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Justice sociale
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chronique du 18 octobre 2013

 

Lettres aux Églises

L'Apocalypse

Un Vivant ayant comme un visage d’homme
Sr Jeanne Vanasse
Acrylique, 51 x 61 cm, 2012
(courtoisie de l’artiste)


Jésus ressuscité dirige personnellement son Église

Je suis Jean, votre frère ; uni comme vous à Jésus, je suis votre compagnon dans la détresse, le royaume et la résistance. J'ai été exilé sur l'île de Patmos, à cause de ma fidélité à la parole de Dieu et au témoignage de Jésus. Le jour du Seigneur, l'Esprit Saint se saisit de moi et j'entendis derrière moi une voix forte, qui résonnait comme une trompette ; elle disait : « Écris dans un livre ce que tu vois, et envoie le livre aux sept Églises suivantes : à Éphèse, Smyrne, Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et Laodicée. 

Je me retournai pour voir qui me parlait. Alors je vis sept lampes d'or. Au milieu d'elles se tenait un être semblable à un homme [1] ; il portait une robe qui lui descendait jusqu'aux pieds et une ceinture d'or autour de la taille. Ses cheveux étaient blancs comme de la laine, ou comme de la neige, et ses yeux flamboyaient comme du feu ; ses pieds brillaient comme du bronze poli, purifié au four, et sa voix résonnait comme de grandes chutes d'eau. Il tenait sept étoiles dans sa main droite, et une épée acérée à deux tranchants sortait de sa bouche. Son visage resplendissait comme le soleil à midi. Quand je le vis, je tombai à ses pieds comme mort. Il posa sa main droite sur moi et dit : « N'aie pas peur ! Je suis le premier et le dernier. Je suis le vivant. J'étais mort, mais maintenant je suis vivant pour toujours. Je détiens le pouvoir sur la mort et le monde des morts. Écris donc ce que tu vois : aussi bien ce qui se passe maintenant que ce qui doit arriver ensuite. Voici quel est le sens caché des sept étoiles que tu vois dans ma main droite et des sept lampes d'or : les sept étoiles sont les messagers des sept Églises, et les sept lampes sont les sept Églises. 

Apocalypse 1, 9-20

     Le noyau central de l’Apocalypse de Jean n’est pas l’annonce de la fin de ce monde, mais bien la profession de la présence réelle de Jésus ressuscité au milieu de son Église aux prises avec les tribulations : persécutions, pauvreté, marginalité, exclusions. Il s’agit ici de la plus ancienne forme de théologie chrétienne, « la mère de la théologie chrétienne » selon le spécialiste du Nouveau Testament Ernst Käsemann. Dans l’Apocalypse de Jean, on découvre des disciples qui résistent de façon active au système oppresseur de l’Empire romain en constituant une communauté alternative visible qui annonce un autre monde possible. C’est fondamentalement une théologie subversive des classes opprimées. L’auteur écrit pour redonner espoir et courage à celles et ceux qui luttent pour qu’advienne le Royaume. Il dévoile la réalité cachée d’un monde nouveau qui se construit au milieu d’un monde bestial et inhumain. Il le fait en nous montrant ces deux réalités sous la forme de mythes : celle de la Bête qui incarne l’Empire romain (la terre) et celle du Royaume de Dieu vécue par la communauté des disciples (le ciel). Dans l’Apocalypse, on n’attend pas le retour de Jésus à la fin des temps; on s’attend à ce qu’il se manifeste, qu’il agisse et libère, qu’il règne ici et maintenant.

     L’auteur du livre, un tel Jean, se définit comme un frère, « uni comme vous à Jésus, je suis votre compagnon dans la détresse, le royaume et la résistance. » Il est un prophète qui transmet un message de la part de Jésus qui interpelle ces sept Églises d’Asie. Elles sont diverses et plus ou moins fidèle à la parole de Dieu et au témoignage de Jésus. À la lumière de ces textes, nous pouvons nous questionner : que pense Jésus de notre Église? Sommes-nous des témoins fidèles et véritables?

