Ascension et déchéance du Roi-Berger d'Israël (1/4)

Analyse narrative de récits davidiques des livres de Samuel (1 S 16-18 et 2 S 11-12, 25)

1- Introduction

La lecture des livres de Samuel, bien que captivante, peut sembler au lecteur contemporain, à première vue, un peu déconcertante, surtout quand ce dernier sait qu'il tient entre ses mains une Écriture tenue comme canonique, sainte et inspirée, autant par les traditions juive que chrétienne. « Histoire Sainte », tissée de batailles, d'intrigues de cour, de tromperies, de vengeance, de sang versé, d'adultères… Que reste-t-il de « saint » dans cette histoire? Il en va de même du personnage de David que la tradition juive tient pourtant pour le roi par excellence et que la tradition chrétienne identifie comme une préfigure du Christ. Les récits des livres de Samuel, qui nous dépeignent un David sans fard, laissent songeur sur le « modèle » de roi qu'il fut. Ces livres semblent donc peu édifiants pour le croyant qui y cherche une nourriture spirituelle. Est-ce pour cela que les livres historiques figurent parmi les moins commentés par les Pères de l'Église? En effet, vue la présence si discrète de Dieu dans ces récits où les personnages évoluent souvent au gré de leurs caprices, intérêts, inclinations coupables sans trop de considération pour la volonté de Dieu, peut-on y trouver un quelconque intérêt pour la communauté croyante? Le théologien n'y trouvera pas non plus beaucoup à se mettre sous la dent: la théologie de ces livres semble à première vue primaire, teintée de traits superstitieux, surpassant à peine la notion du "dieu national" des peuples du Moyen Orient antique, ou de la doctrine de la rétribution. En bout de compte, sommes-nous devant des livres décevants?

Là pourtant où les livres de Samuel ne déçoivent pas, c'est dans leur art de raconter. Ces histoires, sûrement portées par une longue tradition orale, sont bien racontées. Captivantes, les auteurs les ayant mises par écrit, ont su nous les transmettre avec un talent qui n'a rien à envier aux autres grandes littératures du monde antique. Respectueux de la nature narrative de ces textes, peut-être est-ce justement avec les outils fournis par la narratologie (ou analyse narrative) que ces écrits dévoilent tout ce qu'ils ont à donner, émettent saveurs et effusions de sens insoupçonnées, permettant de dépasser la déception première.

Nous avons donc choisi d'appliquer cette méthode d'analyse à certains récits des livres de Samuel qui nous présentent David à deux moments-clés du destin du roi: soit les épisodes rapportant les débuts de son ascension (son entrée en scène en 1 S 16-18) et ceux qui relateront le début de son déclin (épisode du péché de David et de ses conséquence en 2 S 11-12,25). En comparant ces deux moments, nous aurons en tête de chercher les causes du déclin de David tel que le narrateur cherche à nous les induire: Que s'est-il passé en David, qu'est-ce qui a changé en lui entre ces deux moments pour que, après une si brillante ascension (1 S 16 - 2 S 8), il périclite de la sorte (2 S 11 et suivants)? Tel est le projet que nous nous donnons. Évidemment, pour tirer profit de cette chronique Découverte, nous vous recommandons d’aller relire ces épisodes des livres de Samuel.

Circonstances de l’entrée en scène de David

David est le second roi de l’histoire biblique que Dieu place à la tête de son peuple par l’onction royale conférée par l’homme de Dieu, Samuel, le premier oïnt ayant été Saül. À la suite d’un péché de Saül qui désobéit à Dieu après une victoire guerrière contre Amaleq, le Seigneur lui arrache la royauté pour la donner à un autre meilleur que lui (1 S 15,28). Dès lors, la royauté de Saül est en sursis et déjà le Seigneur s’affaire à désigner son successeur au prophète Samuel, l’enjoignant de se rendre, muni de sa corne d’huile, chez Jessé le Bethléémite, père de nombreux fils parmi lesquels se trouve le futur roi. À l’étonnement de tous, ce sera le plus jeune des fils de Jessé, David, le petit berger, qui sera choisi de préférence à ses frères aînés ! Pourtant ses frères¹avaient le profil désigné et pressenti pour prendre la place du roi guerrier et redoutable qu’était Saül. L’aîné Éliav est d’ailleurs une réplique du roi Saül². Premier constat à retenir : le guerrier est rejeté par le Seigneur, le berger choisi, car les hommes voient l’apparence, mais le Seigneur voit le cœur (1 S 16,7).

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¹ Les trois frères aînés de David, Éliav, Avinadav et Shamma, sont des soldats qui se retrouveront bientôt sur les champs de bataille (1 S 17,13).

² Les deux sont beaux et grands ; comparez les descirptions physiques qui sont faites de Saül (1 S 9,2) et d’Éliav (1 S 16,7).

Patrice Bergeron, ptre

Source: Le Feuillet biblique, no 2484. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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