Saint Pierre et les clés du Royaume. Basilique Saint-Pierre, cité du Vatican (photo : PxHere).

Ouvrir les portes du paradis

Mario BardMario Bard | 17 septembre 2018

Vous les entendez pester contre la pluie et le beau temps, le chauffeur d’autobus qui va trop lentement ou trop vite, sans compter le café au travail qui goûte les bas mouillés et va finir par tuer tout le monde. Mais, qui peut être aussi désagréable? Les gens qui, comme moi parfois, pensent qu’ils sont des êtres humains achevés, brillants et au sommet de leurs savoirs sans fin. Ils règlent le sort du monde pour être sûrs de fermer la porte à toute possibilité d’amour. Et pour eux, et pour les autres.

Comme les scribes et les pharisiens, le monsieur ou la madame qui sait tout connaît surtout la chanson de son propre ego démesuré, victime de je ne sais quel drame intérieur. Le problème semble s’aggraver quand ces personnes obtiennent des postes d’autorités, comme les scribes et les pharisiens.

Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé. Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux; vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous n’y laissez pas entrer ceux qui veulent entrer.  Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites! parce que vous dévorez les maisons des veuves, et que vous faites pour l’apparence de longues prières; à cause de cela, vous serez jugés plus sévèrement. (Matthieu 23,12-14)

Dans leur cas, ajoutez-y une façon d’interpréter les lois religieuses qui soit tout à fait adaptée à leurs besoins, et vous obtiendrez la remarque de Jésus sur les veuves, volées par des maîtres de la loi sans vergogne, interprétant les lois pour leur avantage économique. Et sans scrupules, elles diront probablement que c’est la chose à faire dans le contexte difficile d’aujourd’hui. Celui qui déclare tout savoir et tout connaître a peut-être besoin de s’élever au-dessus des autres. On ne sait jamais trop pourquoi, et les raisons psychologiques et psychiques qui pourraient expliquer ces comportements sont inconnues de l’auteur de ce texte. Ce qui est sûr, c’est qu’une personne qui s’élève elle-même ne peut monter plus haut. Et, aux yeux des autres, elle devient généralement cet être détestable qu’il conviendra un jour d’éliminer si elle ne change pas. En la congédiant quand cela concerne le travail. En la tuant, dans le pire des cas; l’histoire récente le prouve encore avec des dictateurs qui ont été exécutés, l’un par la vindicte populaire, comme Benito Mussolini en Italie ou l’autre par un tribunal international, comme Saddam Hussein en Irak.

Dans ce texte, Jésus parle des scribes et des pharisiens. Des hommes, chefs religieux de leur temps, qui prennent le dessus sur les autres grâce à l’interprétation des lois religieuses de leur société.

La comparaison, je le sais, demeure boiteuse. Aujourd’hui, les scribes et les pharisiens du monde religieux ne sont plus seuls à étudier la parole de Dieu et à la prier régulièrement. Dans nos sociétés contemporaines et post-modernes, les « simples croyants » apprennent également à lire les codes, symboles et paroles de leurs prophètes et des inspirateurs de leur propre tradition religieuse. Un chef religieux, une responsable de communautés; toutes ces personnes n’ont plus besoin de jouer les grands savants, de se montrer cléricales comme le dénonce si souvent le pape François. Du moins, ce n’est plus l’attitude qui est attendue de leur part par une majorité de chrétiens. Pourtant, certains membres consacrés ont décidé de garder l’attitude : ils sont dépositaires de la foi et personne d’autre ne sait au final mieux gérer et diriger les consciences. Ils et elles sont comme Monsieur ou Madame sait tout. Et si, dans la célèbre série de livres pour enfants, l’histoire se termine bien, il en est tout autrement dans la réalité. Cette attitude comporte des risques, dont celui de devenir un agresseur.

