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chronique du 26 mars 2004
 

En route pour la vie
ou l'expérience du veau d'or

Lire Exode 32, 1-19

Voilà à peine quelques semaines qu'ils étaient en route. Quelques semaines commencées dans l'exaltation. Enfin libres ! Enfin sortis d'Égypte, de ce pays qui avait été leur refuge, où leur père Joseph avait été un personnage influent.

     Mais depuis, l'oubli s'était installé. Et avec l'oubli, la peur.

     Oubli, pour les Égyptiens, qui se sentaient menacés par ces étrangers. Ces étrangers qui avaient leurs propres coutumes, leurs croyances, leurs célébrations et qui prétendaient continuer à fêter comme du temps où ils étaient nomades. Ces étrangers qui autrefois avaient aidé Pharaon à gérer la famine mais qui aujourd'hui, quel que soit leur nombre, étaient trop nombreux et mangeaient le pain des enfants du pays. Oubli et peur.

     Enfin libres, libres depuis trois mois. Remplis de gratitude envers Moïse, Aaron et Dieu, ce Dieu qui était celui de leurs pères mais qui n'avait pas vraiment pu devenir le leur en terre d'Égypte. A se laisser guider par ces vrais meneurs, par un dieu visible. Colonne de fumée le jour, colonne de feu la nuit. Jours de joie à chanter avec Myriame. Renaissance.

     Trois mois plus tard, que reste-t-il de tous ces espoirs, de ces cris de victoire, de ce dieu? Désert. Le sable emplit les narines et les bouches, la chaleur du jour n'a de pire que le froid de la nuit ; l'absence d'eau, de nourriture, tout est enfer. Que les morsures des fouets égyptiens aujourd'hui paraissent doux. Et les quelques miracles de Moïse, et les rares sources qu'il sait faire jaillir avec l'aide de son dieu, ne suffisent pas à apaiser la peur.

     Oubli, pour les hébreux.. Oubli et peur.

     Aujourd'hui c'est pire que tout. Moïse a dû les oublier, lui aussi. Il est parti. Dieu est parti. On ne voit plus ni l'un ni l'autre. Il ne reste qu'Aaron. Et le coin est terrifiant. Un campement minuscule au pied d'une immense montagne, si haute que sa cime se perd dans les nuages. Et Moïse qui est monté là-haut et ces bruits terrifiants, ce vent qui s'engouffre dans les creux, qui fait résonner les sommets de mille voix. Voilà des jours qu'ils attendent leur retour. Ils ont fait confiance à Moïse, ils ont cru en lui, en son dieu ; ils en ont fait leur chef, ils ont entendu sa voix, celle de son dieu et ils se sont levé pour monter hors d'Égypte.

     Mais Moïse est monté plus haut, sur le Sinaï, avec son dieu. Qu'a-t-il à gagner à redescendre? Dieu et lui sont en tête à tête, ils ne sont plus là, au milieu du campement, ils ne connaissent plus ni la faim ni la soif, tout remplis qu'ils sont l'un de l'autre. A moins qu'ils ne soient plus. En tous cas, ils les ont abandonnés. Plus de chef, plus de dieu, plus rien à quoi se raccrocher. En quoi ce serait-il mieux que la souffrance endurée en Égypte?

     Pauvre petite troupe livrée à elle-même, qui ne peut compter sur personne. Où puiser des forces, de l'espoir? Il ne reste qu'Aaron, le second. Alors c 'est à lui de prendre tout ce petit monde en charge, c'est à lui de faire en sorte que ça aille. Il faut bien un guide, quand on n'est encore qu'un enfant de la liberté. « Lève-toi et fais. »

     Et Aaron répond présent. Il comprend leur désarroi et partage leur quotidien d'attente et de peur. Il accepte la responsabilité qui est lui est confiée. C'est un homme habile, bon négociateur, avec un grand savoir-faire, sur qui Moïse, le petit frère, a pu s'appuyer, celui qui par sa présence rassurante, lui a permis de mener à bien sa mission auprès de Pharaon. Aujourd'hui Dieu est invisible, Moïse a disparu, l'Égypte est loin et les enfants d'Abraham sont terrifiés. Il faut leur rendre l'espoir. Il faut leur rendre Dieu. Et il sait comment faire, Aaron. Il suffit que les femmes, les fils et les filles, artisanes et forgerons du monde de demain, lui remettent leurs boucles d'oreilles. Boucles de la liberté retrouvée, arborées depuis la remontée d'Égypte. Don de l'or, qui reflète la lumière divine sur leurs visages, dépouillement volontaire. Sans défense, sans bijoux, abandonnés à Aaron, ils sont encore plus vulnérables. Légèreté dansante des anneaux qui tombent lourdement dans les chaudrons.

