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Bible et culture
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chronique du 26 septembre 2003
 

L'Ombre du Galiléen

Un roman qui nous fait découvrir le monde de Jésus
 


 

Lorsque nous abordons le thème des oeuvres historiques, il s'avère difficile d'éviter le piège d'une certaine forme de projection de nos repères culturels dans le passé. Le film Gladiator (Ridley Scott, 2000) représente un excellent exemple de cette forme de projection. Certes, nous nous projetons toujours quelque peu dans le passé puisque nous le relisons en fonction des questions que nous posons mais parfois, le roman historique ne représente qu'un cadre pour raconter un magnifique récit. En cela, les romans historiques valent bien la peine d'être lus.

     Avec le roman L'Ombre du Galiléen, Theissen évite ce piège littéraire. L'auteur tente d'y présenter, sous forme narrative, les résultats de ses recherches sur le contexte social de Jésus. Encore un roman sur Jésus pourrait-on dire. Mais Theissen se distingue par le génie de ce livre: il parle de Jésus mais les personnages ne le rencontrent pas; en cela, la quête des personnages ressemble à la nôtre.

L'auteur

     Mais avant d'examiner plus en détails ce roman, disons quelques mots sur l'auteur. Gerd Theissen est professeur de Nouveau Testament à l'Université de Heidelberg. Ses travaux portent en grande partie sur le contexte social de Jésus par le biais des méthodes de lectures socio-historiques. Son oeuvre classique, Le christianisme de Jésus (Paris, Desclée (Relais, no 6), 1978), constitue l'une des premières tentatives de relecture du milieu social de Jésus au moyen des méthodes sociologiques. Ce type de relecture permet de mieux cerner le contexte socio-politique de la Palestine du premier siècle. Et le roman reprend en grande partie les conclusions de cette étude. Theissen souhaite faire connaître les résultats de cette recherche au grand public :

En écrivant, j'en suis arrivé à la conviction que, à certains égards, les dialogues du livre rendent mieux compte des discussions scientifiques que des traités érudits. Dans les thèses, après de multiples pour et contre, on en arrive à certains résultats que l'on présente comme plausibles, et qui deviennent encore plus plausibles qu'ils ne le sont réellement, cela du simple fait de passer de l'idée à l'impression noir sur blanc. Par contre un dialogue sous forme de conte laisse toutes les hypothèses ouvertes. (L'Ombre du Galiléen, p. 82)

L'intrigue

     Le roman débute par l'arrestation d'un commerçant juif, André, qui s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Victime d'un chantage de Ponce Pilate, André se met au service des Romains comme informateur sur les coutumes et les mouvements religieux juifs méconnus des dominateurs.

     C'est ainsi qu'il découvre peu à peu les divers mouvements religieux du premier siècle. Comme un détective à la recherche de renseignements, il croise un Essénien qui lui explique les coutumes de la communauté du désert. Par la suite, il apprend la mort du Baptiste. Mais l'essentiel de son travail consiste à colliger des renseignements sur un mystérieux Nazaréen, disciple de Jean surnommé le Baptiste.

     André se lance donc sur les traces de Jésus de Nazareth, un peu comme nos contemporains qui sont à la recherche de ce personnage historique et qui demeure insaisissable tout autant que pour André. En cela le personnage d'André est la figure métaphorique de tout chrétien qui recherche Jésus de Nazareth mais qui ne recueille que des témoignages, valables certes, de la part de gens qui l'ont côtoyé de près ou de loin.

     Mais en recherchant Jésus de Nazareth, André poursuit un itinéraire qui le conduit non pas à rencontrer le Nazaréen mais le message, les paraboles et l'interpellation de Jésus. Ce parcours l'amène à questionner son rapport à Dieu : ses images, ses conceptions et ses certitudes. En cela également, André représente toute démarche spirituelle cherchant à comprendre les origines du mouvement-Jésus et de la foi chrétienne.

