Icône de la Nativité de la Vierge (détails), crypte de la basilique Saint-Anne, Jérusalem e (Wikimedia).

La Nativité de Marie

Luc CastonguayLuc Castonguay | 7 septembre 2020

« Aujourd’hui, les portes stériles s’ouvrent et laissent passer la porte divine de la virginité. » (Vêpres)

Un peu d’histoire

La naissance de la Vierge est célébrée le 8 septembre par les Églises d’Orient et d’Occident et cette date commémore la dédicace de l’église Sainte-Anne à Jérusalem. On a commencé à célébrer cette fête dès le Ve siècle. C’est la première des douze grandes fêtes orthodoxes ; elle ouvre l’année liturgique byzantine, car c’est par cette évènement que l’histoire du salut chrétien prend sa source. C’est aussi la première grande fête du cycle des saints de l’année liturgique catholique qui comporte deux autres cycles de fêtes, celui des dimanches et celui des fêtes dédiées à Jésus Christ.

Aucun des évangiles canoniques ne parle de cet événement ou ne cite le nom des parents de Marie. C’est un texte apocryphe du IIe siècle, le Protévangile de Jacques, connu aussi sous le nom de Nativité de Marie, Révélation de Jacques, qui raconte cette conception miraculeuse. Ce texte et par la suite quelques autres dont l’Évangile du Pseudo-Matthieu (VIe siècle) relatent plusieurs épisodes de la tradition des fêtes en l’honneur de Marie dont sa conception, sa naissance, sa présentation au Temple, sa dormition, mais aussi d’autres récits de la vie de Jésus comme l’adoration des mages, des récits d’enfance ou encore sa descente aux enfers. En fait ces textes sur la Vierge Marie célèbrent son absolue pureté, maintenue ainsi dès sa conception dans un « état angélique, où hommes et anges prêtent leur concours ». La tradition iconographique proclame sa virginité avant, pendant et après la conception de Jésus.

Nous pouvons certainement dire que ces textes apocryphes ont été à l’origine de plusieurs fêtes liturgiques mariales chrétiennes en plus d’être une source d’inspiration de plusieurs icônes importantes de la théologie orthodoxe.

Nativité de Marie

Un peu de technique

Cette icône moderne très lumineuse se trouve à l’intérieur de la basilique Sainte-Anne qui, selon une tradition chrétienne orientale, aurait été érigée sur l’emplacement même de la maison d’Anne et de Joachim à Jérusalem. La scène se déroule dans un espace ouvert comme si les personnages se trouvaient à l’extérieur. Mais comme nous l’avons déjà fait remarquer dans les articles précédents, la tenture rouge sur les toits signifie que la scène se passe à l’intérieur des bâtiments et en présence de l’Esprit Saint. Le décor et l’ameublement de la maison soulignent la richesse de Joachim comme le dit le Protévangile (1,1).

Dans cette représentation, hagard et pensif, Joachim est en retrait de l’action dans un rôle très passif. Anne, pensive, étendue sur une couche blanche, est entourée de plusieurs servantes. Nous remarquons aussi le berceau prêt à accueillir Marie et « le bain par les sages-femmes indique une soumission aux usages locaux [1] ». L’eau a ici une représentation purificatrice et vivifiante. Marie est représentée ayant la taille d’une enfant mais les traits de visage d’une adulte. Elle porte déjà son auréole. « Cette enfant est le personnage principal de la fête et c’est elle qui justifie l’utilisation de l’éventail royal, tenu par une servante [2] » : Marie est déjà Reine du monde. De plus, par la perspective inversée, même si toute petite elle n’apparaît qu’au bas à gauche sur l’icône, elle joue le rôle du premier personnage de la scène, les autres n’apparaissant tous que derrière elle.

Un peu de théologie

« Sainte Anne plus que toutes les mères est bénie jusqu’à ce que la Vierge soit mère à son tour. En septembre, le huit, elle donne le jour à celle dont naîtra la Lumière infinie. » (Matines)

L’Église orthodoxe réfute le dogme de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie proclamée par le pape Pie IX en 1854. Pour eux, Marie doit avoir conservé toute son humanité pour la transmettre à Jésus vrai homme et vrai Dieu. « Si elle la nomme immaculée c’est dans un sens relatif et non spécifique, comme toute naissance […] due à la grâce de Dieu et de la prière, non pas à la souveraineté de la chair [3]. » Mais pour les catholiques Marie fut conçue sans le péché originel.

« Parmi les fruits des femmes stériles illustres qui, par la volonté divine, ont enfanté, Marie est le plus merveilleux. Née miraculeusement d’une mère inféconde… [4] ». (Vêpres) La naissance de Marie s’inscrit dans la lignée des enfantements miraculeux, une grâce reçue de Dieu par des femmes stériles et vieilles comme Sara avant elle et Elisabeth après elle. La Bible dit : « Nul chez toi, homme ou femme ne sera stérile. » (Dt 7,14) Le texte du Protévangile nous apprend qu’Anne et Joachim vivaient très mal leur stérilité (1,2 ; 2,2). L’incapacité d’enfanter et d’assurer la lignée était vécue comme une grande épreuve.  Dans une perspective d’actualisation de la fête, la bibliste Monique Dorsaz nous fait remarquer que ces naissances tardives attendues « soulignent l’improbabilité, le miracle de la vie. Cette attente prolongée nous fait deviner qu’il va s’agir d’un enfant à la destinée exceptionnelle [5]. »

Luc Castonguay est iconographe et étudiant à la maîtrise en théologie à l’Université Laval (Québec).

[1] Michel Quenot, Les clefs de l’icône, son langage symbolique, [s.l.], Éditions Saint-Augustin, 2009, p.182.
[2] Higoumène Cyrille Bradette, De l’image à la ressemblance, Les icônes des douze fêtes majeures, Wentworth, Monastère orthodoxe de la Protection de la Mère de Dieu, 2012, p. 38.
[3] Centre orthodoxe d’études et d’iconographie, « Questions sur l’Orthodoxie », Le journal de l’icône face à notre temps 46-47 (1991) p. 55.

[4] Higoumène C. Bradette, De l’image à … », p. 38.
[5] Monique Dorsaz, « Bible et stérilité : d’autres façons de donner et de promouvoir la vie » [https://www.cath.ch/newsf/bible-et-sterilite-les-autres-facons-de-donner-et-promouvoir-la-vie-1-6/]

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