     Or de la liberté, anneaux mêlés, mélangés, brassés, fondus, confondus.

     Et tout à coup, miracle, un veau naît de cet or, un veau, le petit de la vache, le petit du taureau. Un dieu à leur image, un dieu en devenir, pas trop grand, pas trop puissant. Promesse de fécondité, promesse de renouvellement, promesse de force. Leur dieu, l'invisible, celui de toutes les promesses, celui de la fin de l'esclavage, celui-là même et pas un autre, là au milieu d'eux. Dieu, le dieu des pères, le dieu de Moïse, images de Dieu, visions de Dieu, Elohim, dieu aux visages multiples, fondues, confondues. Dieu à taille humaine, saisissable, visible. De quoi faire la fête.

     Mais Dieu, qui ne veut pas être enfermé dans une image, même d'or, Dieu sent que ça ne va pas. La moutarde lui monte au nez. La colère le consume. Il se fâche d'être ainsi délimité, cerné, confondu. Heureusement Moïse est là, en face à face avec Dieu. Même en colère Dieu l'entend. Dialogue entre Dieu et l'humain qui dure de génération en génération. C'est que Dieu n'a pas l' habitude d'avoir la charge d'un peuple. En menant les Hébreux, un peu malgré eux, hors l'Égypte, Il a adopté tout un peuple, Il en est devenu responsable. Et c'est la première fois. Il aimerait bien renvoyer la patate chaude à Moïse : c'est ton peuple, celui que tu as fait monter d'Égypte. C' est un comble ! Mais Moïse, comme Abraham avant lui, n'hésite pas à parler avec Dieu, avec ce dieu qui se consume d'amour pour cette poignée de gens. Et Dieu entend Moïse, et Il comprend.

     Mais à mesure qu'il redescend, l'euphorie des sommets le quittant, Moïse sent à son tour la colère le gagner. La fureur court dans ses veines comme un feu. Il veut un peuple à la hauteur.

     Alors il n'entend plus, plus rien d'autre que les cris de fête de la trahison. Il n'entend plus les Paroles de Dieu, et il brise les Tables des Paroles écrites des deux côtés de la main même de Dieu pour Son peuple. Et les lettres et les mots sont emportées par les vents du désert. Loi voulue et écrite par Dieu seul et à jamais perdue.

     C'est à présent le temps du feu, et ce feu réduit le veau d'or en cendres. Impossible alchimie. Il ne reste presque rien des espoirs mis dans les boucles, dans l'or, dans le veau, embryon d'avenir conçu un jour de grande solitude. Tentative avortée. Il ne reste presque rien de toute cette aventure. Et il suffirait que Moïse ouvre ses mains pleines de cendres pour qu'elles soient emportées elles aussi par les vents. Fin.

     Mais Moïse mélange les cendres à l'eau, l'eau qui sauve du désert et de la mort. Et l'eau reçoit les cendres et se laisse fertiliser par elles, dernières témoins de tous les espoirs en gestation. Et il donne à boire cette eau fécondée, promesse de renouvellement.

     La boucle est bouclée. Mais à présent, le potentiel de vie, de fécondité, de créativité, est ingéré, intériorisé. Le dieu visible, extérieur, est bu, intériorisé. Il devient source de vie au cour de l'humain. Il travaille désormais de l'intérieur, énergie fécondante de l'âme.

     Pour certains cependant, cette ingestion est mortelle, l'or trop lourd. Les cendres restent cendres, la mort est au bout. Pour d'autres, elle signifie un autre dépouillement, un autre type de lien, une rencontre collective à la tente du rendez-vous, une autre boucle. Une nouvelle Alliance, à écrire ensemble.

Véronique Isenmann

Chronique précédente :
Entre contes, psychanalyse et Bible

 

 

 

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