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Bible et culture
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chronique du 9 octobre 2015

 

Le Christ ressuscitant d’Arcabas

DogmaChrist ressuscitant

« Christ ressuscitant », Arcabas, 2001
Matière : bois
Dimensions : 2,40 m x 2,40 m
Emplacement : église du Saint-Esprit et du martyre de saint Alexandre, Porto Viejo, Équateur

 

Si l’histoire regorge d’artistes qui ont mis en images la vie de Jésus avec les moyens à leur disposition, nombreux sont ceux qui continuent de le faire aujourd’hui et qui suscitent l’engouement de personnes qui n’oseraient pas s’aventurer dans la lecture des textes bibliques. Parmi les peintres d’art sacré contemporain, un en particulier me fascine : Arcabas. Né en 1926, ce peintre français de renommée internationale allie couleurs, médiums et symboles pour réaliser ses œuvres, au grand bonheur d’amateurs qui, comme moi, sont à l’affût de ses nouveaux projets.

     La beauté, où qu’elle soit, m’aide à prier. J’ai été marquée par le « Christ ressuscitant » d’Arcabas au premier regard, et j’ai voulu creuser davantage les textes sur lesquels s’appuyait la représentation pour les comparer. Quels liens peut-on établir entre l’Évangile de Jean, et plus particulièrement le passage du coup de lance, et la peinture?

L’œuvre

     Le « Christ ressuscitant » d’Arcabas, grande croix peinte sur bois, suspendue derrière l’autel de l’église de Porto Viejo en Équateur, représente, comme son nom l’indique, le Christ en croix en position de ressuscité. Son visage a des traits très doux, voire féminins. Une sérénité émane de l’œuvre, malgré la souffrance perceptible dans les plaies sur les poignets et les pieds, de même que sur le côté.

Détail du visage

     Si l’on compare le visage de Jésus du « Christ ressuscitant » avec les autres œuvres d’Arcabas, on remarque que ses traits sont relativement différents de ceux des autres représentations du Christ par l’artiste. Puisque l’œuvre a été commandée spécifiquement pour cette église en Équateur, il est possible de croire que le peintre se soit inspiré de l’art précolombien et de la physionomie des natifs pour la réaliser. La couleur des cheveux, la forme tubulaire du tronc, de même que la finesse du nez, contraire aux stéréotypes juifs, appuient cette hypothèse.

     La prédominance du violet autour du corps de Jésus pourrait laisser croire qu’Arcabas ait volontairement fait référence à la couleur liturgique par excellence du carême. Toutefois, compte tenu des habitudes picturales de l’artiste, il est davantage plausible de croire que le violet soit utilisé pour représenter le sang. Le corps du Ressuscité paraît d’autant plus lumineux qu’il s’en détache, grâce au contraste provoqué entre le blanc et le violet. Si l’on observe attentivement les taches autour de la tête du Christ, on discerne aisément une couronne d’épines. Contrairement à l’image classique qui tend à représenter la couronne comme ronde et posée sur le dessus de la tête, celle-ci ressemble davantage à un casque oriental, qui couvre une plus grande superficie de la tête.

     Quoique simple et sans fioriture, la croix choisie par Arcabas rappelle celle de San Damiano, de style byzantin, devant laquelle priait saint François d’Assise. Un commentaire de cette dernière s’applique directement à l’œuvre étudiée : « La posture du crucifié n’évoque ni la souffrance ni [la] résignation, mais on peut, en la contemplant, y lire un mélange de victoire (corps), de paix et de douceur (visage). Elle semble directement inspirée de l’évangile de Jean. » [1] En revanche, Jésus est représenté sans auréole ni barbe, et les autres personnages sont absents de la représentation.

Détail de la main

     On note la présence de blessures sur les poignets, ce qui suppose une représentation historiquement plus juste de la crucifixion, contrairement à beaucoup d’autres artistes qui situent les blessures dans les mains. Les clous sont cependant absents de la représentation. Les pieds, quant à eux, sont aussi troués, mais ils sont peints à plat. Jésus se tient debout, droit, et son regard fixe l’horizon. L’architecte dira de l’église qu’elle a été construite expressément pour abriter ce crucifix, qui est suspendu derrière l’autel et qui accueille d’un regard bienveillant les fidèles, dès qu’ils posent les pieds sur le parvis [2].

