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Au féminin
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chronique du 24 septembre 2010
 

L’Annonciation ou le miracle de l’accueil

Annonciation

L'Annonciation
Gertrude Crête, SASV
encres acryliques sur papier, 2000
(photo © SEBQ) 

     Le personnage de Marie occupe, dans l’imaginaire chrétien (particulièrement catholique), une place prépondérante au point qu’elle fait figure de véritable archétype féminin [1]. Le récit dit de l’Annonciation (Lc 1,26-38) l’illustre bien. Cependant ce passage biblique a souvent justifié la soumission des femmes dans l’Église et la tradition a consolidé ce portrait de Marie.

Un regard classique

     L’interprétation classique s’est polarisée sur la soumission du personnage de Marie qui, en acceptant la proposition de l’Ange, s’est pliée à la « volonté divine » afin de réaliser le « plan de salut ». Caractérisée comme la contrepartie d’Ève, Marie a obéi. Par l’effacement et le déni de soi, elle a redonné ses lettres de noblesse au genre féminin. Par sa « maternité virginale » miraculeuse, elle a assumé pleinement sa « nature féminine » qui s’accomplit totalement dans l’enfantement.

     La difficulté avec cette interprétation réside dans le fait qu’elle ne prend nullement en compte le contexte de la naissance de Jésus. En effet, n’étant pas formellement sous le même toit que Joseph, la grossesse de Marie pouvait être perçue comme une preuve d’adultère [2]. De plus, Jésus risquait d’être considéré comme un enfant illégitime [3] Les conséquences prévues par la Loi pouvaient être la lapidation (Dt 22,22-24) et la mort (Lv 20,10). Sans doute, est-ce la raison pour laquelle le personnage de Joseph dans le récit de Matthieu opte pour une répudiation en secret (Mt 1,19). Selon la culture de l’époque, il est difficile d’imaginer comment l’arrivée d’une grossesse pouvait être une bonne nouvelle pour une femme promise au mariage!

Une voie inédite de libération

     Le choix de Marie dénote-t-il vraiment une soumission à la volonté divine? La décision de Marie permet d’accueillir ce qui survient au cœur de son existence. Un telle décision suggère plutôt une détermination à emprunter, malgré les embûches, un chemin inédit de vie où les personnes exclues en fonction de normes et de conventions sont reconnues comme des personnes à part entière [4]. Marie révèle ainsi que des personnes marginalisées, comme elle, vivent également une spiritualité parfois loin des cadres établis.

     Après tout, Marie, tout comme Joseph, en acceptant la proposition d’un Dieu hors norme, a manifesté un amour proverbial en accueillant un enfant qui pouvait être taxé d’illégitime, donc sans droit et rejeté. Selon les mots de l’Ange, cet enfant, à l’origine plus ou moins douteuse pour ses contemporainEs, représente le messie tant attendu! Par cette voie, à tout le moins inusitée, c’est une véritable leçon de vie, de confiance et d’ouverture qui se dévoile. Il est à souligner que l’accueil, l’ouverture et la confiance en la vie constituent les éléments fondamentaux du récit de Luc et de toute foi.

     D’une mort possible et d’une naissance entraînant l’opprobre, le Dieu biblique a transfiguré cette situation en un événement de vie, de joie et d’amour. Par son « oui », Marie a créé une brèche au sein de croyances perçues comme un absolu. Elle propose ainsi, en solidarité, d’autres regards plus humanistes reconnaissant la dignité foncière de chaque personne. Cela représente en soi une véritable Bonne Nouvelle.

     D’une certaine façon, le miracle de l’Annonciation tient beaucoup moins à une conception virginale mécanique et biologique, qu’à l’accueil au-delà des craintes et qui s’ouvre sur une nouvelle espérance malgré les apparences. C’est à cette espérance de vie nouvelle, à cette image féminine de la « maternité virginale », parmi une myriade d’autres, que les femmes peuvent s’identifier comme le laisse si bien entendre Luce Irigaray :

C’est en tant que « vierge », qu’elle [Marie] peut mettre au monde un enfant divin. Certes, « vierge » ne signifie pas, selon moi, la présence ou l’absence d’un hymen physiologique mais l’existence d’une intériorité spirituelle propre, capable de recevoir la parole de l’autre sans l’altérer. Vierge et mère voudraient alors dire : capable d’une relation à l’autre, en particulier l’autre genre, dans le respect de l’autre et de soi-même. Vierge et mère correspondraient bien à un devenir de femme, à condition d’entendre ces mots au sens spirituel et non seulement matériel-naturel. C’est avec son âme « vierge » autant sinon plus qu’avec son corps, que Marie enfante Jésus. La figure qu’elle peut représenter pour nous est celle d’une femme qui reste fidèle à elle-même dans l’amour, dans l’enfantement. [5]

     Pour conclure, voici un magnifique texte poétique de Bernise Genesse.

La Vierge noire

Vierge Marie
Femme sacrée au cœur pur
Femme debout, vierge noire
Au bassin solide, à la terre riche
L’enfant divin germe en ton sein
Ton oui! Libre, courageux
Un saut dans l’inconnu, dans l’espérance
Un accueil et une ouverture inébranlables
Pour cet enfant de la contradiction
Femme entière armée de respect et de fidélité
Tu engendres un nouveau devenir de femme et de mère.

Poème inédit, 2010

[1] La question complexe de l’historicité des récits de l’enfance ne sera pas abordée. L’article se centre sur l’interprétation théologique du récit de l'annonciation. Pour les personnes intéressées à la dimension historique, voir J. P. Meier, A Marginal Jew, Vol. 1 : The Roots of The Problem And The Person, New York, Doubleday, 1991, 205-252.

[2] La notion d’adultère à l’époque diffère sensiblement de celle issue de la mentalité occidentale contemporaine, puisque l’idée de consentement mutuel est inexistant pour les femmes (qui, à l’époque biblique ne sont pas des personnes!). En d’autres termes, une femme pouvait subir une agression sexuelle et être condamnée pour adultère!

[3] Voir la thèse audacieuse et fort intéressante de Jane Shaberg, The Illegitimacy of Jesus. A Feminist Interpretation of the Infancy Narratives, New York, Harper and Row, 1987.

[4] Songeons simplement au fait que l’Ange s’adresse à une femme qui n’a aucune existence légale ou sociale (Dt 5,21).

[5] Luce Irigaray, « La rédemption des femmes », dans Luce Irigaray (direc), Le souffle des femmes, Paris, ACGF, 188.

Patrice Perreault

Chronique précédente :
Ève : la mère des « vivants »

 

 

 

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