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Bible et culture
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chronique du 20 septembre 2002
 

Un cadavre embarrassant

 

Le corpsUn tombeau très ancien est mis à jour, par hasard, dans le vieux quartier de Jérusalem. Dépêchée sur les lieux, une archéologue israélienne y découvre des ossements dissimulés derrière un mur d'argile. Plusieurs indices démontrent que le cadavre est celui d'un crucifié de l'époque de Ponce Pilate. Et si le cadavre était celui du Christ? Quelles seraient les conséquences d'une telle découverte pour le christianisme? Telle est la question principale soulevée par ce film de Jonas McCord, inspiré du roman The Body (1983) de Richard Ben Sapir.

Le tombeau dans lequel entre l'archéologue Sharon Golban (Olivia Williams) est celui d'une famille riche. C'est ce qui explique qu'on a tenté de dissimuler le cadavre embarrassant du crucifié. Après un examen sommaire, l'archéologue observe plusieurs indices qui rappellent les récits évangéliques de la mort de Jésus de Nazareth. La contre-expertise d'un archéologue dominicain, le père Lavelle (Derek Jacobi), oriente l'enquête dans le même sens: serait-on en présence du cadavre du Christ?

     Informé de cette découverte, le Vatican envoie un émissaire à Jérusalem, le père Matt Gutiérrez (Antonio Banderas), dans le but de démentir l'hypothèse qui menace les fondements de l'Église. Le père Gutiérrez se voit forcé de faire équipe avec la jeune archéologue israélienne pour enquêter sur l'identité du cadavre. Au coeur d'un pays agité par des tensions et des débats sociaux, l'homme de foi et la scientifique athée devront faire face à de nombreuses et dangereuses pressions pour découvrir la vérité.

D'un point de vue cinématographique

     Premier long métrage de Jonas McCord, Le corps se veut une oeuvre à la croisée des genres d'aventure, d'enquête et de réflexion. Il faut le situer parmi les nombreux films à thématique religieuse qu'a suscité le passage à l'an 2000. Parmi les membres de l'équipe technique, signalons Vilmos Zsigmond, directeur de la photographie, gagnant d'un oscar dans Rencontres du troisième type, et de Allan Starski, gagnant lui aussi d'un oscar, pour ses décors, dans La liste de Schindler.

Antonio Banderas

Antonio Banderas dans le rôle du père Matt Gutiérrez

     Réalisé de manière très conventionnelle, ce film présente des personnages malheureusement très unidimensionnels dans leur typologie (prêtre-croyant versus scientifique-athée). Néanmoins, l'interprétation des personnages est juste et convaincante, notamment en ce qui concerne Olivia Williams et Antonio Banderas. Derek Jacobi (l'inoubliable Claude de la télésérie Moi Claude, Empereur), s'en tire plutôt bien en savant dominicain, même si les scènes qu'il partage avec Antonio Banderas misent surtout sur la « traditionnelle » opposition entre Dominicains et Jésuites, rendue d'ailleurs de façon très caricaturale.

     Si la trame narrative s'avère intéressante, quoique classique, le film ressasse néanmoins de nombreux clichés et stéréotypes hollywoodiens. Les oppositions foi/science et foi/institutions abondent sans cesse tout le long du film et le contexte israélo-palestinien, grossièrement dépeint, parfois jusqu'à la caricature, ne peut que nous laisser perplexes. Les prises de vue aériennes sont tout de même superbes et révèlent Jérusalem dans toute sa beauté. Il en va de même pour les scènes extérieures qui dévoilent bien le caractère historique de la ville.

La crucifixion et l'archéologie

     Bien que la crucifixion soit un mode d'exécution qui nous est connu depuis longtemps par les textes anciens, ce n'est que depuis une quarantaine d'années que ces témoignages sont appuyés par celui de l'archéologie. En 1968, on a découvert, dans un quartier du nord-est de Jérusalem, une série de tombes anciennes. L'une d'elles contenait le cadavre d'un crucifié dont les talons étaient rivés par un gros clou de fer. Signalons toutefois que les tibias de ce cadavre étaient fracturés, pour accélérer la mort à la fin du supplice. C'est, à notre connaissance, la seule découverte archéologique qui vient confirmer la crucifixion pourtant largement pratiquée par les Romains.

Les thèses théologiques du film

     Plusieurs citations bibliques sont évoquées dans le film. Mais elles servent de données factuelles et historiques sans qu'on tienne compte de leur contexte littéraire. Les passages sont présentés de façon très littérale. Dans la controverse entre le Père Lavelle et le Père Gutiérrez, pour donner un exemple, le premier cite Mt 27,57. Par la suite, il établit un parallèle strict entre la découverte du tombeau et le récit évangélique… À aucun moment il n'est mentionné que ces passages évangéliques sont en fait construits pour accentuer le caractère du Juste souffrant qui doit reposer dans un tombeau.

