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Justice sociale
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chronique du 20 mars 2015

 

Solidaires des crucifié-e-s de la terre

Oscar Romero


« Habitez mon amour. Si vous observez mes commandements comme j’observe ceux de mon Père, vous aurez mon amour en vous comme j’ai celui du Père en moi. Je dis cela pour que ma joie soit la vôtre, pour que vous soyez pleins de joie. Aimez-vous de l’amour dont je vous aimais, voilà mon commandement. Il n’est pas d’amour plus grand que celui-ci : donner la vie pour ceux qu’on aime. » Jean 15, 9-1

« … Rappelez-vous ce que je vous disais, le serviteur n’est pas plus grand que son maître. Si l’on m’a persécuté, on vous persécutera, et si l’on a accueilli ma parole, on accueillera aussi la vôtre. » Jean 15, 20

« Je vous dis tout cela pour que vous ne perdiez pas pied. On vous exclura des assemblées. L’heure vient même où l’on vous tuera, en croyant rendre un culte à Dieu. » Jean 16, 1

En ce 24 mars, nous célébrons le 35ème anniversaire de l’assassinat du pasteur, du prophète et évêque martyr de San Salvador, Oscar Romero. Le pape François vient d’annoncer sa prochaine béatification dans la capitale du Salvador le 23 mai 2015.

« J’ai été souvent menacé de mort; je dois vous affirmer qu’en tant que chrétien, je ne crois pas en la mort sans résurrection. Si on me tue, je ressusciterai dans le peuple salvadorien… Comme pasteur, je suis obligé par ordre divin à donner ma vie pour ceux que j’aime, c’est-à-dire tous les Salvadoriens... Si les menaces venaient à se concrétiser, dès maintenant j’offre à Dieu mon sang pour la rédemption et la résurrection du Salvador. Que mon sang soit semence de liberté. » Ces paroles furent prononcées le dimanche 23 mars à la cathédrale, durant son homélie qu’il terminait en suppliant l’armée et la police de cesser d’assassiner leurs semblables : « Au nom de ce peuple souffrant, dont les lamentations montent jusqu’au ciel chaque jour un peu plus bouleversantes, je vous en supplie, je vous en prie, je vous ordonne, au nom de Dieu, cessez la répression! »

     Par sa compréhension et sa fidélité à son engagement chrétien, saint Oscar Romero —  il est déjà canonisé par ce peuple au milieu duquel il vit toujours — nous permet de relire la passion et la mort de Jésus de manière contemporaine. « Il n’est pas d’amour plus grand que celui-ci : donner la vie pour ceux qu’on aime. » Il ne s’agit pas d’une forme de masochisme ni de dolorisme qui nous ferait rechercher la souffrance ou la mort comme un cadeau du ciel. Non! Il s’agit d’un engagement auprès des pauvres et des déshérités de la vie, un engagement motivé par un amour inconditionnel de l’humanité souffrante.  « Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que tous ceux et celles qui s’en remettent à lui  vivent la vie sans fin. » (Jean 3,15)

     Cette solidarité sur le chemin des crucifiés de la terre mène à la croix : « « Maintenant ils sont sur le chemin; ils montent à Jérusalem. Jésus va devant eux. Ils sont effrayés, ceux qui les suivent frémissent. » (Marc 10,32) L’évangile nous révèle que la peur fait partie de la vie du maître et du disciple. Mais Jésus ne se laisse pas paralyser par ce sentiment : il marche devant avec détermination. Les disciples ne comprennent pas la logique de la croix; ils sont abasourdis et apeurés à la fois. À mesure que l’heure fatidique approche, réfugié dans le jardin des oliviers, Jésus s’isole pour prier. « Il commence à être envahi d’effroi, accablé. ‘Mon être se voile d’une tristesse de mort.’ » (Marc 14,33-34) Il est seul pour affronter l’ennemi; les siens dorment, inconscients. Romero a vécu cette solitude, ce manque de solidarité de la part de ses confrères, du pape qui le rabroua lors de son passage à Rome, des autorités vaticanes et de ses amis de la classe dominante. Romero rentre d’Europe où il vient de recevoir un doctorat honoris causa de l’Université de Louvain en appui à son travail pastoral. Il confie à son secrétaire Jesús Delgado qu’il craignait d’être lynché hors de son pays. Un mois et demi plus tard, durant sa messe quotidienne à l’hôpital des cancéreux où il demeure, un tueur à gage l’abat d’une balle, juste au moment des offrandes.

