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chronique du 31 mars 2006
 

Le parfum de la démesure (Jean 12, 1-8)
 

Rien, au premier regard, de bien extraordinaire au commencement de l’histoire qui nous est racontée aujourd’hui : Jésus est invité à un repas. Quand on marche avec Jésus, tôt ou tard, on finit à table. Son histoire toute entière est tendue entre deux événements qui tournent autour de la nourriture. Elle s’ouvre par la privation de nourriture au désert chez Matthieu, Marc et Luc et le récit des noces de Cana chez Jean et s’en va vers sa fin avec le repas d’adieu.

Lire Jean 12, 1-8

     Jésus mange quand il y a à manger. Peu quand il y a peu, beaucoup quand il y a beaucoup. Et il ne mange pas quand il n’y a rien ou que ce n’est pas le moment. Rien d’étonnant donc à ce que nous soyons invités à une histoire de repas. Un repas ordinaire.
 

Onction à Béthanie
 

     Et pourtant l’extraordinaire a déjà fait irruption. Voyons donc, dans quelle maison sommes-nous? Qui donc nous invite à la suite de Jésus à sa table? Surprise! Nous avons quatre histoires, qui se ressemblent fort sur le fond, mais dont les détails diffèrent bien! Voilà que les quatre évangélistes s’y mettent pour nous raconter presque la même chose. Et ça, en soi, c’est déjà incroyable. Que Matthieu, Marc, Luc racontent les mêmes histoires, eux qu’on appellent synoptiques, eux qui ont souvent un regard parallèle sur la vie de Jésus, ça ne nous étonne pas trop. Mais que Jean s’y mette aussi, voilà qui fait d’un fait divers un scoop, une première, un événement hors normes.

     Et quel est donc cet événement? Surprise! Rien de spécial à priori. Une femme arrive à la tablée et verse du parfum sur Jésus. Dans un coin du monde où les parfums font partie du quotidien, où il est d’usage de déposer un petit cône de parfum sur le front des convives, qui, en fondant pendant le repas, va encore ajouter au plaisir, rien d’étonnant donc. A mettre en dernière page des actualités un jour où celles-ci sont maigres.

     Mais, et les quatre narrateurs sont formels, ce geste à priori banal suscite l’énervement, la réprobation et marque à ce point les esprits qu’on ne l’oubliera pas. Il faut dire qu’à ce moment de la vie de Jésus, ça sent mauvais autour de lui et qu’un peu de parfum ne peut que changer l’air et l’atmosphère. Car, comme vous en avez peut-être fait l’expérience, le parfum ça fait vibrer l’être entier, ça mobilise tous les sens ; ça aiguise ou ça apaise, ça détend ou ça vitalise… Alors, pensez-donc, les mauvaises odeurs!

     Oui, autour de Jésus, et même si dans chaque évangile c’est dit un peu autrement, ça sent mauvais : l’odeur de la maladie, de la lèpre, l’odeur de la trahison et des complots, l’odeur de la mort qui rôde, l’odeur des pieds. Il faut bien une bonne odeur de repas et un bon parfum pour faire oublier toutes ces puanteurs.

     Alors pourquoi cette levée de bouclier contre cette femme? Si au jour d’aujourd’hui quelqu’un s’avisait de verser du parfum sur un convive, on hurlerait à cause des allergies, des mélanges d’odeur, de l’intimité du geste… Rien de tel en ce temps. Personne ne s’insurge parce qu’elle a versé du parfum.

     Mais le problème, c’est qu’elle ne sait pas se contrôler! Elle utilise tout un flacon de parfum, du parfum pur, non mélangé, d’une valeur immense, l’équivalent d’une année entière de salaire au moins.

     Face à un geste aussi démesuré, il faut au moins une femme d’exception. On se saura pas qui était vraiment cette femme, mais c’était à coup sûr, d’après les narrateurs une femme d’exception : Marie, la sœur de Marthe et Lazare le ressuscité, ou alors au moins une grand pécheresse, ou peut-être Marie-Madeleine, celle qui a été libérée de sept démons. En tout cas une femme qu’on n’oubliera jamais.

