INTERBIBLE
Une source d'eau vive
la lampe de ma vie bible et culture coups de coeurau fémininjustice socialeRencontres de foi
off Nouveautés
off Cithare
off Source
off Découverte
off Écritures
off Carrefour
off Caravane
off Scriptorium
off Artisans

 

 
Au féminin
  image
Imprimer

chronique du 22 juin 2012

 

La Visitation

La Visitation

La Visitation
Gertrude Crête, SASV
encres acryliques sur papier, 2000
(photo © SEBQ) 

Le récit de la Visitation (Lc 1,39-56) constitue l’une des plus belles pièces d’anthologie du Second Testament. Ce texte métaphorique construit par l’auteur du troisième Évangile illustre l’origine divine de la mission de Jean et de celle de Jésus. Avant même leur naissance, Jean et Jésus sont choisis et connaîtront un destin à l’image des prophètes Jérémie (Jr 1,4-5) ou Isaïe (Is 49,1-2).

La métaphore de deux communautés

     Ce qui est fascinant dans ce passage biblique est sa teneure hautement symbolique. En effet, les deux personnages féminins, Élisabeth et Marie, incarnent deux communautés distinctes. Dans la construction théologique lucanienne, Élizabeth représente les disciples de Jean le Baptiste et Marie la communauté chrétienne. Les deux femmes ont en commun d’avoir subit le regard désapprobateur de leur entourage : Élizabeth à cause de sa longue période de stérilité et Marie dont la grossesse semblait suspecte. Il est révélateur que des femmes marginalisées soient employées par le rédacteur lucanien pour exprimer son propos.

     La figure d’Élisabeth évoque la communauté de Jean le Baptiste toujours active au premier siècle [1], au moment de la rédaction de l’évangile. Il convient de rappeler que Jean le Baptiste a rassemblé des disciples qui adhéraient à son message. Ils ont poursuivi l’œuvre du maître bien après sa mort. Un certain tension existait entre les deux communautés (Jn 3,22ss). Selon certaines interprétations des évangiles, Jésus peut être considéré comme l’un des disciples du Baptiste. Aux yeux des disciples de Jean, Jésus apparaissait subordonné au Baptiste soit par le fait d’être baptisé par Jean (les Synoptiques) ou par le fait que Jésus baptisait lui aussi, reproduisant ainsi le geste de son maître (l’évangile de Jean). Dans les Actes, une réminiscence de la concurrence des deux mouvements est encore présente (Ac 19,1-7). Pour minimiser ce conflit, les rédacteurs évangéliques ont tenté, par divers procédés littéraires, de mettre en relief l’importance de Jésus face au Baptiste [2].

     Le récit de la Visitation comme l’ensemble des récits de l’enfance constitue un résumé de l’évangile lucanien. Autrement dit, la Visitation préfigure le baptême de Jésus au Jourdain. En plus, le verset 42 établit la hiérarchie entre les deux personnages : Jean, par l’intermédiaire d’Élisabeth, est présenté comme le précurseur et Jésus, par Marie, comme le messie.

Un récit de l’assujettissement des femmes et de leur libération

     Revenons sur l’assujettissement des femmes tel qu’illustré dans ce récit. Les femmes de l’époque néotestamentaire ne jouissent que d’un minimum de droits. Elles ne devaient leur appartenance sociale et leur reconnaissance au sein de la famille qu’à leur capacité d’enfanter. Si aucun enfant naissait, les femmes étaient toujours blâmées comme la seule cause de la stérilité. La faute leur est imputée car les hommes ne souffrent d’aucun problème de fécondité dans ce type de société [3]! Or, le récit de la Visitation laisse entendre que Dieu se préoccupe particulièrement du traitement et du sort des personnes marginalisées. À ce propos, le texte de Lc 1,25 attribue cette parole à Élisabeth : « Voici comment le Seigneur a agi à mon égard quand il m’a regardée : il a effacée ma disgrâce devant les gens. » (Nouvelle traduction de la Bible). Dans ce texte, Dieu a agi pour assurer la dignité à une femme humiliée.

     Une autre référence implicite de l’humiliation concerne Marie, puisque celle-ci a conçu un enfant hors des normes usuelles. Une telle découverte par le fiancé pouvait condamner à la lapidation au pire et au mieux à un mariage forcé pour la jeune fille si cette dernière n’est pas engagée (Dt 22,23-29). Le miracle dans la naissance de Jésus se situe davantage dans l’accueil de Joseph que dans une « conception virginale » dont la compréhension se réduirait à la dimension purement biologique plutôt que symbolique, théologique et catéchétique!

     En d’autres mots, Luc met l’accent sur l’inclusion et le salut des femmes comme le laisse entendre le début du Magnificat : « Marie a dit : Je reconnais la grandeur du Seigneur, par Dieu qui me sauve je jubile. Il a tenu compte de l’humiliation de son esclave. Maintenant : toutes les générations m’appelleront l’Heureuse, puisque pour moi le Puissant a fait des prodiges. » (Nouvelle traduction de la Bible)

     Jane Shaberg exprime fort bien le potentiel subversif de libération que représente ce passage pour une femme confrontée à l’hostilité et aux préjugés engendrés par sa condition : « La pointe du récit de Luc n’est pas que la jeune femme qui a proféré le Magnificat est petite, humble, sans importance ou insignifiante en comparaison du Dieu tout-puissant. C’est plutôt que celle qui a été humiliée et avilie, et dont l’enfant qui est associé à l’humiliation et au mépris, ont été ‘‘secourus’’ par Dieu (v. 54) » [4].

     En terminant, la Visitation relate la rencontre non seulement de deux femmes, mais fait allusion à l’expérience parfois traumatisante des circonstances où encore trop de femmes, encore aujourd’hui, deviennent enceintes. Ce récit peut alors offrir un espace de compassion, d’accueil, de solidarité et de consolation. Il s’agit également d’une interpellation faite auprès des communautés, chrétiennes ou non, afin que celles-ci se libèrent des préjugés ainsi que des stéréotypes sexistes pour construire une société où les femmes seront pleinement reconnues comme égales aux hommes. Elles sont appelées à transformer des situations dramatiques pour en faire jaillir la vie dans tous ses aspects. Sans doute est-ce là la dimension à retenir de ce récit symbolique.

[1] John P. Meier, A Marginal Jew. Rethinking The Historical Jesus, Vol. 2, New York, Doubleday, p. 117.

[2] Ibid., 198, note 75.

[3] Dans l’Antiquité, le processus de procréation était totalement inconnu. On présupposait, comme chez Aristote, que la semence masculine contenait l’ensemble de l’humanité. Les femmes étaient assimilées à un « réceptacle » où l’enfant grandissait. Dans cette conception, les femmes sont considérées comme totalement passives et inactives sur le plan de la fécondation. Les hommes sont supérieurs car le processus dépend presque totalement d’eux tant pour amorcer la gestation que pour la détermination du genre. En d’autres termes, ce construit reflète la misogynie reconnue comme normative au sein d’une société patriarcale.

[4] Jane Shaberg, The Illegitimacy of Jesus. A Feminist Theological Interpretation of the Infancy Narratives. Expanded Twentieth Anniversary Edition, Sheffield, Sheffield Phoenix Press, 2006, p. 92. La traduction est la nôtre.

Patrice Perreault

Chronique précédente :
Esther sauve son peuple

 

 

 

| Accueil | SOURCE (index) | Au féminin (index) | Vous avez des questions? |

www.interbible.org