« Comme un frère blessé par la mort de tant d’amis, 
tu savais pleurer, seul, au Jardin.
Tu connaissais la peur comme un homme au combat.
Mais tu savais donner à ta parole libre, un timbre vibrant. » [1]

     Dans nos pays à hauts taux de consumérisme, nous nous sommes assoupis dans un christianisme momifié; nos Églises sont incrustées depuis des siècles dans une alliance avec les puissants de ce monde. Romero vient sonner le tocsin de cette infidélité à Jésus. « Le Christ ne m’a pas envoyé baptiser, mais dire l’Annonce. Et non dans un langage de sagesse qui viderait la croix du Christ. Le langage de la croix est folie pour ceux qui courent à la perte. Et pour ceux qui courent au salut, pour nous, il est puissance de Dieu. Car c’est écrit : ‘Sagesse des sages, je ferai ta perte, intelligence des intelligents, je la jetterai aux ordures.’ » (1 Corinthiens 1,18)
 
     Alors qu’une poignée de grands propriétaires salvadoriens, alliés aux intérêts impérialistes des États-Unis et contrôlant politiciens, militaires et évêques, réprimaient et faisaient la guerre à un peuple désemparé, cet homme eut le courage de se tenir debout et de dénoncer le péché social dans ses homélies dominicales diffusées par la radio diocésaine dans toute l’Amérique centrale. Il écrivait à Jimmy Carter, président des États-Unis, pour lui demander de suspendre la fourniture d’armes aux militaires de son pays; il exigeait du gouvernement honnêteté et justice sociale. Isolé par les puissants et la plupart de ses confrères évêques, incompris par le pape Jean-Paul II qui voyait en lui un naïf manipulé par la gauche marxiste, il invitait ses fidèles à embrasser la croix du Christ dans ce moment tragique :

« Tous ceux qui voudront rejeter la croix du véritable Messie, sont de faux disciples, ils n’ont pas compris le sens du véritable messianisme. C’est un messianisme triomphaliste, c’est dire : ‘Je suis chrétien mais je ne veux pas me mêler de ces histoires.’ C’est celui qui participait aux communautés ou qui était catéchète, mais lorsqu’il a vu arriver l’heure de la persécution, il a couru se cacher. ‘Nous ferions mieux d’attendre des temps plus propices.’ Ce sont ceux qui disent : ‘Prudence! Ne vous impliquez pas tant, faites attention!’ Combien abondent ces Pierres , ces Satan à notre époque. » [2] 

     Romero était imbu de la théologie des deux grandes Conférences épiscopales latino-américaines, celles de Medellín et de Puebla, où les évêques d’Amérique latine et des Caraïbes ont réalisé un grand virage théologique. Jusque là alliés au pouvoir espagnol, puis aux élites conservatrices des grands propriétaires terriens, les évêques catholiques prenaient conscience que l’Évangile exigeait d’eux un engagement courageux auprès des masses pauvres du continent. « Les chrétiens, comme disciples et missionnaires, nous sommes appelés à contempler, dans les visages souffrants de nos frères, le visage du Christ qui nous appelle à le servir en les servant : les visages souffrants des pauvres sont les visages souffrants du Christ. » [3] Cette théologie nous renvoie à la solidarité avec les « crucifiés de la terre », avec celles et ceux qui vivent aujourd’hui dans leur chair la passion et la mort du Christ.

     Ici nous cherchons à tâtons comment redynamiser notre Église catholique, institution qui croule et perd beaucoup de sa crédibilité. Jésus veut redonner son Souffle à ceux et celles qui veulent aujourd’hui le suivre sur le chemin des crucifiés de la terre. Pour cela, il est nécessaire de rompre nos alliances avec le système capitaliste mondialisé et de prendre résolument le parti des victimes de ce système de mort qui détruit partout la vie sur terre et soumet l’humanité et la planète à la dictature de l’argent. Nous devons reprendre le chemin de celui qui autrefois durcit son visage et monta courageusement à Jérusalem affronter les élites judéennes sacerdotales et le pouvoir romain. Nous devons le suivre à l’assaut du temple, centre du pouvoir du sanhédrin et des grands propriétaires saducéens, siège de la cour suprême et de la banque centrale. « Vous avez fait de la maison de mon Père une caverne de bandits. » (Marc 11,17) Nous devons cesser de vouloir sauver les meubles dans notre Église et nous concentrer sur le noyau du message de Jésus : l’établissement du Régime de Dieu sur terre.

     Qu’en cette semaine de mémorial de la passion et mort du Christ, alors que nous nous laissons inspirer par la figure d’Oscar Romero, reconnaissons le visage du Christ dans les visages de nos sœurs et frères d’humanité : empruntons le chemin des chômeurs et chômeuses, travailleuses et travailleurs précaires et mal payés, gens de la rue, personnes immigrantes, enfants et femmes trafiqués, victimes de violences, peuples autochtones, personnes âgées, malades et handicapées, etc. Soyons solidaires en combattant les injustices, en nous tenant debout. Montons à Jérusalem, faire face à ceux qui sèment la mort et la corruption dans notre monde.

     Saint Romero des Amérique, notre pasteur et martyr, entraine-nous à ta suite ! 

[1] Pedro Casaldáliga, poème « San Romero de las Américas ».

[2] Le discours homélitique de Mgr Oscar Romero (Les exigences historiques du salut-libération), Yves Carrier, L’Harmattan, Paris 2003, p. 139.

[3] Document final de la Conférence épiscopale latino-américaine de Puebla, no 220.

Claude Lacaille

Source: Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

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