On sait maintenant à quel point l’abus de pouvoir sur les consciences et les corps sont dommageables, et ce, pour toujours. En plus d’endommager la personne qui subit directement l’abus, cette méconnaissance érigée en faux pouvoir – donc en simulacre de connaissance pour qui ignore tout de l’abus – conduit directement à ce que l’on a pu observer dans tant d’institutions, qu’elles soient sportives, d’éducation ou encore, religieuses…

Dans le dernier cas, ce qui demeure le plus choquant pour un grand nombre de personnes, c’est le fait que les abus soient le fait de personnes qui se sont servies de l’image de Dieu pour assurer leur supériorité et commettre les actes d’abus régulièrement recensés par des médias médusés. Et, s’il est vrai que certains organes de presse ou médiatiques cherchent de manière malhonnête à détruire tout ce qui s’appelle religion – et donc « en beurre épais » comme le dit bien l’expression québécoise –, il est aussi vrai que plusieurs médias sont sincèrement pétrifiés devant l’ampleur des abus. Les rapports qu’ils dressent de ces réalités immondes sont alors teintés de la même déception et de la même colère que vivent les membres des traditions religieuses dans lesquelles se sont déroulés ces actes. Le cléricalisme ne mène pas nécessairement à des gestes d’abus. Mais, les preuves sont de plus en plus claires pour dire qu’il fait partie du problème.

Les Églises chrétiennes – il n’y a pas que dans la catholique que le phénomène existe, tant s’en faut – doivent renouer avec ceux et celles qui s’attendent de leur part à moins d’autoritarisme moral – textes, traités et documents magistériels étant lus par une minorité – et renouer avec le cœur de l’Évangile : la rencontre avec un Dieu de miséricorde.

Jésus a laissé des grandes lignes d’action à accomplir. Parmi celles-ci existe la miséricorde. Non seulement inclut-elle les questions du pardon, mais elle est aussi le lieu d’accueil intégral de la personne. S’éloigner de ceux et celles qui ont besoin de la grâce de Dieu, sous prétexte qu’ils sont des pécheurs plus grands que les autres, est déjà une forme d’abus : on ferme la porte aux possibles pardons de Dieu – infinie! – et on catégorise les personnes au lieu de cheminer avec elles.

Bien sûr, il est plus facile d’être fonctionnaire de Dieu. Mais, le 9 à 5 n’existe pas chez Dieu. La porte que ferme celui ou celle qui refuse de laisser entrer la miséricorde, et se sert même de son poste pour justifier ou cacher toutes sortes d’abus qui détruisent la conscience des plus fragiles, cette porte empêche alors de cheminer. Ouvrir la porte de la miséricorde est le premier travail de l’Église. Si ses membres ont parfois le droit légitime de se plaindre de la lenteur des autres à comprendre le message de Jésus – un amour inconditionnel donné à tous – ils ne doivent surtout pas en fermer la porte aux autres, sous prétexte qu’ils sont fatigués. Le paradis peut commencer aujourd’hui. Il s’agit de laisser tomber le cléricalisme. Et, déjà, Dieu pourra de nouveau entrer dans un cœur qui avait fermé la porte à son propre paradis.

Épilogue…

À l’homme méchant et vindicatif que je suis parfois et qui cherche sa perfection dans les grandes paroles sans fond et les discours cléricaux, je dirais : ne cherche pas tant à être parfait qu’à aimer en perfection, c’est-à-dire, avec miséricorde, compassion et charité. Et laisse l’Esprit du Christ Jésus de Nazareth agir en toi, pour toi et pour les autres. 

Mario Bard est responsable de l’information au bureau canadien de l’Aide à l’Église en détresse (AÉD Canada).

Hammourabi

Justice sociale

Les textes proposés provoquent et nous font réfléchir sur des enjeux sociaux à la lumière des Écritures. La chronique a été alimentée par Claude Lacaille pendant plusieurs années. Depuis 2017, les textes sont signés par une équipe de collaborateurs.