Maaka. Women of the Bible (photo © Dikla Laor).

Maaka, qui fut Grande Dame

Anne-Marie ChapleauAnne-Marie Chapleau | 6 novembre 2023

Lire : 2 Chroniques 11,18-22 ; 15,16 (voir 1 Rois 14,21—15,15)

La vie d’une femme peut-elle être contenue dans les mots qui décrivent ses liens familiaux? Ce serait un peu mince.

Le texte biblique rattache Maaka à plusieurs personnages masculins qui ont en commun d’être des descendants du grand roi David. Comme elle-même d’ailleurs. En effet, Maaka est la fille d’Absalom [1], le fils rebelle qui en a fait voir de toutes les couleurs à son père David. Mais cela n’empêche pas Maaka de devenir l’épouse d’un autre petit-fils de David, Roboam [2], fils de Salomon.

Ayant enfanté quatre fils, Maaka devient « mère de roi » quand son aîné, Abiyya, succède à son père puis, peu après, « grand-mère de roi » quand Asa prend le relais de son père Abiyya sur le trône de Juda. C’est là que les choses se gâtent pour elle, mais là aussi que son histoire prend une tournure intéressante puisqu’elle dévie de la stricte conformité à la mission fondamentale de toute femme des temps bibliques : être épouse et mère.

« Une horreur pour Ashéra »

Asa est présenté comme un roi vertueux (2 Ch 14,1) parce qu’il s’attaque de front à toutes les pratiques idolâtres qui ont cours dans son royaume, y compris dans sa propre famille, y compris quand c’est sa grand-mère qui est en cause. Comment ne pas saluer l’attachement exclusif du jeune roi au Seigneur Dieu? Et comment ne pas blâmer sa mécréante de grand-mère qui a eu le culot de faire « une horreur pour Ashéra » (2 Ch 15,16 ; 1 R 15,13-15), c’est-à-dire d’instaurer un culte à une idole représentant cette déesse? Son petit-fils la sanctionne en lui retirant son prestigieux statut de Grande Dame (ou reine mère).

Fin de l’histoire?

Pas si vite !

C’est plus compliqué que cela. Lorsqu’Asa meurt, vers 870 avant Jésus-Christ, le monothéisme est bien loin d’être implanté en Israël et en Juda. Il ne le sera peut-être vraiment qu’au retour de l’exil à Babylone, trois siècles plus tard. Parmi toutes les divinités qui peuplent le ciel, le peuple élu est attaché d’une manière particulière au Seigneur [3], sans nécessairement exclure les autres divinités. Ainsi, on a trouvé sur des fragments de jarre datant du 8e siècle avant Jésus-Christ l’inscription « Yahvé et son Ashéra ». Ça peut être troublant, mais ça le devient un peu moins lorsqu’on comprend que les rédacteurs finaux des textes bibliques, franchement monothéistes, font tout pour teinter les récits de leurs convictions. Mais le jupon polythéiste dépasse parfois un peu, comme ici dans l’histoire de Maaka.

Un peu de féminin dans une mer de masculin

Mais revenons à notre héroïne. Faut-il se surprendre que cette femme qui vivait dans un univers si fortement masculin ait cherché à y réintroduire un peu de féminin? Car si le pouvoir – dans les familles comme dans le palais royal – était si fortement concentré chez les hommes, cela ne manquait pas d’influencer la conception courante de Dieu. Celui-ci était perçu, en général, plus masculin que féminin [4].

La seule initiative de Maaka que les textes bibliques laissent transparaître – l’introduction du culte à Ashéra – pourrait bien alors anticiper les remises en question de la masculinité de Dieu qui viendront bien des siècles plus tard. Et puis, comment ne pas sourire en découvrant que « Maaka » est un prénom non genré, attribué dans la Bible aussi bien à des garçons qu’à des filles [5]?

Anne-Marie Chapleau, bibliste et formatrice au diocèse de Chicoutimi.

[1] David ayant eu plusieurs épouses, ses enfants étaient bien pourvus en demi-frères et demi-sœurs. Alors que David fait de Salomon son successeur, ses relations avec Absalom sont tout sauf simples et harmonieuses (2 S 13—19).
[2] Selon le récit biblique (1 R 12—13), à la mort du roi Salomon vers 931 avant Jésus-Christ, la maladresse de son fils Roboam aurait conduit à un schisme et à la formation de deux royaumes frères souvent rivaux, le Royaume du Sud ou Juda, avec Jérusalem comme capitale, et le Royaume du Nord ou Israël dont la capitale sera quelques fois déplacée avant le choix définitif de Samarie. L’existence d’un grand royaume unifié sous les règnes de David et de son fils Salomon est cependant de plus en plus mise en doute par les historiens. Les textes qui en parlent présentent un idéal désiré plutôt qu’un fait historique avéré.
[3] Le texte hébraïque désigne parfois Dieu par quatre lettres que l’on omettait de prononcer, YHWH, de sorte qu’on ne connaît pas la sonorité de ce nom. Était-ce « Yahvé », comme on l’a souvent vu dans nos bibles, ou encore « Yahou « ou autre chose?
[4] Un certain nombre de textes bibliques utilisent cependant des images féminines pour parler de Dieu.
[5] Par exemple : Maaka, un des douze fils de Nahor (Gn 22,24).

ivoire phénicien

Au féminin

Lors du lancement de cette rubrique, trois femmes, fondatrices du groupe de recherche ECPB (Entre contes, psychanalyse et Bible) et vivant à Fribourg (Suisse), nous offraient une lecture symbolique qui jette un regard œcuménique et transdisciplinaire sur la Bible. Les textes plus récents mettent en valeur des personnages féminins de la Bible à partir d’œuvres d’art (Gertrude Crête et des artistes classiques) et de photographies de Dikla Laor.