     L’Apocalypse s’ouvre avec une manifestation de Jésus qui appelle les Églises à la conversion, à changer de comportement. Jean aperçoit un fils d’homme transfiguré, dont il souligne la corporéité : sa robe attachée à la taille et descendant jusqu’à ses pieds brillants; ses cheveux blancs, ses yeux de feu, sa voix puissante, sa main droite tenant les sept étoiles et sa langue qui est une épée tranchante; enfin son visage resplendissant. Il est le Vivant! Il a pouvoir sur la Mort. Jean reçoit l’ordre d’écrire ce qui se passe maintenant, et ce qui arrivera ensuite. C’est Jésus qui dirige personnellement son Église; il n’y a pas de hiérarchie dans ces communautés servies par des « prophètes ».

À Laodicée, une Église tiède est fortement interpellée

Écris au messager de l'Église de Laodicée :

Voici ce que déclare l'Amen, le témoin fidèle et véritable, qui est à l'origine y de tout ce que Dieu a créé : « Je connais ton activité ; je sais que tu n'es ni froid ni chaud. Si seulement tu étais l'un ou l'autre ! Mais tu n'es ni chaud ni froid, tu es tiède, de sorte que je vais te vomir de ma bouche ! Tu dis : ‘Je suis riche et j'ai fait de bonnes affaires, je ne manque de rien’. En fait, tu ne sais pas combien tu es malheureux et misérable ! Tu es humilié, aveugle et nu. C'est pourquoi je te conseille d'acheter chez moi de l'or purifié au feu, pour devenir réellement riche. Achète aussi des vêtements blancs pour t'en couvrir et n'avoir plus la honte de paraître nu, ainsi qu'un collyre pour soigner tes yeux et leur rendre la vue. Je réprimande et corrige tous ceux que j'aime. Sois donc ardent et change de comportement. Écoute, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je prendrai un repas avec lui et lui avec moi. « A ceux qui auront remporté la victoire j'accorderai le droit de siéger avec moi sur mon trône, tout comme moi, après avoir remporté la victoire, je suis allé siéger avec mon Père sur son trône. »

Que chacun, s'il a des oreilles, écoute bien ce que l'Esprit dit aux Églises !  3 : 14-22

     Quelle serait notre réaction en recevant une telle lettre de Jean? Elle provient de Celui qui est le témoin fidèle et véritable : « Je connais ton activité : tu n’es ni chaud ni froid. »Les gens de Laodicée sont riches et prospères; ils ont fait des affaires, ce qui implique, selon Osée, corruption et exploitation (12,8-9[1], et ils sont autosuffisants. Tu dis : ‘Je suis riche et j'ai fait de bonnes affaires, je ne manque de rien’. Nous réalisons à quel point il est difficile de résister à la tentation de l’enrichissement rapide et facile. ‘Ta richesse est une illusion, revêt la robe blanche des martyrs. Tu as des yeux, mais tu ne vois rien. Tu ne sais pas à quel point tu es malheureux et misérable.’  N’est-ce pas ce qui caractérise grande partie de notre Église?

     À la première générations, les disciples de Jésus formaient un mouvement de personnes pauvres et marginales qui annonçaient le règne de Dieu, comme une révolution de l’histoire, une bonne nouvelle pour les pauvres du monde, un projet conflictuel qui s’opposait au règne de César. La première profession de foi : Jésus est le Seigneur contenait son corollaire : nous ne reconnaissons donc pas César comme Seigneur du monde. Ils étaient persécutés pour subversifs et athées, refusant le culte rendu aux dieux et à l’empereur. Mais peu à peu, il se produisit une crise dans l’Église. Des gens riches, chez les Juifs et les autres nations adhérèrent au message de Jésus. Il y avait dans les communautés des riches et des pauvres. Surgissait là une contradiction avec l’esprit de Jésus qu’on tenta de résoudre. À mesure que le christianisme se répandit dans l’Empire romain, apparut la tendance à vouloir accommoder le message de Jésus à la réalité de l’empire. C’est le reproche fait à plusieurs communautés dans ces lettres aux Églises. Que ce soient les Nicolaïtes (étymologiquement « ceux qui vendent le peuple », les fils de Balaam (ceux qui dévorent le peuple), les Juifs qui ont érigé une synagogue de Satan, ou enfin Jézabel l’idolâtre qui combattit les prophètes de Dieu, tous ces fauteurs de troubles dans les communautés pêchent par idolâtrie. Ils servent deux maîtres. « Nul ne peut servir deux maîtres : oui, ou il hait l’un et aime l’autre, ou il s’attache à l’un et méprise l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent. » (Mt 6,24) Jésus, désigné comme le chef des rois de la terre (Ap 1,5) dans l’introduction, n’accepte pas que l’on soit à la fois son disciple et qu’on collabore avec l’Empire de la Bête.