Appréciation

     Le défi que s'est lancé G. Theissen dans L'Ombre du Galiléen se résume comme ceci :

Quel est donc le but de ce livre? demandez-vous. Finalement une seule chose : sous forme de récit, je voudrais proposer une image de Jésus correspondant à l'état présent de la recherche sur lui et compréhensible aux lecteurs de notre temps. Mon écrit doit être agencé de telle sorte que l'on puisse saisir, non seulement les résultats de la recherche moderne, mais aussi la façon dont les historiens avancent. (L'Ombre du Galiléen, p. 9)

     Parvient-il à le relever? Il s'agit là d'une excellente tentative d'initier des non-spécialistes. Certes, il ne faut guère s'étonner que le souci de Theissen d'illustrer le contexte social de l'époque de Jésus préoccupe davantage le professeur que l'auteur. C'est pourquoi certains dialogues apparaissent quelque peu artificiels par la somme de détails accumulés. Néanmoins, ils peuvent refléter certains des soucis et des traits d'un jeune Juif du premier siècle.

     De plus, ses conclusions à la fin de chaque chapitre adressé à un mystérieux collègue, un certain M. Kratzinger, permettent, par cet artifice littéraire, de résumer et de faire ressortir l'essentiel de chacun des chapitres tout en introduisant ses lectrices et lecteurs aux méthodes exégétiques. Finalement, les nombreuses notes en bas de page lui permettent de préciser une information ou de développer d'autres éléments qui auraient alourdis la lecture du roman.

     Le plus grand mérite de ce livre est de présenter l'univers de Jésus Nazareth et de nous y plonger de manière vivante. Theissen est parvenu, de façon dynamique, à situer certains des enjeux primordiaux du message de Jésus au sein de son contexte. Par exemple : André faisant son rapport à Pilate, tente de minimiser le geste de Jésus au Temple. La réponse de Pilate illustre bien comment l'Empire romain pouvait interpréter les paroles et gestes tant de Jésus que des premières communautés chrétiennes :

André : « Un des premiers principes de Jésus, c'est de ne pas s'opposer au méchants : si quelqu'un frappe sur la joue droite, on doit tendre la joue gauche. Qui dit cela ne peut être dangereux! »

Pilate resta impassible : « Ce comportement ne met pas l'État en danger à la manière habituelle. Mais il peut lui susciter de très grands embarras! Oui, il peut paralyser autant que des cohortes entières d'insurgés zélotes. » (L'Ombre du Galiléen, p. 216)

     Cet extrait fait référence aux orientations de vie de Jésus et de son mouvement qui questionnent le fondement même de l'Empire : la hiérarchisation entre les gens, l'esclavage et l'oppression politique. C'est pour cette raison qu'un tel discours pouvait comporter des éléments encore plus révolutionnaires voire subversifs que celui des zélotes.

Conclusion

     L'originalité et l'attrait du livre résident dans la tentative réussie de joindre l'information scientifique et le genre romanesque. Cette approche possède l'immense avantage de bien décrire des mouvements sociaux du premier siècle. C'est pourquoi, ce roman s'avère si intéressant. En effet peu d'oeuvres dévoilent avec autant de précisions l'univers du premier siècle. Cette force en éclipse les quelques faiblesses.

     Si des lectrices et lecteurs désirent s'initier au monde de Jésus, c'est sans doute l'un des meilleurs romans pour plonger au coeur de la Palestine du premier siècle. Il est d'autant plus pertinent qu'André, tout comme nous, ne rencontre jamais Jésus mais entre dans le processus de recherche qui le conduit à découvrir et à relire le message et la vie de Jésus de Nazareth. C'est l'invitation que Theissen fait à tout lectrice et lecteur avec L'Ombre du Galiléen.

Patrice Perreault
Bibliste, Granby

 

Gerd Theissen
L'Ombre du Galiléen. Récit historique
Paris, Cerf, 1988, 270 p.
ISBN 2-204-02850-9
Prix des librairies religieuses 1989
 

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La cinquième montagne