Comparaison de l’œuvre et de l’évangile

Détail du côté

     Le passage de l’Évangile de Jean raconte qu’« il sortit aussitôt du sang et de l’eau » (Jn 19,34) du côté transpercé de Jésus. On voit bel et bien une plaie ouverte sur le côté, d’où coulent du sang et, si l’on se fie à Jean, de l’eau. Contrairement aux crucifix baroques qui sont davantage doloristes, Arcabas demeure sobre dans l’expression du corps et des mouvements. Bien que l’artiste soit avare de commentaires quant à la symbolique dans ses œuvres, la blessure sur le côté ressemble beaucoup trop à un œil qui pleure pour que cela soit une coïncidence. Peut-on supposer que le Christ ressuscité porte en lui la souffrance de l’humanité qui pleure encore? L’artiste rejoint-il Pascal en peignant Jésus en agonie dans ses semblables jusqu’à la fin du monde? [3] Flot d’eau et de sang associé à la prophétie d’Ezéchiel ou référence à Moïse qui frappe le rocher [4]? Les hypothèses sont nombreuses et les exégètes n’arrivent pas à un consensus. Mais doit-on vraiment y parvenir? Du côté du Christ sort une eau vive, source inépuisable à laquelle l’humanité aspire à se désaltérer.

     Le vêtement blanc, couleur symbolique de la pureté et de la résurrection, rappelle aussi le tablier de serviteur porté par Jésus lors du lavement des pieds (Jn 13,1-17). Bien que fidèle au texte de l’Évangile en plusieurs aspects, Arcabas a toutefois choisi, comme le veut la tradition picturale, de ne pas représenter Jésus complètement nu. La tête de ce dernier n’est pas non plus inclinée, comme Jean le précise, puisque le Christ est peint à la fois crucifié et déjà ressuscité. Arcabas ne peint personne aux abords de la croix et omet l’écriteau rédigé par Pilate, dont fait mention l’Évangile.

Entrer en contact avec le Christ

     Le « Christ ressuscitant » sert de complément au texte. L’Évangile de la crucifixion est la source d’inspiration de l’artiste qui, grâce à sa sensibilité et sa créativité, l’a transposé en images. Certes, par un traitement subjectif du texte par l’artiste, l’œuvre d’Arcabas nous permet à son tour d’aller plus loin dans le mystère de la crucifixion et de la résurrection de Jésus. L’art sacré peut s’avérer être, dans le contexte de plus en plus sécularisé dans lequel nous évoluons, l’accès de plusieurs à la Parole de Dieu. Ainsi, ne sait-on jamais, la lecture de l’histoire biblique à travers l’œuvre d’un peintre tel qu’Arcabas pourrait être le point tournant de conversion pour quelqu’un, ou du moins le début d’une relation plus personnelle avec le Christ. L’homme, dit-on, est porté tout au long de sa vie par la quête de la beauté et de la vérité. Dostoïevski disait de l’art qu’il sauverait le monde. Et si l’art, avant de sauver le monde, nous mettait tout d’abord en contact avec le Christ, son Sauveur?

[1] Priester, Catherine. « L’icône du Christ de Saint Damien », Port Saint Nicolas. (Page consultée le 20 juin 2015)

[2] Lettre de Cesare Aresi à Arcabas, traduction libre. Le Pietre Vive, op.cit. Immagini di una chiesa nuova tra Italia ed Ecuador. (Page consultée le 11 juin 2015)

[3] Citation fameuse de Pascal, relevée sur Pensée de Pascal.fr, à défaut d’avoir à disposition un exemplaire de ses Pensées.

[4] Manns, Frédéric. « L’eau chez saint Jean », InterBible, 28 mai 2010. (Page consultée le 22 juin 2015)

Jessica Roy

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Quand la femme de Loth fait dérailler le train de l’histoire