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chronique du 13 mars 2009
 

Entre deux rives (Marc 4, 35-41)

Lire Marc 4, 35-41

Décidément, je ne la sens pas cette traversée! Quelle idée aussi de vouloir absolument aller de l'autre côté! Nous sommes bien ici, en pays connu… et nous sommes tous fatigués… Je m'inquiète aussi pour le Maître : voilà des jours que la foule ne le lâche plus! Quel succès! Il parle si bien… c'est normal que de plus en plus de gens viennent l'écouter… Raison de plus d'ailleurs pour rester là : nous pourrions tout simplement nous éloigner du bord un petit moment, le temps que la foule rentre chez elle… Ensuite, nous rejoindrions la maison tranquillement, pour prendre un repos bien mérité… Mais non! Il veut traverser!

     Vraiment! D'où peut bien lui venir une idée aussi saugrenue? Tout le monde compte sur lui ici : les malades qui attendent la guérison, les pauvres, les gens pieux… Alors que là-bas, en face, il n'y a rien!... C'est un pays de païens : des gens qui se lavent pas comme nous, qui ne mangent pas comme nous, qui n'ont pas de loi, pas de Dieu… Des étrangers, quoi! Rien de bon ne peut venir de ce pays de sauvage! Mais qu'est-ce qui lui prend au Maître? Foi de pêcheur, aucun d'entre nous n'aurait pu avoir une idée aussi bizarre!

     Pour couronner le tout, le soir tombe et de gros nuages s'accumulent sur le relief, du côté du soleil couchant. L'air est lourd et moite. Il a fait très chaud toute la journée. Ça sent l'orage à plein nez! Aucun pêcheur ne sera assez fou pour prendre la mer ce soir. Mais voilà, quand le Maître décide quelque chose, aucun d'entre nous n'a le courage de lui tenir tête… Je ne sais pas pourquoi… il a un petit quelque chose dans le regard qui fait que nous ne discutons pas… Toujours est-il que, pourtant, là, je ne la sens vraiment pas! Je n'ai pas du tout envie de tout laisser tomber ici, pour aller dans un hypothétique là-bas!

     Nous nous mettons pourtant en route. Plusieurs barques sont nécessaires pour toute notre petite troupe. Nous entendons les hommes sur les autres bateaux, criant et se préparant… Nous larguons les amarres à la hâte, déployant grand nos voiles dans l'espoir de prendre le mauvais temps de vitesse. Nous sommes sur le qui-vive, prêts à affaler dès les premiers signes de tourmente…

     La nuit tombe rapidement, comme toujours sous nos latitudes; mais d'autant plus vite que les nuages assombrissent de plus en plus le ciel. C'est une nuit noire, sans étoiles et sans lune; une nuit lourde et angoissante.

     Cette fois, le vent forcit, démontant la mer! Déjà, nous ne voyons plus la rive. Bien que nous les sentions encore proches, nous n'entendons plus les voix des marins des autres barques : elles sont couvertes par le bruit des vagues se fracassant contre la coque du bateau et par le sifflement du vent dans les cordages. Trois hommes s'accrochent de toutes leurs forces au gouvernail, essayant de garder un semblant de cap. La barque prend l'eau de toutes parts, malgré nos efforts pour écoper… Des vagues noires et froides nous submergent… Nous nageons en plein cauchemar! Nous luttons pied à pied contre un monstre sorti tout droit des ténèbres marines!

     « Nous allons tous mourir! » Cette peur grandissante me tord les boyaux. Plus les minutes passent et plus elle devient certitude… Mais je ne veux pas mourir. Pas là ! Pas comme ça! Un jour, tranquillement dans mon lit, en ayant eu le temps de mettre mes affaires en ordre et de dire au revoir aux miens, d'accord… Mais pas dans la nuit noire, seul au milieu de la tempête, la trouille au ventre, les tripes nouées! Mais qu'est-ce que je fous dans cette galère ballottée par la tempête? Je n'ai rien demandé, moi!...

     En y repensant, si je suis là, c'est à cause d'une espèce d'olibrius qui m'a dit un jour de poser mes filets et de le suivre. Mais qu'est-ce qui m'a pris de le faire? J'aurai mieux fait de me casser une jambe ce jour-là! C'est qu'il est fort pour les discours celui-là! Ah oui! Très fort même… Ah! Si je le tenais!... Mais en fait, où est-il? Je ne l'ai pas revu depuis que nous sommes montés à bord…

     Je lève les yeux et le cherche parmi les hommes… Non! Je n'y crois pas! Je l'ai trouvé: il dort! Il s'est tranquillement installé à la poupe du bateau sur quelques cordages, la tête confortablement installée sur un oreiller… Le temps de me demander où il a bien pu déguoter un tel accessoire sur ma barque, mon sang ne fait qu'un tour! Je bondi, blanc de rage : « Eh! Maître! On est juste en train de mourir là! Ca ne te dérange pas?... » Et là… si je m'attendais à ça… mais non!... Je m'attends à ce qu'il… à… je ne sais pas moi, à quoi je m'attends… mais certainement pas à ce qu'il fait!

     Il s'asseye calmement, l'air encore un peu endormi, et il me sourit. Puis il se lève et me tourne le dos. Ensuite il parle : je vois ses lèvres bouger et il a les sourcils froncés. Comme le calme revient, je l'entends dire au vent : « Tais-toi »… Et soudain plus un bruit… le calme absolu… Le silence… Nous regardons tous le Maître, nos gestes suspendus, la bouche ouverte, le regard ébahi… Des voix étonnées venant des barques voisines commencent à nous parvenir, secouant la gangue de stupeur qui nous paralyse.

     Lentement, Jésus se tourne vers nous. Il a une lueur moqueuse, ou plutôt amusée, dans le regard. Quand il prend la parole, nos cœurs battent encore la chamade : « De quoi avez-vous donc peur?... N'avez-vous plus confiance?... » Mais que lui répondre? Nous sommes encore sous le choc de ce qui vient de se produire, le cœur battant et les mains tremblantes, comme au réveil d'un cauchemar…

Nathalie Henchoz

Chronique précédente :
C’est dans le désir que naît la tentation (Mt 4, 1-11)

 

 

 

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