Athalie, de la série Women of the Bible (photo © Dikla Laor).

Athalie, reine de Juda

Anne-Marie ChapleauAnne-Marie Chapleau | 6 mars 2023

Lire : 2 Rois 8,26 ; 11,1-20  (voir aussi  2 Ch 22,1-3.10-12 ; 23,1-21 ; 24,7)

Sièges, massacres, traîtrises et même cannibalisme (2 R 6,28-29) : il faut avoir le cœur bien accroché pour lire les chapitres 6 à 11 du Second livre des Rois. Il ne faut pas non plus être distrait pour réussir à suivre les sursauts d’une histoire chaotique qui nous trimballe constamment entre Aram [1], Israël et Juda. Pour peu, on se croirait presque dans la série du Trône de fer. La vie n’est décidément pas un long fleuve tranquille à l’époque des royaumes séparés !

Rappelons, pour fournir quelques repères, qu’après la mort du grand roi Salomon vers 933-930 avant Jésus-Christ, son royaume se disloque en deux. Désormais, deux royaumes frères aux relations mouvementées subsisteront l’un à côté de l’autre, celui du Nord (Israël) et celui du Sud (Juda), jusqu’à leur chute respective. Israël tombera en 722, aux mains des Assyriens, et Juda en 587, sous les coups des Babyloniens. Des descendants de David occuperont toujours le trône de Juda, à Jérusalem, tandis que quelques dynasties se succéderont en Israël, les coups d’État venant régulièrement perturber le cours des choses.

chronologie royale

Massacres au Nord et au Sud

Rendons-nous, pour commencer, dans le Royaume du Nord au temps du roi Joram. Le prophète Élisée, successeur du prophète Élie, vient d’envoyer un de ses confrères oindre comme futur roi d’Israël un certain Jéhu, chef de l’armée. Celui-ci rallie rapidement derrière lui les officiers royaux et exécute ou fait exécuter successivement le roi Joram d’Israël, le roi Ochozias de Juda, puis Jézabel, l’épouse du défunt roi Achab et, finalement, tous les descendants mâles de ce dernier. Sa fureur meurtrière s’étend même aux frères d’Ochozias de Juda.

Traversons maintenant du côté de Juda. Athalie, la femme qui nous intéresse, monte sur le trône de Juda en 841 à la suite du décès de son fils Ochozias. Faut-il célébrer le fait qu’une femme occupe enfin le trône de Juda, interrompant brièvement la très masculine lignée des descendants de David qui ont toujours siégé à Jérusalem? Peut-être pas… En effet, son premier geste est de faire « exterminer toute la descendance de Juda » (2 R 11,1), y compris celle de son fils Ochozias. Elle fait donc tuer ses propres petits-enfants, sauf un, Joas, qu’une sœur d’Ochozias réussit à mettre à l’abri dans le Temple.

Massacres pour massacres, pourquoi le texte biblique louange-t-il ceux accomplis par Jéhu, mais déplore-t-il ceux dont Athalie s’est rendue coupable? La réponse à cette question tient en un nom abondamment répété dans les récits dont il vient d’être question : Achab !

Oh Achab !

La Bible présente constamment sous un jour défavorable ce roi du Nord, contemporain du prophète Élie. Elle ne tient pas en meilleure estime son épouse Jézabel, au point où le couple incarne pratiquement, pour le texte biblique, le mal lui-même. Le chapitre 21 du premier livre des Rois raconte comment Achab et Jézabel ont déclenché la colère divine en s’emparant, par complot et meurtre, de la vigne de leur voisin Nabot (1 R 21). Le prophète Élie, promptement dépêché par le Seigneur, vient leur annoncer les malheurs à venir pour eux et leur descendance. Jéhu devient en quelque sorte un « chargé de mission » par qui Dieu exécutera ses sombres promesses. Cela nous fait un peu frémir : comment Dieu peut-il ordonner des massacres, et en plus ceux de personnes dont le seul tort est d’avoir eu les mauvais ancêtres? Il serait opportun ici d’aller lire cette explication sur la mentalité biblique de la « rétribution ».

La parabole des deux filiations

Nous suivrons quant à nous une autre piste. Pourquoi ne pas lire ces récits effrayants comme une parabole? Une parabole est une histoire jetée en travers de nos vies pour nous faire réfléchir ou nous interpeller. Comment ce texte le fait-il?

Si Achad et Jézabel incarnent le mal, que représentent leurs descendants, sinon l’expansion et le déploiement du mal? Dès lors, on ne peut tolérer la croissance d’aucune pousse à partir d’une souche si irrémédiablement pourrie.

Mais Athalie est elle-même une pousse malicieuse qui tente de s’implanter dans le Royaume du Sud. En épousant Joram de Juda, elle introduit sur son territoire la mentalité perverse d’Achab et Jézabel : Joram « imita la conduite des rois d’Israël, comme avait fait la maison d’Achab, car c’était de la maison d’Achab qu’il avait pris une épouse, et il fit ce qui déplaît au Seigneur » (2 R 8,18).

Dès lors, deux filiations sont mises en contraste, l’une incarnant la possibilité de la fidélité au Seigneur et l’autre le rejet total de celui-ci. Dans le sein d’Athalie, fille d’Achab, les deux lignées fusionnent. Ainsi le cœur de son fils Ochozias abrite-t-il, comme tout cœur humain, des motivations et désirs contradictoires. Mais, pour son plus grand malheur, le cœur d’Ochozias penche bientôt vers le Nord. Il sera très vite éliminé par Jéhu.

Athalie a perdu, avec son fils, sa meilleure chance de transmettre pour de bon au Sud le virus « achabien ». Si elle ne peut plus contaminer la lignée de David, aussi bien l’éliminer… Dans la foulée, elle anéantit aussi sa propre descendance.

Conclusion

Finalement, de quoi ces deux filiations sont-elles exactement la parabole? Non pas directement du combat du bien et du mal, mais de l’intrication en nous d’aspirations contraires. Le désir d’être fidèle à Dieu est toujours à risque de se laisser dévier par des convoitises multiples, dont celle de se faire des dieux à sa propre image. Jéhu en est la triste illustration, lui qui finira pas se détourner du Seigneur qu’il avait tout d’abord servi.

Quant à Athalie, elle est la métaphore du caractère totalitaire du mal qui anéantit tout autant ceux et celles qui s’y engagent que leurs victimes. Le jour où le jeune Joas monte sur le trône de Juda, Athalie est passée au fil de l’épée dans son propre palais royal (2 R 11,16.20).

Anne-Marie Chapleau, bibliste et formatrice au diocèse de Chicoutimi.

[1] L’ancien nom de la Syrie.
[2] Source des données du tableau : Thomas Römer, Jean-Daniel Macchi et Christophe Nihan (dir.), Introduction à l’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2009, p. 876-877.

ivoire phénicien

Au féminin

Lors du lancement de cette rubrique, trois femmes, fondatrices du groupe de recherche ECPB (Entre contes, psychanalyse et Bible) et vivant à Fribourg (Suisse), nous offraient une lecture symbolique qui jette un regard œcuménique et transdisciplinaire sur la Bible. Les textes plus récents mettent en valeur des personnages féminins de la Bible à partir d’œuvres d’art (Gertrude Crête et des artistes classiques) et de photographies de Dikla Laor.