Rencontre de Ruth et de Booz. Marc Chagall, 1960. Lithographie, 52,5 x 38 cm (Pinterest).

Étranger

Sylvain CampeauSylvain Campeau | 11 janvier 2021

Hébreu : ger ou nokri
Grec : allotrios ou xenos

L’hébreu biblique dispose de plusieurs mots pour désigner l’étranger. Les plus communs sont le nokri ou l’étranger de passage, et le ger qui désigne l’émigré, le réfugié ou l’isolé qui implore la protection d’une communauté d’accueil.

Le nokri est un « inconnu », c’est-à-dire un étranger au pays, une personne qui n’a aucun lien avec la famille, le clan ou même la tribu. Même s’il peut compter sur les coutumes orientales de l’hospitalité (Jb 31,32), son statut juridique est précaire : il n’est pas protégé par la Loi (Dt 15,3 ; 23,32). Selon la sagesse israélite, aider une personne inconnue et étrangère est un risque qui peut conduire à la ruine. C’est ce que semble vouloir dire ce proverbe :

Saisis son manteau car il s’est porté garant d’un étranger ;
retiens-lui un gage car il a cautionné une étrangère.
Proverbes 20,16

Le ger est une personne qui cherche à s’établir dans la communauté ou qui est en voie de devenir ce que nous appelons aujourd’hui un « résident permanent ». Contrairement au nokri, la Loi lui reconnaît certains droits.

Quand un émigré viendra s’installer chez-toi dans votre pays, vous ne l’exploiterez pas ; cet émigré installé chez vous, vous le traiterez comme un indigène, comme l’un de vous ; tu l’aimeras comme toi-même ; car vous-mêmes avez été des émigrés dans le pays d’Égypte.
Lévitique 19,33-34

Les gérim sont soumis à certaines prescriptions de la Loi : ils doivent respecter le sabbat (Ex 20,10 ; Dt 5,14) et se soumettre au jeûne de la fête de l’Expiation (Lv 16,29). Ceux qui acceptent la circoncision peuvent célébrer la Pâque (Ex 12,48-49). Comme l’exprime la Loi de Sainteté, les étrangers sont considérés comme étant égaux aux Israélites à plusieurs égards :

Vous aurez une seule législation : la même pour l’émigré et pour l’indigène ; car c’est moi le Seigneur, qui suit votre Dieu.
Lévitique 24,22

Par contre, le ger ne peut posséder aucun bien foncier. Cette interdiction s’explique par le fait que la propriété foncière en Israël est un patrimoine familial qui se transmet de génération en génération [1]. Par conséquent, l’étranger est souvent considéré comme un pauvre et il est facilement associé à la veuve et à l’orphelin.

Si tu fais la moisson dans ton champ, et que tu oublies des épis dans le champ, tu ne reviendras pas les prendre. Ce sera pour l’émigré, l’orphelin et la veuve, afin que le Seigneur ton Dieu te bénisse dans toutes tes actions. Si tu gaules tes oliviers, tu n’y reviendras pas pour faire la cueillette ; ce qui restera sera pour l’émigré, l’orphelin et la veuve. Si tu vendanges ta vigne, tu n’y reviendras pas grappiller ; ce qui restera sera pour l’émigré, l’orphelin et la veuve.
Deutéronome 24, 19-21 ; voir aussi Lévitique 19,10

Même si la torah rappelle que les Israélites ont été des étrangers en Égypte (Ex 22,20) et que Dieu lui-même prend soin des émigrés (Dt 10,18), l’ouverture à leur égard change au retour de l’exil. On retrouve à cette époque deux attitudes qui s’opposent à l’égard des étrangers. Le mariage avec les étrangers, par exemple, est accepté par une partie de la population comme en témoigne le livre de Ruth : une étrangère moabite est intégrée au peuple d’Israël en épousant un paysan israélite. Les livres d’Esdras et Néhémie, qui racontent le retour des exilés, dénoncent au contraire ce type d’unions et vont jusqu’à prôner le renvoi des conjointes étrangères (Esd 10). Deux points de vue s’opposent alors, le premier se caractérisant par l’ouverture à l’autre et le deuxième par le repli identitaire.

L’étranger dans le Nouveau Testament

« J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli. » (Mt 25,35)

Cette parole illustre bien l’attitude de Jésus face aux étrangers. S’il se dit d’abord envoyé auprès des « brebis perdues de la maison d’Israël », il se laissera convaincre par la foi d’une Syro-phénicienne et chassera le démon qui tourmente sa fille (voir Mt 15,21-28). Il accepte également de guérir le serviteur d’un centurion romain (Mt 8,5-13). Et son attitude envers les Samaritains est un autre exemple de son ouverture face à ceux et celles que l’on considérait comme des étrangers (Lc 10,25-37 ; Jn 4,1-42).

L’Église primitive a rapidement accepté l’idée que le salut offert en Jésus Christ n’est pas réservé à Israël mais à toutes les nations. « Il n’y a plus ni Grec ni Juif, ni circoncis, ni incirconcis » affirme Paul aux Colossiens (3,11). Cette conviction est la source de l’impulsion missionnaire de l’Église et répond à cette invitation du Ressuscité : « Allez! De toutes les nations faites des disciples… » (Mt 28,19)

Diplômé de l’Université de Montréal, Sylvain Campeau est bibliste et responsable de la rédaction.

[1] Pour plus de détails, voir Roland de Vaux, Les institutions de l’Ancien Testament, tome 1, Paris, Cerf, 1982, p. 251-256.

Les mots pour le dire

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Quand nous lisons la Bible, plusieurs mots importants sont chargés de sens et il est nécessaire de s'y arrêter pour en comprendre toute la richesse. C'est ce que nous proposons dans cette rubrique.