. La barque est, depuis les débuts de la prédication chrétienne, le symbole de l’Église. Remarquez qu’en l’absence de Jésus, cette barque est agitée, et lorsque Jésus y monte, tout se calme. La montagne, quant à elle, est le lieu biblique de la rencontre de Dieu. L’autre rive sur laquelle Jésus invite les disciples à se rendre, puisque située en territoire païen, symbolisent toutes les nations. Finalement, la mer est symbole de mort dans la Bible, car elle effraie ce peuple de Dieu originellement issu du désert. Les flots agités possiblement mortels symbolisent parfaitement les forces du mal et de la mort. En marchant sur les eaux, comme on marchait sur les dépouilles lors d’une victoire guerrière, Jésus ne se montre-t-il pas vainqueur du mal et de la mort?
Mettons maintenant la séquence de ce récit en parallèle avec les évènements de la passion, mort, résurrection de Jésus et de la naissance de l’Église envoyée à toutes les nations, comme le suggère le tableau suivant, et tout devient clair.
Marche sur les eaux |
Évènement de la mort-résurrection de Jésus |
Multiplication des pains
Mc 5, 30-44 |
Dernière Cène et institution de l’Eucharistie
Mc 14, 22-25 |
Séparation des disciples de Jésus, situation pénible dans la barque |
Mort de Jésus, désarroi des disciples |
Jésus marchant sur les eaux
« et il allait les dépasser » |
Résurrection de Jésus, manifestations du Ressuscité
« il vous précède en Galilée » Mc 16, 7 |
Peur des disciples croyant voir un fantôme |
Effroi et doutes des disciples (Lc 24, 37) devant le Ressuscité |
Paroles de Jésus se faisant reconnaître
« Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur » |
Paroles du Ressuscité aux disciples se faisant reconnaître |
Jésus est dans la barque tout devient calme. Accostage en terre païenne |
Assurance de l’Église naissante de la présence du Ressuscité. Église envoyée à toutes les nations |
Par ce récit, Marc anticipe symboliquement une autre traversée difficile que les disciples devront vivre bientôt et dont la fin sera heureuse. Il faut voir dans ce tableau dépeint par Marc une annonce de la résurrection de Jésus, une anticipation de sa victoire sur la mort.
Encore sur le lac, le miracle de la tempête apaisée (Mt 8, 23-27; Mc 4, 35-41) lors d’une traversée nocturne difficile, joue avec des harmoniques semblables, faisant appel aux mêmes éléments symboliques expliqués plus haut. Il est aussi annonce de la victoire de Jésus sur le mal et la mort. Les mentions du sommeil de Jésus et son réveil (symboles de mort et de résurrection) rendent encore plus évidente la fonction symbolique et catéchétique de ce récit.
Source: Le Feuillet biblique, no 2426. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins
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Les miracles de Jésus : 3- Le vocabulaire des miracles (3/6)
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