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chronique du 24 décembre 2004
 
Un Dieu en quête d'asile

Une relecture des récits de la nativité
chez Matthieu et Luc

 

À travers le temps et l'espace, les lieux de rendez-vous entre les humains et Dieu sont les témoins visibles de l'envie de Dieu d'habiter parmi les hommes. Le Dieu de la Bible est un dieu de proximité à qui il faut une demeure. Il a donné aux humains des lieux de rendez-vous, des lieux visibles de sa présence, une arche, une tente de rendez-vous, des sanctuaires, un temple. Et un jour lui vient une idée : habiter au coeur de l'humanité.

     Mais le coeur, ce n'est pas qu'une idée. C'est un muscle qui bat, c'est du sang qui coule. Habiter au coeur de l'humanité, c'est trouver sa place dans le temps, l'histoire, le lieu....

     Les récits de l'enfance chez Matthieu et chez Luc travaillent cette quête d'habitation et font que ce Dieu qui s'incarne ne tombe pas du ciel.

     Habiter, habitat... le terme oikos en grec qui signifie habitat donnera en français le mot écologie. C'est dire combien la question de l'habitat décrit aussi les relations complexes de l'humain avec son environnement physique, économique, et social. Ainsi les évangélistes vont-ils s'attacher à donner chair à tous les aspects de cette quête d'habitat.

     Matthieu commence dans les versets 1 à 17 par une généalogie, une liste de personnes qui fondent l'histoire de la famille de Joseph. Comme Jésus va naître par le travail de l'esprit et que Joseph dans la tradition n'est pas le géniteur de cet enfant, à quoi peut bien servir cette généalogie?

     Habitation construite dans le temps et l'espace, la généalogie chez Matthieu rappelle qu'habiter l'histoire, c'est déjà s'inscrire en humanité. L'absence d'histoire de filiation peut engendrer de graves traumatismes. Ainsi Dieu Emmanuel a besoin de trouve sa place dans l'histoire de sa famille, la maison de David. Cette famille qui d'emblée est donnée par un père et une mère (Mt 1,16).
 

Le songe de saint Joseph
Georges de La Tour
circa 1640
Huile sur toile, 93 x 81 cm
Musée des Beaux-Arts, Nantes

     Matthieu continue par le songe de Joseph. En psychanalyse jungienne, rêver, c'est habiter l'inconscient, individuel et collectif. Les rêves sont lieux de révélation, de dévoilement et de construction de la personne. Supprimer les phases de rêves pendant le sommeil peut entraîner la folie.

     Le Dieu Emmanuel qui vient habiter l'humanité a besoin d'être entièrement adopté par son père terrestre, de recevoir son nom de son père (Mt 1,21), d'être inscrit dans son histoire. Il ne peut pas se passer de l'accueil de Joseph, son père sur terre. Jusqu'alors Dieu était comme un père pour son peuple (Dt 8,5, Job 31,18). Pour venir en humanité et devenir fils, il a besoin qu'un père l'accueille. Hommage à Joseph, seule figure connue de père adoptif dans l'Ecriture.

     Le Dieu Emmanuel ne peut se passer de l'abri que va lui offrir pendant neuf mois le corps de sa mère. Les évangélistes (Mt 1,23, Lc 1,31) rappellent que c'est son ventre qui va l'accueillir, le protéger, le nourrir, lui permettre de grandir (c'est le mot grec gaster, ventre, qui est rendu par sein dans certaines traductions) et de prendre figure humaine.

     Luc, lui, ne parle pas de Joseph. Mais il éclaire un autre habitat important en la personne de Zacharie (Lc 1). Zacharie est prêtre. Il habite une fonction sociale et religieuse. Une fonction dans laquelle il y a des habitudes, un rythme à respecter, des règles à tenir, des responsabilités à porter. Le mot habitude est de la même racine que le mot habiter. Cette proximité de racine souligne combien « avoir souvent » peut permettre de rester, de s'ancrer. C'est le sens profond du rite. Pour Zacharie, dont c'est le tour de servir au temple, l'habitude de remplir ses fonctions sacerdotales est profondément demeure auprès de Dieu. Et il habite au temple pendant ses jours de service. Loin de toute routine, pour Zacharie, l'habitude permet d'habiter près de Dieu, de sentir sa présence et d'entendre que Dieu est en route vers lui. Dieu Emmanuel a besoin d'hommes habillés d'habitude pour habiter en humanité.

     Pour Matthieu (Mt 1,25) et pour Luc (Lc 1,5), Dieu Emmanuel naît au temps d'Hérode, à Bethlehem en Judée (Mt 1,2, Lc 2,4), autres habitats spacio-temporels posés par les évangélistes.

     Un temps, celui de Hérode, prénom qui signifie roi. Lui, roi de l'univers et genèse de toute vie, vient habiter les royaumes qui cherchent à faire mourir les humains.

     Un lieu, la maison du pain, à côté d'une hôtellerie, lieu d'hospitalité. Lui, le pain de vie, vient habiter les lieux où la salle d'hospitalité est trop pleine pour accueillir les humains et les nourrir.

     Pour Luc, Dieu Emmanuel vient au monde, couché dans une mangeoire, livré à l'arbitraire du bon vouloir, petit et impuissant (Lc 2,7).

     Pour Matthieu, à peine né, Dieu Emmanuel est entraîné sur les routes de l'exil, sur les routes de la recherche d'asile, livré à l'arbitraire du pouvoir (Mt 2,13 ss).

     À travers les récits de la Nativité les évangélistes nous parlent de la quête de ce Dieu qui vient habiter au coeur et au corps de l'humanité.

     En devenant Emmanuel, Dieu parmi nous, Dieu ne veut pas être renvoyé, même aux cieux, il ne veut pas être confiné, même dans des foyers protégés. Il cherche concrètement le ventre de la femme qui pourra l'abriter, il cherche le rêve de l'homme qu'il pourra féconder. Il cherche les habitudes à partager et les habitudes à bouleverser, il cherche les maisons dans lesquelles entrer. Dieu Emmanuel sans abri cherche où demeurer.

     En devenant Emmanuel, Dieu apprend qu'il est des femmes et des hommes sur qui il peut compter. Des gens étonnants : une jeune fille qui ne connaît rien à la vie, une femme âgée qui n'en a plus rien à attendre, un vieux prêtre qui fait son devoir, un homme d'âge mûr qui connaît ses droits mais n'en abuse pas. Des femmes et des hommes habitant leur vie, vivant avec leurs habitudes. Dieu Emmanuel apprend qu'il est des hommes et des femmes prêts à l'accompagner.

     En devenant Emmanuel, Dieu, dépendant, impuissant, emmailloté et fragile, apprend qu'il peut être rejeté, menacé de mort, persécuté. Il apprend à se jeter sur les routes, à fuir, pour survivre; il apprend à quitter sa demeure, il apprend à être étranger, il apprend à quérir un asile, en étranger. En devenant Emmanuel, Dieu apprend la peur, la peur qui le rejoindra à Gethsémané.

     Un Dieu qui habite au coeur des hommes, quelle drôle d'idée. Un Dieu dont le premier abri est le ventre de Marie, quelle absurdité! Un Dieu qui erre sur les routes, un Dieu sans abri, sans papiers, sans asile, un Dieu fragile, quelle stupidité! Un Dieu qui apprend la peur, quelle impossibilité!

     Un Dieu qui vient habiter au coeur et au corps de l'humain, quelle responsabilité...

Véronique Isenmann
Téologienne, Fribourg (Suisse)

 

Chronique précédente :
Caïn et Abel, un conflit fraticide

 

 

 

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