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Bible et culture
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chronique du 10 avril 2015

 

« Noé avait son arche… Je me suis fait la mienne. »

Machete tue

Luther Voz (Mel Gibson) et son arche dans Machete tue (Robert Rodriguez, 2013)

Comme un rêve ou un cauchemar récurrent, l’arche émergeant de la dévastation du monde semble réapparaître de films d’action en blockbusters, au point que les films adaptant directement l’histoire de Noé ne semblent plus que des reprises parmi d’autres d’un thème qui les dépasse.

     Dans le délirant Machete tue, le grand méchant, Luther Voz, dans un délire religio-sectaire, prévoit d’éradiquer la planète entière après s’être abrité, lui et une poignée d’élus, dans une arche moderne lancée dans l’espace. La référence biblique se trouve dans la bouche même du personnage : « Noé avait son arche… Je me suis fait la mienne. » (« Noah had his ark… I got mine. »)

L'arche dans 2012

Une des arches devant sauver les derniers représentants de l’humanité dans 2012 (Roland Emmerich, 2009)

L'arche dans Noé

L’arche dans Noé (Darren Aronofsky, 2014)

L'arche dans Évan le Tout-puissant

L’arche de Steve Carell dans Évan le Tout-puissant (Tom Shadyac, 2007)

L’absence de Dieu

     Il est frappant de constater que dans ces déluges cinématographiques, Dieu est généralement absent ou silencieux. C’est l’Humain qui, de sa propre initiative et par ses seules forces, doit sauver sa vie. 2012 exprime cette idée dans des images proches de la caricature : le Christ de la baie de Rio est pulvérisé par les séismes tandis qu’à Rome, au plafond de la chapelle Sixtine, une lézarde sépare définitivement la main de Dieu de la main d’Adam. Quant au Noé de Darren Aronofsky, la présence de Dieu y est si peu exprimée qu’on pourrait voir le patriarche comme un psychopathe ayant donné le nom de divinité à sa lubie.

Un déluge parmi d’autres

     Deuxième remarque : l’arche de Noé de la Genèse dans son contexte antique n’était-elle pas elle-même une arche parmi d’autres et le déluge biblique, un déluge parmi d’autres déluges? Il a souvent été signalé à quel point le déluge biblique était proche de celui qui apparaissait dans  l’épopée mésopotamienne de Gilgamesh. Il lui correspond jusque dans les moindres détails, que ce soit l’appel d’un juste pour sauver une partie de la Création, la construction d’une arche, l’envoi d’oiseaux en quête d’une terre émergée ou le sacrifice offert après la fin du cataclysme [1]. L’arche et le déluge ont aussi leurs clones dans la mythologie gréco-romaine : Apollodore, dans sa Bibliothèque historique [2], relate comment Zeus provoqua un déluge pour faire disparaître la race des Hommes de bronze et comment Deucalion, sur les conseils de son père Prométhée, construisit une arche, qui s’échoua sur le mont Parnasse quand les eaux commencèrent à refluer. Comme Noé au Dieu d’Israël, comme le héros du déluge mésopotamien à son Panthéon, Deucalion lui aussi, lorsqu’il sort de l’arche, offre un sacrifice à Zeus.

L’arche de Deucalion

L’arche de Deucalion (gravure de Virgil Solis pour Les Métamorphoses d’Ovide, XVIe siècle)

     Qu’en conclure? Que le récit biblique n’a pas grande originalité. Est-ce un problème ou un scandale? Faudrait-il par exemple à toute force lutter pour établir que l’histoire de Noé est la plus ancienne de toutes ces versions et que tous les autres récits n’en sont que des copies? Je ne pense pas.

     Peut-être l’histoire de Noé n’est-elle pas originale parce qu’elle correspond à des images qui, pour une raison ou une autre, hantent l’esprit humain. Dans ce cas, la Bible ferait émerger cet inconscient de l’humanité. Et je trouve que c’est plutôt une bonne nouvelle. Dans la Bible, nous serions en terrain profondément familier. Nos cauchemars récurrents et inexplicables, nos espoirs sans mots, y auraient leur demeure.

     Et si c’était le récit biblique qui était lui-même un plagiat? Une copie, par exemple, du mythe mésopotamien, le ou les auteurs effaçant les noms akkadiens pour les remplacer par ceux de leur Dieu et de leur héros Noé? L’épisode serait-il une œuvre de faussaire? Peut-être.

     À tout le moins, cela empêcherait de voir la Bible comme un livre enchâssant la vérité toute entière, ce qui fut, est et sera. Elle nous rappellerait, humblement, que l’Esprit, s’il existe, souffle où il veut, et que ses chemins sont insaisissables.

[1] Lire pour s’en convaincre la traduction de Jean Bottéro dans L’Épopée de Gilgameš : le grand homme qui ne voulait pas mourir, Gallimard, 1992.

[2] Apollodore, Bibliothèque historique, I, 7.

Les images utilisées dans cet article sont la propriété, respectivement, de 20th Century Fox et Wild Bunch ; de Columbia Pictures ; des éditions Le Lombard ; de Paramount Pictures et de Universal Pictures et Paramount Pictures France.

Antoine Paris

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