     D'autre part, le film reprend le supposé antagonisme entre foi et science, représenté par la relation entre le personnage du Jésuite et celui de la jeune archéologue. Ce conflit est en grande partie occasionné par l'approche des textes bibliques et touche à une certaine compréhension de ce qui est véridique. Nul part, il n'est fait mention de genres littéraires ou de traditions spécifiques dans le rapport au texte.

La présence ou l'absence du corps

     Dans le film, la crise suscitée par la présence du cadavre d'un crucifié soulève une question fondamentale: si nous retrouvions le cadavre de Jésus, cela signifierait-il qu'il n'y aurait pas eu de résurrection et donc que la foi chrétienne s'avérerait vaine?

     Pour répondre à cette question, il convient de se rappeler que les récits d'apparition et du tombeau vide s'adressaient avant tout à des chrétiens de culture grecque, pour qui le corps était perçu comme une prison. Selon l'anthropologie grecque, l'être humain est composé d'un corps et d'une âme, l'âme étant perçue comme son élément essentiel et fondamental. Certains courants chrétiens, dans les premiers siècles de l'Église, avaient tendance à nier la résurrection corporelle pour privilégier la survie de l'âme.

     Selon l'anthropologie hébraïque, la personne humaine forme un tout: elle est un corps animé par un souffle d'origine divine. Pour affirmer avec force la résurrection du corps, les évangélistes ont accentué le caractère physique ou la matérialité de la résurrection. Par exemple le Ressuscité mange (voir Lc 24,41-42). Dans le récit de Jean, on peut toucher ses plaies (Jn 20,24-28). Tous ces détails décrivent une résurrection très matérielle et laissent supposer la réanimation d'un cadavre.

     C'est sur ce type de lecture que s'appuie le film Le Corps. Cette approche ne tient pas compte de l'intention des évangélistes: démontrer la foi chrétienne en la résurrection plutôt que de décrire, à la manière d'un journaliste, les apparitions du Christ et le tombeau vide.

     Or, il est intéressant de constater que, dans les lettres pauliniennes, écrites 20 à 30 ans après l'événement pascal, il n'est fait nul part mention du tombeau vide. Si cette donnée avait été aussi importante, Paul l'aurait sûrement employée dans son argumentation, en particulier quand il s'adressait aux Corinthiens, très réfractaires à la résurrection corporelle. Un passage-clé est le 1 Co 15,39-44 . Dans ce passage, Paul estime que la chair et le corps ne sont pas pareils entre les êtres. À l'époque, on croyait qu'il y avait un corps spécifique pour chaque être et chaque condition. Pour Paul, il en va de même pour les corps de résurrection. Ce corps est différent du corps terrestre. Autrement dit, Paul affirme que l'identité, le « Je » survit dans l'au-delà sous une forme que nous ignorons. Puisque pour Paul, il ne peut pas y avoir un être humain sans corps, le « Je » ressuscité est un « Je » nécessairement corporel.

     Paul a la conviction que Dieu a recréé Jésus après la mort, dans la condition de ressuscité qui n'est pas la réanimation d'un cadavre. Quelle forme prend ce corps, nul ne le sait. Cependant, et c'est ici que les récits d'apparitions mettent l'accent , c'est le même Jésus qui existe par-delà la mort. Mais sous quelle forme existe-t-il, Paul ne s'aventure pas sur ce sujet.

     Si on retrouvait le cadavre de Jésus, cela ne devrait pas altérer la foi en la résurrection, puisque pour les croyants de religion chrétienne, la résurrection de Jésus n'est pas la réanimation de son cadavre, mais plutôt le « réveil » de son « Je » sous une autre forme. Le « Je » de Jésus, toujours vivant, en relation avec le monde et Dieu, existe maintenant sous un autre mode d'existence auquel les êtres humains et le monde sont appelés à vivre. C'est la conclusion que tire Paul de sa foi en la résurrection.

Conclusion

     En tenant compte de tout ce que nous venons de discuter, la réponse à la question du film, « Est-ce que le christianisme serait ébranlé si nous retrouvions le corps de Jésus? », s'avère négative. Selon l'espérance chrétienne, le corps de ressuscité, tout en maintenant la continuité de l'identité, existe dans des conditions que nous ne pourrions aucunement décrire. C'est sous ces conditions que nous croyons que Jésus de Nazareth, ressuscité d'entre les morts, existe maintenant, comme le proclame la foi chrétienne.

     Malgré ses défauts, le film Le corps se révèle être une oeuvre intéressante, abordant un sujet on ne peut plus délicat. Certes, le thème aurait pu être mieux traité et plus approfondi, mais le film n'en demeure pas moins divertissant, tout en suscitant un certain questionnement. Il a le grand mérite d'illustrer un cheminement de foi et de montrer la place que peut occuper le doute au sein d'un tel itinéraire.

Patrice Perreault
Bibliste, Granby

 

Renseignements complémentaires

Le corps (en France : Le tombeau)
de Jonas McCord ;108 min.
v.f. de The Body (TriStar, 2000)
disponible dans les formats VHS et DVD.

 

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