     Laodicée, la cité la plus riche de Phrygie, était renommée pour ses banques et pour sa production de lin et de coton ainsi que son école de médecine avec ses pharmacies. Les communautés faisaient des accommodements qu’elles croyaient raisonnables, mais de fait elles pactisaient avec Satan. Elles adaptaient leur foi à la réalité de l’empire. Ces personnes ne sont pas froides envers le christianisme comme le sont leurs concitoyens romains; elles ne sont pas non plus passionnées, ardentes pour combattre l’idolâtrie du système en place. Jésus en a des haut-le-cœur et les vomit.

     Pablo Richard [2] affirme que « l’Évangile ne transforme pas le monde, parce que le monde a transformé l’Évangile. » L’Église s’est rapidement institutionnalisée et adaptée en réinterprétant le message de Jésus avec les catégories dualistes de l’hellénisme. Sous Constantin, en 313, l’Église catholique devient la religion officielle de l’Empire romain et elle demeurera liée au pouvoir politique et économique, patriarcale, cléricale et hiérarchisée. Postérieurement les communautés chrétiennes se sont adaptées au capitalisme et s’y sont installées confortablement. Nous avons abandonné la théologie de l’Apocalypse, qui plaçait les pauvres, les sans-voix, les sans-abris, les sans-terres ainsi que les femmes et les tout-petits au centre du message de Jésus. Chez ces gens se cache Jésus lui-même. « Je vous le déclare, c'est la vérité : toutes les fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. » (Mt 25, 45)

     Il me semble que des sept lettres de Jean aux Églises, celle de Laodicée nous concerne particulièrement. Le processus de profonde sécularisation, l’enrichissement spectaculaire de la société, la coupure culturelle profonde de nombre de Québécoises et Québécois avec leur passé religieux, l’écroulement catastrophique d’une institution ecclésiastique jadis puissante, tout cela laisse présager que l’Église d’ici est en train de vivre un véritable kairos, un moment de grâce pour changer nos comportements et revenir à une Église de pauvres, comme le souhaite François, le nouvel évêque de Rome.

     « Je suis Jean, votre frère ; uni comme vous à Jésus, je suis votre compagnon dans la détresse, le royaume et la résistance. » Quel magnifique programme pour revenir à l’Église de l’Apocalypse : sœurs et frères, compagnes et compagnons dans la détresse, le royaume et la résistance. Solidarité avec les opprimé-e-s, construction d’alternatives au système idolâtrique en place et résistance active, avec la foi inébranlable que Jésus victorieux et aimant se tient au milieu de nous : « Je réprimande et corrige tous ceux que j'aime. Sois donc ardent et change de comportement.

[1] « Comme les commerçants cananéens, Éfraïm, tu tiens à la main une balance faussée. Tu aimes frauder, et tu dis : Certes je me suis enrichi,  j'ai gagné une fortune. Mais il n'y a pas de mal à faire des bénéfices, ce n'est pas une faute ! »

[2] Je m’inspire largement dans mes commentaires du livre de Pablo Richard, « Apocalipsis : reconstrucción de la esperanza, Costarrica, 1994, Editorial DEI, colección : lectura popular de la Biblia, 210 p.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

Chronique précédente :
Les quatre cavaliers de l’Apocalypse aujourd’hui

 

 

 

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