     Et cette femme, appelons-là Marie, va encore plus loin. Le parfum sur la tête, c’est encore dans les usages, ça peut encore se comprendre. Mais sur les pieds! L’eau, ça oui, mais du parfum! Les pieds, traces du divin sur terre, empreinte du Dieu incarné, ce Celui qui vient planter sa tente au milieu des humains et cheminer avec eux.

     Quand Maire verser du parfum sur les pieds, elle affirme un Dieu incarné qui laisse sa trace sur la terre des humains. Dans son geste, elle s’incline non pas devant le Messie-Roi mais devant le Messie qui marche au milieu des femmes et des hommes. Et ce Messie-là n’est pas un Messie de gloire mais un Messie appelé aussi à partager pleinement la souffrance et les deuils des humains. Marie prend part à cette trace de Dieu sur terre en l’imprégnant d’une odeur. Elle a part au deuil avec ses larmes et ses cheveux dénoués.

     Le parfum c’est aussi ce qui reste après un départ, après un deuil, après une mort. Il inscrit la présence dans la durée, le souvenir, et permet de se rappeler de la personne, aussi sur le plan des émotions. Par son geste, Marie n’efface pas les mauvaises odeurs, elle ne les supprime pas, mais elle offre du répit dans un monde de puanteur, une caresse pour les sens, une espérance qui peut se sentir.

     Ainsi Marie Imprègne Jésus d’une odeur qu’elle a choisi, qui active tous les sens, mobilise toute la personne. Elle donne une odeur puissante à l’empreinte de Dieu parmi nous. Parfum qui vient jusqu’à nous par-delà la mort et nous permet d’avoir part à la résurrection. Les onguents et les arômes préparés pour l’embaumement n’ont jamais été utilisés et l’odeur la plus puissante qui nous parvienne de traces de Dieu sur terre n’est pas l’odeur de la décomposition de Lazare, ce n’est pas celle de la résurrection du fils de Jaïrus, ce n’est même pas l’odeur des pieds lavés par Jésus , c’est celle de ce nard versé de manière démesurée sur ces pieds.

      Mais la démesure de ce geste inquiète et provoque la colère et la peur. Alors les convives, Judas , le pharisien, crient au scandale en prenant la mesure de la démesure, en la soupesant, la convertissant en monnaies sonnantes et trébuchantes, en établissant des mesures comparatives.

     Dans leur réaction, les convives mesurent l’événement à l’aune même de ce qu’ils ont appris en cheminant avec Jésus : dignité des plus humbles, soin aux pauvres… Mais comme toujours Jésus bouscule tous les apprentissages. S’il reçoit leur incapacité à gérer cette démesure, il l’accueille pourtant en plénitude mais propose de changer de repère.

     Il invite à sortir des registres humains de mesuré - démesurée acceptable - inacceptable gaspillage - non gaspillage efficace - inefficace ce qui se fait - ce qui ne se fait pas. Et propose une autre démesure : celle de sa mort

     Il offre de sortir de la provocation, sortir de l’ostentatoire, sortir des obligations diaconales, des contraintes du quotidien, et propose de ne plus opposer les gestes. Il salue un geste de clairvoyance démesurée dans un monde mesuré.

     Aujourd’hui, la mort et la résurrection dans toute leur démesure ont eu lieu et ce qui reste c’est un flacon de parfum vide, un tombeau vide, un parfum de joie et l’affirmation que la vie est plus forte que la mort. Ce qui reste aujourd’hui, ce sont les traces parfumées et odorantes du Dieu parmi nous qui nous permettent de partager la joie illimité de la résurrection avec les pauvres. Et un appel à oser des gestes démesurés pour répandre le parfum du Royaume en route.

Véronique Isenmann

Chronique précédente :
L’Annonciation (Luc 1, 26-38)

 

 

 

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